Responsabilité décennale et cause du désordre

Amandine Roglin
Amandine Roglin

La responsabilité décennale du constructeur est engagée en dépit de la méconnaissance de la cause du sinistre

Source : Cass. 3e civ., 29 juin 2022, n°21-17.919

Le propriétaire de deux bâtiments agricoles confie à une entreprise l’installation de capteurs photovoltaïques sur ces deux bâtiments.

Les travaux sont réceptionnés le 28 janvier 2011.

Un an et demi plus tard, un incendie se déclare et détruit les deux bâtiments.

Le maître d’ouvrage sollicite d’abord une expertise judiciaire, qui lui est accordée.

Aux termes de son rapport, l’expert judiciaire considère que le sinistre a pour origine les travaux réalisés par l’entreprise qui a posé les capteurs photovoltaïques sans toutefois être en mesure de déterminer le processus ayant conduit à l’embrasement.

Au fond, l’entreprise est condamnée sur le fondement de sa responsabilité décennale, les juges ayant suivi l’avis de l’expert judiciaire.

L’entreprise forme un pourvoi en cassation considérant qu’à partir du moment où la cause de l’incendie était inconnue, sa responsabilité ne pouvait pas être engagée.

La Cour de cassation rejette le pourvoi et confirme l’arrêt rendu par la Cour d’Appel en ces termes :

« La cour d’appel, qui a énoncé, à bon droit, que la présomption de responsabilité de l’article 1792 du code civil suppose que soit établi un lien d’imputabilité entre le dommage constaté et l’activité du locateur d’ouvrage, sauf la faculté pour celui-ci de s’en exonérer en établissant la preuve d’une cause étrangère, a souverainement retenu que l’incendie qui avait détruit les bâtiments avait trouvé son origine dans l’installation photovoltaïque que [le constructeur] avait été chargé de réaliser, même si la destruction de l’ouvrage et la dispersion des composants ne permettaient pas de déterminer le processus ayant conduit au sinistre »

Cette décision est une réaffirmation de deux principes constants en matière de responsabilité civile décennale :

  • D’abord, la responsabilité décennale du constructeur est, de plein droit, engagée lorsque les désordres sont imputables aux travaux qu’il a réalisés
  • D’autre part, pour combattre la présomption posée par l’article 1792 du Code civil, le constructeur doit apporter la preuve d’une cause étrangère

Ainsi, le constructeur ne peut échapper à sa responsabilité en invoquant la méconnaissance de la cause exacte du sinistre à partir du moment où il est établi que le sinistre est imputable aux travaux qu’il a réalisés, peu importe que la cause technique soit méconnue.

En prétendant le contraire, le constructeur a tenté d’inverser la charge de la preuve.

La méconnaissance de la cause technique du sinistre, permettant d’établir l’existence d’un vice de construction affectant l’ouvrage, ne suffit pas à exonérer le constructeur ; cette méconnaissance des causes ayant déclenché le sinistre, comme un incendie, ne peut constituer, en soi, une cause étrangère (Cass., 3e civ., 30 sept. 2015, n° 14-16.257, n° 995 D ; Cass. 3e civ., 23 sept. 2020, n° 19-20.374, n° 616 D). Dès lors, le bénéficiaire de la présomption décennale n’a pas à rapporter la preuve de l’imputabilité technique du désordre au constructeur (Cass., 3e civ., 27 janv. 2015, n° 13-21.945, n° 138 D). Ainsi, un incendie de cause inconnue ne suffit pas à exonérer le constructeur de la présomption de responsabilité qui pèse sur lui (Cass. 3e civ., 8 févr. 2018, n° 16-25.794, n° 100 D). En conséquence l’origine indéterminée des dommages ne constitue pas une cause étrangère, pouvant exonérer le constructeur de la présomption de responsabilité décennale, et répondant aux conditions particulières d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité du dommage, qui doivent être démontrées par le constructeur (Cass. 3e civ., 13 févr. 2007, n° 06-15.648, n° 155 D), comme le souligne l’arrêt rapporté.

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