SOURCES :
Cass. civ. II 26 juin 2014, n° 13/18.895 : F-P+B
Arrêt cassé CA DOUAI C2 S1 13 mars 2013, RG n° 12/01468
I – FAITS ET PROCEDURE
I – 1. Faits
A l’origine de ce litige, une société : ALEO INDUSTRIE, détenue et contrôlée égalitairement par 2 frères, par ailleurs codirigeants, qui est liée avec un contrat de distribution avec la société ARTOIS EQUIPEMENT, contrôlée et dirigée par l’épouse d’un des 2 frères.
Soupçonnant son frère de favoriser ARTOIS EQUIPEMENT au détriment d’ALEO INDUSTRIE, l’autre cogérant va s’attirer les faveurs d’un troisième associé qui, avec une seule part, lui permettait de prendre le contrôle de la société ALEO INDUSTRIE.
Celui-ci mettait alors en place une procédure de révocation de son frère, et dans le même temps, au motif d’une prétendue concurrence déloyale d’ARTOIS EQUIPEMENT au détriment d’ALEO INDUSTRIE, sollicitait et obtenait du Président du Tribunal de Commerce d’ARRAS, la désignation d’un Huissier qui pouvait se faire aider d’un expert informaticien, d’un serrurier et de la force publique, avec mission notamment de :
« – rechercher et prendre copie de tous documents tels que devis, factures, courriers, cartes de visite, contrats concernant les relations contractuelles entre les sociétés ALEO INDUSTRIE et ARTOIS EQUIPEMENT, ainsi que le rôle de Monsieur X dans l’activité de la société ARTOIS EQUIPEMENT ;
– se faire assister par la force publique et par un serrurier. »
Alors que la guerre entre les 2 sociétés était déclarée, ARTOIS EQUIPEMENT va estimer que les informations qui étaient communiquées à l’Huissier, constituaient une violation du secret des affaires, dans le cadre d’une opération qui ressemblait plus à une perquisition qu’à un constat (un Huissier a le pouvoir de constat et pas d’investiguer).
Elle saisira en conséquence le Président du Tribunal de Commerce d’ARRAS d’une demande en rétractation de son ordonnance rendue sur requête, c’est-à-dire non contradictoirement.
I – 2. Procédure
Par une décision du 21 février 2012, le Président du Tribunal de Commerce d’ARRAS va confirmer son ordonnance au motif essentiel « que les actions développées au cours de sa mission tant par l’Huissier, que par l’expert en informatique, l’ont été dans le but d’apporter à leur constat, l’ensemble des éléments trouvés et propres à éclairer la justice sur le fond. »
Dans son arrêt du 13 mars 2013 censuré, la Cour d’Appel confirme la décision rendue par le Président du Tribunal de Commerce d’ARRAS par divers attendus, dont l’un mérite d’être cité (page 5) :
« Attendu que la société ARTOIS EQUIPEMENT soutient que la mission confiée à l’Huissier, par son caractère trop large et trop imprécis, aurait aboutir à l’investir d’une mission générale d’investigation et à lui attribuer un pouvoir d’enquête assimilable à une perquisition ; que, toutefois, si l’ordonnance permet effectivement à l’huissier d’accéder au contenu des matériels informatiques présents dans les locaux de la société ARTOIS EQUIPEMENT, ce qui apparaît constituer un préalable indispensable à toute mesure de constatation plus précise, elle lui donne pour instruction de constater la présence de fichiers ou de traces de fichiers, mails ou traces de mail y compris ceux supprimés « entre la société ALEO INDUSTRIE et la société ARTOIS EQUIPEMENT et M. X », que si l’huissier est autorisé à consulter « tous documents, y compris ceux supprimés, en relation avec les portails, portillons et clôtures », il n’est toutefois autorisé à prendre copie du contenu des mails, traces, de mails, fichiers ou traces de fichiers ou de tous documents y compris ceux supprimés, que pour autant qu’ils concernent d’une part, les relations entre la société ARTOIS EQUIPEMENT et M. X et d’autre part qu’ils soient « en relation avec les portails, portillons et clôtures » (…).
Que l’ordonnance a donc ainsi, à juste titre, distingué le droit d’accès au contenu des documents et fichiers informatiques, effectivement reconnu de façon générale, et le droit d’en prendre copie qui a été limité au regard de l’activité et des relations contractuelles concernées ; qu’il y a lieu de rappeler que seuls pourront être régulièrement produits en justice les éléments d’information pris en copie par l’huissier de justice dans les limites de sa mission ainsi définie à l’exclusion de tout autre élément dont il aurait pu avoir connaissance (…) ».
Par cette décision, la Cour d’Appel de DOUAI (ce n’est pas sa jurisprudence habituelle) jugeait qu’un Huissier peut tout appréhender ou faire appréhender à l’aide d’un serrurier ou d’un informaticien, dès lors qu’il s’agit de rechercher des traces d’une activité concurrente destinée à appuyer une action en concurrence déloyale sur le fond.
Cette décision était suffisamment audacieuse dans l’énoncé de ses principes pour ne pas être soumise à la censure de la Cour de Cassation, qui casse l’arrêt au motif ci-après repris:
« Attendu que l’arrêt rejette la demande de rétractation de l’ordonnance du 20 mai 2011 formée par la société ARTOIS EQUIPEMENT, alors que ni la requête qui se bornait à viser les textes en mentionnant « tout particulièrement lorsque les circonstances exigent que la mesure d’instruction ne soit pas prise contradictoirement « (effet de surprise) », ni l’ordonnance, n’avaient caractérisé les circonstances susceptibles de justifier une dérogation au principe de la contradiction que la cour d’appel a violé les textes susvisés. »
Par cet arrêt publié, la Cour de Cassation rappelle aux juridictions du fond que le principe est le contradictoire, et l’exception, le secret et la surprise organisés par des mesures de constat ordonnées par ordonnance sur requête.
La censure de l’arrêt de la Cour d’Appel n’est pas une surprise. Ce qui est en revanche plus intéressant est le motif de cassation qui invite tout Président de juridiction à réfléchir sur la mise en place de mesure contradictoire et plus clairement d’expertise, préférable à des opérations « coup de poing » de type requête et ordonnance aux fins de constat.
II – CONCURRENCE DELOYALE ET LIMITES A LA REQUETE AUX FINS DE CONSTAT
II – 1. Un Huissier peut-il tout constater ?
Une réponse négative s’impose. Il est en effet constant et régulièrement rappelé par la Cour de Cassation, que les pouvoirs de l’Huissier en matière de constat sont entièrement limités par l’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945 ainsi rédigé :
« Les huissiers de justice peuvent être commis par justice pour effectuer des constatations purement matérielles exclusives de tout avis sur les conséquences de faits ou de droit qui peuvent en résulter ; ils peuvent également procéder à ces constatations de même nature à la requête de particuliers. Dans l’un et l’autre cas, ces constatations n’ont que la valeur de simples renseignements. »
En d’autres termes, un huissier a les pouvoirs de constater, il n’a aucun pouvoir d’investigation, qui relève de prérogatives universelles, non délégables, confiées aux autorités de justice, de police, ou assimilées (douanes, fisc, etc.).
Or, la différence est sensible. L’investigation suppose une capacité de coercition et par conséquent la possibilité d’agir à l’insu ou malgré l’opposition de la personne chez qui le procès-verbal doit être dressé. C’est la raison pour laquelle le requérant a obtenu la désignation de représentants des forces de l’ordre, qui avaient la possibilité de physiquement s’interposer, d’un serrurier qui pouvait « forcer » toutes les serrures, et d’un informaticien qui pouvait « casser » les codes… Nous sommes très loin des simples pouvoirs de constatation.
La Cour d’Appel de DOUAI avait déjà, dans une décision du 15 février 1999 [1], posé ce principe :
« Il convient de rappeler que pour mettre fin à toute controverse sur les pouvoirs des huissiers de justice, le décret du 20 mai 1955, inséré dans l’ordonnance du 2 novembre 1945, portant statuts de la profession, a donné une base textuelle, tant aux constats sur commission d’un magistrat, qu’à celui établi à la requête d’un particulier [2].
[…]
Cette rédaction ne formule que quelques principes et tout raisonnement dépassant sa lettre concernant les constats et la manière d’y procéder doit se référer aux grands principes du droit et à la jurisprudence.
En ce qui concerne plus spécialement les procès-verbaux de constat ordonnés par le juge, notamment en application des articles 145 et 812 du NCPC, il est admis que le technicien commis pour procéder aux constatations prévues à l’article 249 du Nouveau Code de Procédure Civile puisse être un huissier, dont la mission se trouve par là-même régie par les dispositions communes aux mesures d’instruction exécutées par un technicien, c’est-à-dire par les articles 232 à 248 du NCPC.
[…] L’huissier de justice, qui avait reçu l’autorisation de se faire assister par un serrurier et par un commissaire de police, ce qui, au demeurant, il n’a pas fait, s’est estimé à même de pouvoir :
– de première part, procéder à des investigations approfondies, impliquant la délivrance d’injonctions de faire, et le recours à de véritables interrogatoires structurés préparés et réitérés, cela afin d’aboutir, sous couvert de l’ordonnance, à la découverte de documents contenant les informations recherchées (faits de concurrence déloyale) ;
– De seconde part, se constituer séquestre de pièces découvertes en original et en copie ;
En confiant ainsi une mission trop générale et ambigüe à l’officier ministériel sous couvert d’une prétendue mission de constatation qui ne pouvait autoriser que des constatations purement matérielles […] accompagnées de seconde part de documents remis volontairement […] qui de par son intitulé même (procès-verbal de constat) se devait d’exclure le recours à des interrogatoires structurés et réitérés, et le contrôle de la véracité des dires des personnes interrogées par des investigations parallèlement menées par le constatant, et susceptibles d’aboutir à la remise forcée d’informations, le Président du Tribunal de Grande Instance a excédé ses pouvoirs. […] »
La même Cour, par un arrêt du 14 octobre 2008 [3], procédait à une distinction claire entre les prérogatives de l’Huissier et la souveraineté du Juge qui ne se délèguent pas :
« Ces circonstances sont autant d’indices de violation par Monsieur GHESQUIERES de son obligation de loyauté vis-à-vis de son employeur et de la société BBAG au profit de la société SPRINTOO, de nature à compromettre les intérêts de la société VECTAMAIL.
Cette situation constitue un motif légitime d’établir avant tout procès au fond la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige opposant la société VECTAMAIL et la société SPRINTOO.
A cet effet, le Président du Tribunal de Grande Instance de LILLE a désigné un huissier de justice aux fins de constat en rapport avec ces faits.
Mais le premier juge a autorisé l’huissier « par l’accomplissement de sa mission, (…) (à) se faire assister d’un représentant de la force publique, d’un huissier, d’un expert en informatique, qui pourra accéder à toutes données pertinentes (…) au besoin en requérant du personnel présent les code d’accès nécessaires (…).
Ces mesures sont destinées à exercer, si nécessaire, des contraintes susceptibles d’aboutir à la remise forcée d’informations et ce en contradiction avec l’article 243 du Code de Procédure Civile.
En effet, seul le juge peut enjoindre la communication de pièces sous astreinte.
Mais il ne peut ordonner de façon générale et en dehors des cas prévus par la loi, l’appréhension de ces documents par voie de saisie ou de confiscation.
En conséquence, il convient, peu important à ce stade les conditions d’exécution de la mission, de rétracter l’ordonnance en date du 28 mars 2005. »
Enfin, en 2009, la même Cour confirmait ce que l’on pouvait qualifier, compte tenu des décisions antérieures de sa jurisprudence [4] :
« La mission légale de l’huissier est limitée à un pouvoir de constatation ; en aucun cas cela ne saurait s’étendre à une mission d’investigation. Au cas d’espèce, l’huissier n’a pas eu qu’une mission de constatation car au-delà d’avoir accès aux documents mentionnant la société requérante ou la société BETE LIMITED, il a été missionné pour avoir accès l’ensemble de l’activité de la société réputée concurrente mais surtout avec un réel pouvoir de perquisition au sein des fichiers informatiques de la société concernée ; le juge ne pouvait confier à l’huissier une mesure de constat consistant dans l’examen systématique de tous les fichiers informatiques sans restriction, lui permettant d’accéder, comme le dossier l’indique suffisamment, à des informations ne concernant en rien les éléments recherchés et de surcroît confidentiels ; tous documents commerciaux, des éléments confidentiels concernant les relations de Monsieur BYTTER avec son avocat, des documents du registre de la vie privée. La mission telle que rédigée par le juge ou plutôt la mission telle qu’entérinée par le juge, trop générale et trop ambigüe, comportant la faculté de constater le contenu entier de tout ordinateur de bureau ou ordinateur portable ou disque dur, exposant l’huissier à effectuer une véritable mission d’enquête, de tri, de prise de copie d’éléments étrangers au litige, de confiscation favorisait l’atteinte aux droits fondamentaux de respect de la vie privée, de secret professionnel, de secret des affaires. Elle ne saurait être légitimée, comme SOLARONICS tente de le plaider, par son efficacité. […]»
II – 2. L’apport de la Cour de Cassation
La Cour de Cassation ne s’est pas jusqu’à présent, aussi clairement posée que les décisions ci-avant commentées. On relèvera toutefois :
– Un arrêt du 25 juin 1973 [5] qui censure une Cour d’Appel d’avoir admis comme preuve, un constat d’Huissier, alors que l’Officier Ministériel « avait manqué à ses obligations professionnelles, et d’autre part, que ses actes pouvaient être retenus comme preuve, bien qu’ils contiennent des éléments étrangers ou constatations matérielles prévues à l’ordonnance (…) ». Par cette décision, la Cour rappelait que la mission de l’Huissier était encadrée par l’ordonnance du Juge, et qu’il ne pouvait librement, au gré de ses humeurs ou de ses découvertes, procéder à d’autres constatations ;
– Un arrêt du 6 février 1980 [6] qui confirme une décision ayant écarté d’office pour cause d’irrégularité, une sommation interpellative commise par un Huissier, alors que l’ordonnance du 2 novembre 1945 n’autorise l’officier ministériel qu’à faire des constatations matérielles sur la voie publique et en tout lieu public, alors que l’arrêt « retient d’une part que l’Huissier n’avait fait aucune constatation personnelle, d’autre part, qu’en dépit de l’interdiction qui lui avait été faite, cet Huissier avait procédé par le biais de sommation interpellative, à une véritable enquête, outrepassant ainsi la mission qui lui avait été dévolue (par une ordonnance) » ;
– Enfin, un arrêt du 15 novembre 1994 [7] qui censure une Cour d’Appel qui valide un constat, alors que « plusieurs Huissiers de Justice se sont présentés sans autorisation de justice, dans divers débits de boissons, afin de soumettre les personnes interpellées à un interrogatoire à l’aide de questionnaires manifestement préétablis, impliquant dans certains cas, la nécessité pour le questionné de se reporter à des documents détenus par ses soins, et que l’un des Officiers ministériels a même exigé la production de factures pour vérifier par qui elles avaient été livrées. L’arrêt retient à bon droit que les Huissiers diligentés par la société SEGAFREDO se sont livrés à une véritable enquête, hors toute constatation matérielle, seule autorisée par l’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945. »
Les titrages et résumés de cette décision sont assez explicites :
« Huissier de Justice – exercice de la profession – interrogatoire à l’aide d’un questionnaire – sommation interpellative (non) – Enquête interdite.»
La lecture de cette décision marque bien la distinction entre une simple constatation matérielle et le pouvoir d’enquête qu’un Magistrat ne peut impunément confier à un Huissier.
Parmi les juridictions du fond qui participent à cette analyse, on relèvera également la Cour d’Appel de PARIS [8] :
« Considérant en revanche que le juge des requêtes ne pouvait accueillir la requête telle qu’elle était présentée ;
Considérant en effet que la société requérante ne se contentait pas de demander des mesures clairement identifiées et déterminées relevant du pouvoir de constat appartenant aux huissiers de justice ;
Qu’elle prétendait aussi conférer à l’huissier commis le droit de se faire assister d’un officier de police et des mandataires de la société R et J EDITIONS MÉDICALES, non seulement pour recueillir des informations ou solliciter la communication de pièces précises, mais aussi pour “rechercher”, “copier ou photocopier” tous documents, sans autre détail, pouvant se rapporter à “l’origine, la nature et les modalités” de la participation d’EUROMEDICOM à l’organisation du congrès en cause ;
Que l’huissier a ainsi été investi, sous le seul contrôle de la société R et J EDITIONS MÉDICALES, d’une mission générale d’investigation et d’un pouvoir d’enquête assimilable à une perquisition civile qui excèdent manifestement les prévisions et limites de l’article 145 du nouveau code de procédure civile ;
Que la décision attaquée ayant refusé de rétracter l’ordonnance contestée doit dès lors être infirmée »[9].
Par sa décision commentée, la Cour de Cassation place son raisonnement plus haut dans son analyse. En limitant le champ d’autorisation de la requête aux fins de constat, par une ordonnance rendue non contradictoirement. Pour la Cour de Cassation, le principe est le contradictoire. En d’autres termes, il aurait fallu que la société ALEO INDUSTRIE attraie la société ARTOIS EQUIPEMENT devant le Président du Tribunal de Commerce d’ARRAS, dans le cadre d’une procédure dite de référé contradictoire. Dans une telle hypothèse, la désignation d’un Huissier n’est plus envisageable. Il faut passer par la demande de désignation d’un expert, dont la mission est évidemment encadrée par l’ordonnance de référé à intervenir, mais également les dispositions des articles 245 et suivants du Code de Procédure Civile.
Pour parvenir à la désignation d’un expert, il faut d’abord démontrer au terme d’un débat contradictoire, qu’il y a une présomption ou un commencement de preuve, de concurrence déloyale. En l’absence de commencement de preuve, la désignation de l’expert ne s’impose pas.
A supposer l’expert désigné, celui-ci peut être encadré dans sa mission, saisir éventuellement le Magistrat en charge de la Surveillance des expertises, de difficultés, notamment en ce qui concerne la communication de certaines informations qui se heurteraient au secret des affaires, procéder seul à la lecture de certains documents, et n’y extraire que les éléments susceptibles de caractériser des actes de concurrence déloyale.
C’est assurément un schéma idéal dans lequel la prétendue victime peut faire contradictoirement constater certains actes qu’elle qualifie de concurrence déloyale. Pour autant, ces investigations protégeront le secret des affaires du « prétendu auteur », en dehors du périmètre de la concurrence déloyale.
II – 3. Vers la fin des procès-verbaux de perquisition ?
Il faut le souhaiter. L’exécution de ce type d’ordonnance est toujours source d’émoi dans une entreprise. Il est toujours pénible pour un dirigeant et ses salariés, de subir l’arrivée en fanfare, de services de police, d’un Huissier de Justice, d’un informaticien et d’un serrurier qui, au seul motif d’un prétendu ordre du Juge, appréhendent au seul bénéfice de la victime, et sans souci de protection du secret des affaires, toutes les informations financières, commerciales et techniques.
Le procès-verbal ne devient donc plus une mesure dite in futurum, c’est-à-dire établie dans le cadre de la recherche de preuves préalable à l’introduction d’un procès en concurrence déloyale, mais constitue tout simplement une source de documentation à destination de la victime qui par ce détournement de la procédure, organise sous couvert de justice, un acte de concurrence déloyale.
Sous le bénéfice de ces explications, on comprend à quel point la décision de la Cour de Cassation est astucieuse. En effet, en rappelant simplement qu’on ne peut confier légalement des pouvoirs d’investigation à un Huissier dont sa mission au sens de l’article 1 de l’ordonnance de 1945 ne peut être que le constat, la Cour de Cassation prenait le risque d’organiser un débat de fond entre les juridictions du fond sur la différence entre ce qui caractérise une mission de constat et une mission d’investigation.
A l’inverse, en posant en principe général le contradictoire, la Cour de Cassation renvoie ce type de constatation à l’expertise, qui devrait avoir pour effet de vider toute légitimité de requête déposée non contradictoirement aux fins de constat. Pour le prétendu auteur de l’infraction, la défense est assez simple. Elle consiste à solliciter et à obtenir la rétractation de l’ordonnance, au motif de l’absence de débat contradictoire préalable.
L’intérêt est d’autant plus visible lorsque l’on prend lecture de l’arrêt de la Cour d’Appel de DOUAI censuré, qui parvient à considérer que l’Huissier, malgré la mission exceptionnellement large qu’on lui avait confiée, ne faisait que… constater.
Eric DELFLY
VIVALDI-Avocats
[1] CA DOUAI 15 février 1999, n° 98/10917
[2] Cass. Civ 2., 25 janvier 1973, n°72-10.431, Cass. Civ 2, 6 février 1980, n°78-16.312 et Cass.Civ. 2. 15 novembre 1994, n°92-21.597
[3] CA DOUAI 14 octobre 2008, Ch. 1, S. 2, RG 06/0087
[4] CA DOUAI 25 juin 2009, RG 08-07485
[5] Cass. civ. II, n° 72-104431
[6] Cass. civ. II, n° 78-16312
[7] Cass. com. 92-21597
[8] CA PARIS 27 février 2002, n° 2001/12373
[9] CA Paris, 27 février 2002, n° de RG : 2001/12373