Rétractation sans motif légitime d’un congé.

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

Source : 3ème civ, 12 septembre 2019, n°18-18590, Inédit

 

Le congé est un acte définitif qui ne peut plus être rétracté sans l’accord de son destinataire. En revanche, l’offre qu’il véhicule (le renouvellement ou l’indemnité d’éviction) peut être rétractée, notamment lorsque le bailleur invoque un motif grave et légitime (au sens de l’article L145-17 du Code de commerce) ou s’il est établi que l’immeuble est insalubre ou dangereux. Cependant, lorsque la rétractation intervient pour un autre motif, les conséquences de l’irrégularité ont pu prêter à discussion.

 

I – Rétractation du congé fondée sur des motifs « illégitimes » : l’acte est nul.

 

En l’espèce, un bailleur rétracte, par acte d’huissier du 30 juin 2009 intitulé « congé-rétractation », le congé qu’il avait délivré au preneur le 23 octobre 2007 pour le 1er juillet 2008. La rétractation est fondée sur « le désaccord de la locataire sur le prix proposé », ce qui n’est évidemment pas un motif légitime au sens des dispositions précitées.

 

Par acte introductif d’instance du 29 juin 2011, le preneur assigne le bailleur en nullité du « congé-rétractation » et en fixation du loyer du bail renouvelé, puis subsidiairement, en paiement d’une indemnité d’éviction.

 

Le premier juge adopte une position pragmatique : un congé rétractation fondé sur un désaccord sur le montant du loyer du bail renouvelé est un droit d’option au sens de l’article L145-57 du Code de commerce. En conséquence, le Tribunal requalifie l’acte et dit que le preneur est recevable à solliciter le paiement d’une indemnité d’éviction, qui lui sera toutefois refusée à raison de défaillances antérieures du preneur au titre de ses obligations d’entretien, découvertes postérieurement au congé.

 

Le Tribunal prononce alors « la résiliation judiciaire du bail aux torts du preneur au 18 septembre 2013 ». L’anachronisme laissera toutefois le lecteur perplexe, puisque la reconnaissance d’un droit d’option au 30 juin 2009, ne peut entrainer que l’exercice d’un droit de rétractation de l’indemnité d’éviction pour motifs graves et légitimes et non la résiliation d’un bail non renouvelé qui avait pris fin le 30 juin 2008 …

 

Devant la Cour d’appel de Paris, saisie d’une demande de réformation du jugement, le preneur fait grief au premier juge d’avoir dénaturé le « congé-rétractation », dont il ne lui était d’ailleurs pas demandé de le requalifier en droit d’option. Il ajoute que le congé-rétractation est nul pour absence de motif, ce qui lui ouvre droit à une indemnité d’éviction.

 

Le bailleur conclut au contraire à la validité du congé, en affirmant que l’acte peut être complété d’autres motifs nés ou découverts postérieurement à sa délivrance.

 

La Cour d’appel de Paris reçoit favorablement le grief de dénaturation formulé par le preneur, et estime que le congé-rétractation, même délivré pour « désaccord sur le prix », n’est pas un droit d’option, mais une véritable rétractation de l’offre de renouvellement. Les juges du fond ajoutent que l’illégitimité du motif n’affecte pas la validité de l’acte : elle ouvre droit pour le preneur au paiement d’une indemnité d’éviction, qui peut être rétracté si le bailleur découvre d’autres motifs, pour le coup légitimes.

 

C’est ainsi que la Cour, validant le « congé-rétractation » du 30 juin 2009, dit que le bail a pris fin le 30 juin 2008, que le preneur est déchu de son droit à indemnité d’éviction au titre de ses manquements… mais prononce la résiliation du bail au 18 septembre 2013… ce qui de nouveau, est paradoxal.

 

Au-delà de cette maladresse, la multiplication à l’envi de congés ne pouvait emporter l’approbation de la Cour de cassation, notamment à notre avis pour des raisons de prescription. La Cour censure ainsi la position des juges du fond en précisant que les rétractations illégitimes sont nulles :

 

« (…) Attendu qu’en cas de congé avec offre de renouvellement, le bailleur peut rétracter son offre de renouvellement, sans être tenu au paiement d’aucune indemnité, s’il justifie d’un motif grave et légitime ou s’il est établi que l’immeuble est insalubre ou dangereux ;

 

(…)

 

Attendu que, pour valider le congé du 30 juin 2009, l’arrêt retient que celui-ci s’analyse en un acte de rétractation par la société bailleresse de son offre de renouvellement lui permettant de refuser toute indemnité d’éviction et que, si le motif visé dans ce congé et tiré du désaccord du preneur sur le montant du loyer proposé est erroné en ce qu’il ne constitue pas un motif grave et légitime au sens de l’article L. 145-17 du code de commerce, il n’invalide pas le congé qui a mis fin au bail le 30 juin 2008 sans renouvellement ;

 

Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait retenu que le bailleur n’établissait ni motif grave et légitime ni insalubrité ou dangerosité de l’immeuble, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ; »

 

Il semble qu’il y ait eu ici confusion des juges du fond entre le congé initial mettant fin au bail et celui portant rétractation de ses motifs. Plus clairement dit, la validité du premier congé n’était pas remise en cause : il s’agissait d’une demande de renouvellement, et non d’un congé refus de renouvellement pour motif grave et légitimes au sens de l’article L145-17 du Code de commerce pour lequel le preneur peut en solliciter la nullité (3ème civ, 28 juin 2018, n°17-18756, FS – P+B+I , et notre commentaire du 3 juillet 2018 ). En conséquence, soit l’offre de renouvellement était valablement rétractée, et entrainait la perte du renouvellement, soit il ne s’agissait pas d’une rétractation, et sauf à être requalifiée en droit d’option, ce que la Cour d’appel de Paris a refusé de faire, la rétractation ne pouvait qu’être dénuée de tout effet, c’est à dire entachée de nullité.

 

II – Conséquence de la nullité : sur la prescription des actions (fixation du loyer / indemnité d’éviction)

 

Reconnaître la validité d’un congé rétractation non motivé aurait pu permettre de modifier le point de départ de la prescription biennale (article L145-60 du Code de commerce) de l’action en paiement de l’indemnité d’éviction, et donc du repentir du bailleur qui ne semble pas affecté par la rétraction, l’article L145-59 ne visant que le caractère irrévocable du droit d’option et du repentir (TGI de Paris, Ch 18 S14, 14 novembre 1995, SARL PARIS PASSY c/ Gineste-Moreau, Administrer avril 1996 p44).

 

Reconnaître sa nullité oblige en revanche les parties à agir, tant sur la fixation du loyer que sur celle de l’indemnité d’éviction dans les deux ans de la date d’effet du congé.

 

Dans l’espèce commentée, le bailleur malhabile pourrait être placé dans une situation inconfortable puisque la nullité de la rétractation conduit à considérer comme point de départ de la prescription la date d’effet du congé, soit le 30 juin 2008. Ainsi,

 

1. La fixation du loyer du bail renouvelé est prescrite, la juridiction ayant été saisie de la fixation du loyer au-delà du délai biennal (sauf à retenir qu’en sollicitant la fixation du loyer, le preneur à renoncé à la prescription, ce qui pourrait in fine « sauver » le bailleur …)

 

2. La prescription de la fixation du loyer entraine corrélativement :

 

a. celle de la rétractation du congé au titre des manquements du preneur dans ses obligations (3ème civ, 5 octobre 1994, n°92-11170), a priori découverts au-delà du délai biennal et également

 

b. celle du droit d’option ;

 

La rétractation des motifs d’un congé doit donc être réalisée avec la plus grande rigueur…

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