Quid des relations amoureuses au travail ?

Pierre FENIE

L’actualité autour des relations intimes au travail ne cesse d’alimenter l’actualité médiatique de ces dernières semaines. La jurisprudence aussi a dû se pencher sur ces hypothèses notamment lorsque l’employeur a sanctionné un salarié qui entretenait une relation intime avec une salariée. Mais peut-on licencier un salarié qui entretient une relation intime au travail ?

I/ Le lieu de travail, un lieu de rencontre

Le lieu de travail demeure un lieu où il est fréquent d’y faire des rencontres amicales, voire amoureuses. Il n’est en effet pas rare que les salariés rencontrent leur conjoint dans un cadre professionnel.

Dernière actualité en date, la société Nestlé a annoncé le licenciement de son directeur général pour cause de relation « avec une subordonnée directe. » L’article du journal Le Monde précise qu’une enquête interne a mis en lumière cette relation intervenue « en violation du code de conduite des affaires de Nestlé[1]. » Cela fait écho à la célèbre révélation de la relation adultérine d’un PDG d’une société américaine dans le secteur de la tech avec la responsable RH de l’entreprise lors d’un concert sur les réseaux sociaux qui a contraint les deux amoureux à démissionner de leurs fonctions.

Ces situations interrogent sur l’incidence de la vie privée au travail et la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation se positionne régulièrement sur ses éventuelles conséquences s’agissant de la poursuite, ou non, de la relation de travail.

II/ La consécration de la protection de la vie privée au travail

Depuis le célèbre arrêt Nikon de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 2 octobre 2001, le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée[2]. La Haute juridiction s’appuie sur l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui dispose que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance » mais aussi de l’article 9 du Code civil qui prévoit que « chacun a droit au respect de sa vie privée ».

Enfin, le Code du travail prévoit des dispositions protectrices des droits et libertés du salarié dans l’entreprise puisque l’employeur ne peut apporter de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché[3].

A partir de ce socle de protection de la vie privée du salarié, la législateur et la jurisprudence ont apporté des précisions concernant toute sanction liée à la vie personnelle du salarié. A titre d’illustration, le Code du travail prévoit la nullité du licenciement fondé sur un motif tirée de la vie personnelle du salarié[4].

L’employeur ne peut donc pas s’immiscer dans les filrts, ou dans les relations intimes de ses salariés. Historiquement, la compagnie aérienne Air France imposait à ses hôtesses de l’air une clause de célibat insérée dans le contrat de travail. Il s’agissait là d’une restriction à la liberté matrimoniale. La jurisprudence a finalement interdit ces clauses[5].

La consécration de la vie privée au travail par la jurisprudence constitue, en définitive, un véritable bouclier aux éventuelles atteintes par l’employeur à la liberté d’entretenir une relation intime sur le lieu de travail. Cependant, cette protection n’est pas absolue, notamment lorsque la relation de travail constitue un manquement à une obligation du contrat de travail.

III/ …tempérée par la violation d’une obligation découlant du contrat de travail

Si en principe le motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire, en revanche il en est autrement lorsqu’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail. C’est la solution retenue par la Cour de cassation dans un arrêt du 29 mai 2024.

Dans cet arrêt, une représentante du personnel et un cadre de direction en charge des ressources humaines entretenaient une relation amoureuse. Cependant, l’employeur avait identifié, dans cette relation, un conflit d’intérêt dans la gestion de l’entreprise. Par conséquent, il avait licencié pour faute grave le cadre de direction en soulevant un manquement à l’obligation de loyauté. La Cour de cassation donne raison à l’employeur considérant que le manquement à son obligation de loyauté rendait impossible son maintien dans l’entreprise[6]. Les juges ont estimé que la relation serait de nature à affecter le bon exercice des fonctions professionnelles, de sorte qu’il est démontré le rattachement du fait de la vie privée à la vie professionnelle, indispensable pour justifier la sanction disciplinaire.

Dans un arrêt du 4 juin 2025, la Cour de cassation a considéré, au contraire, que l’atteinte à la vie privée d’un salarié rendait nul et de nul effet, le licenciement de ce dernier. Dans cet arrêt, la Cour de cassation affirmait qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.

En définitive, pour l’employeur appréhender une relation intime au travail n’est pas chose aisée. Sanctionner le salarié, dans une telle hypothèse, semble délicate sauf à démontrer un manquement à une obligation qui découle du contrat de travail du salarié qui rend impossible le maintien dans l’entreprise.


[1] https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/09/01/nestle-annonce-le-licenciement-de-son-directeur-general-laurent-freixe-pour-cause-de-relation-avec-une-subordonnee-directe_6638068_3234.html

[2] Cass. soc., 2 oct. 2001, n° 99-42.942

[3] C. trav., art. L. 1121-1

[4] C. trav., art. L. 1235-3-1

[5] Cass. soc. 7 févr. 1968, n° 65-40622, BC V n° 86

[6] Cass. soc., 29 mai 2024, n° 22-16.218 F-B

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