Réduction de la prescription de 5 ans à 2 ans en matière prud’hommale : Atteinte disproportionnée au droit d’accès au Juge ou pas ?

Christine MARTIN
Christine MARTIN - Avocat associée

SOURCE : Arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation du 20 avril 2022, n°19-17.614 (FS-B rejet).

Un salarié a été embauché le 05 juin 1989 par contrat à durée indéterminée en qualité d’agent comptable par une société de la grande distribution alimentaire.

Il occupait en dernier lieu les fonctions d’administrateur financier de gestion, statut cadre, au sein d’une des sociétés du Groupe assurant la logistique à vocation alimentaire pour l’ensemble des enseignes de la société.

Au cours de l’année 2011, la société a mis en place un projet de réorganisation ayant pour objet de centraliser les services comptabilité contrôle de gestion, centralisation de la paie et réorganisation des approvisionnements.

Par suite, la suppression de l’ensemble des postes de responsables administratifs financiers de gestion situés dans les bases logistiques était prévue dont celui occupé par le salarié ce dont il a été informé au cours d’un entretien du 15 juin 2011.

Les démarches tendant à son reclassement n’ayant pas abouties, la société a notifié au salarié par lettre du 21 novembre 2011 son licenciement pour motif économique.

Le 24 juin 2015, le salarié a saisi le Conseil de prud’hommes afin de contester le bien-fondé de ce licenciement, de voir déclarer celui-ci sans cause réelle et sérieuse et de voir en conséquence condamner la société à lui payer des dommages et intérêts pour licenciement abusif.

La société s’est opposée à ces demandes en soulevant à titre principal une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action en justice du salarié.

Le salarié va être débouté par les premiers juges, qui vont considérer que son action était prescrite au motif que le délai de prescription alors de cinq ans ayant commencé à courir le 21 octobre 2011 mais ayant expiré, par application des dispositions transitoires de la loi du 14 juin 2013, le 17 juin 2015 alors que le salarié n’avait introduit son action que le 24 juin 2015.

En cause d’appel, cette affaire arrive par-devant la Cour d’appel de LYON, laquelle dans un arrêt du 05 avril 2019, va confirmer la décision des premiers juges considérant que le délai de prescription litigieux initialement de cinq ans a bien couru à compter de la réception par le salarié de sa lettre de licenciement du 21 novembre 2011, s’est ensuite trouvé réduit à deux ans à compter du 17 juin 2013 consécutivement à l’entrée en vigueur du nouvel article  L 1471 du Code du travail et a expiré au terme de ce délai le 17 juin 2015.

Par suite, la Cour d’appel considère l’action introduite par le salarié totalement irrecevable car étant prescrite.

En suite de cette décision, le salarié forme un Pourvoi en cassation.

A l’appui de son Pourvoi, il reproche à l’arrêt d’appel d’avoir considéré son action prescrite en raison des dispositions de la loi du 14 juin 2013 ayant réduit de deux ans à cinq ans le délai de prescription de l’action en contestation de toute rupture du contrat de travail, considérant que ces dispositions apportent une restriction disproportionnée au droit d’accès à un Tribunal et sont en conséquence contraires aux dispositions de l’article 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Mais la Chambre sociale de la Haute Cour ne va pas suivre le salarié dans son argumentation.

Soulignant que la Cour Européenne des Droits de l’Homme juge que les délais légaux de prescription et de péremption qui figurent parmi les restrictions légitimes au droit d’accès à un Tribunal ont plusieurs finalités importantes telles que :

  Garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions,

  Mettre les défendeurs potentiels à l’abri de plaintes tardives peut être difficile à contrer,

  Et empêcher l’injustice qui pourrait se produire si les Tribunaux étaient appelés à se prononcer sur des évènements survenus loin dans le passé à partir d’éléments de preuve dont on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé,

la réduction du délai de prescription résultant de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 qui a substitué à la prescription quinquennale prévue à l’article 1224 du Code civil relatif aux actions personnelles ou mobilières, l’article L 1471-1 du Code du travail selon lequel toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit, cette réduction du délai de prescription, ne méconnaît pas les exigences de l’article 6 § 1 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales dès lors que le délai biennal a pour finalité de garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions du salarié dûment informé des voies et délais de recours qui lui sont ouverts devant la juridiction prud’hommale.

Par suite, elle rejette le pourvoi du salarié.

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