Le point de départ de la prescription quinquennale est subordonné à l’acquisition d’une connaissance complète et chiffrée du dommage par l’entreprise générale.
Cass. 3e civ., 27 nov. 2025, n° 23-22.017, n° 565 D
Une entreprise générale, intervenant à la fois comme constructeur et comme vendeur, avait confié à un sous-traitant, dans le cadre d’un contrat-cadre, la réalisation de travaux de pose de poêles et d’inserts au domicile de ses clients. Dès 2012, des dysfonctionnements affectant certaines installations ont conduit l’entreprise principale à alerter sa clientèle sur les risques encourus et à procéder à plusieurs déclarations de sinistre auprès de son assureur.
Estimant que la sécurité des utilisateurs était compromise, l’entreprise générale a pris l’initiative de faire exécuter l’ensemble des travaux de reprise nécessaires, qu’elle a intégralement financés par avance. Elle a parallèlement indemnisé certains clients à titre transactionnel. Afin d’identifier l’origine des désordres et d’en apprécier la gravité, plusieurs expertises amiables ont été diligentées au cours des années 2013 et 2014.
Ce n’est qu’à l’issue de ces investigations techniques que l’entreprise générale a estimé être en mesure de rattacher les désordres aux travaux du sous-traitant et d’en mesurer l’incidence financière globale. Se prévalant du caractère décennal des dommages, elle a alors engagé, le 25 octobre 2017, une action directe contre l’assureur de responsabilité décennale du sous-traitant, afin d’obtenir le remboursement des sommes exposées.
Les juges du fond ont accueilli cette action. Ils ont retenu que le délai de prescription quinquennale prévu par l’article 2224 du code civil n’avait commencé à courir qu’à compter du moment où l’entreprise principale disposait d’une connaissance suffisamment précise, à la fois de l’imputabilité des désordres et du montant des dépenses qu’elle devait supporter, soit à la date du dernier rapport d’expertise rendu en 2014. L’action introduite en 2017 étant intervenue avant l’expiration de ce délai, elle a été déclarée recevable.
La solution retenue s’inscrit dans une jurisprudence désormais constante de la Cour de cassation en matière de prescription de l’action exercée par l’entreprise principale contre l’assureur du sous-traitant.
La Haute juridiction rappelle de façon régulière que le point de départ de la prescription de l’article 2224 du code civil ne peut être fixé à la date des premiers désordres, ni même à celle des premières dépenses engagées par l’entreprise générale. Il ne commence à courir qu’à compter du moment où celle-ci dispose d’une information complète et consolidée, tant sur l’imputabilité des désordres que sur leur coût global.
Ainsi, la Cour a déjà jugé que le délai de prescription ne court qu’à compter des conclusions de l’expertise permettant à l’entreprise principale d’avoir une vision précise des responsabilités encourues et des sommes à avancer (Cass. 3e civ., 16 janvier 2020, n° 18-25.915 ; Cass. 3e civ., 14 décembre 2022, n° 21-21.305). L’arrêt commenté s’inscrit dans le prolongement direct de cette ligne jurisprudentielle, en consacrant le rôle central de l’expertise dans la détermination du point de départ de la prescription.
Cette approche protège utilement l’entreprise principale qui, soucieuse de remédier rapidement aux désordres et d’indemniser les victimes, engage des dépenses parfois importantes avant même que l’étendue exacte de sa charge financière ne soit connue. Elle évite qu’une action récursoire contre l’assureur du sous-traitant ne soit prématurément paralysée par la prescription, alors même que les responsabilités et les montants en jeu ne sont pas encore clairement établis.

