Point de départ du délai de prescription de l’action en résiliation du bail pour défaut de délivrance par le Bailleur

Thomas Chinaglia

Les obligations du bailleur, consistant à délivrer la chose louée au preneur et à lui en garantir la jouissance paisible, demeurent exigibles pendant toute la durée du bail. Par conséquent, le maintien d’un manquement à ces obligations constitue un motif permettant au locataire de solliciter la résiliation du contrat de bail.

Civ. 3ème, 10 juill. 2025, n° 23-20.491

I –

Par cet arrêt de censure partielle, dont la portée est renforcée par la généralité des visas et par sa publication au Bulletin, la Cour de cassation réaffirme que les obligations essentielles du bailleur s’imposent durant toute la durée du contrat. Elle en déduit surtout des conséquences déterminantes en matière de prescription de l’action en résiliation introduite par le preneur en cas de violation de ces obligations.

En l’espèce, une SCI avait conclu un bail commercial avec une société portant sur un terrain, des hangars et des bureaux destinés à une activité d’exploitation forestière, de négoce de bois d’œuvre et de scierie. En cours de bail, la SCI avait réduit d’un tiers la surface louée en y édifiant un hangar et un parking loués à un tiers, tout en restreignant l’accès aux bâtiments objet du contrat. La locataire a alors sollicité la résiliation du bail et la réparation de son préjudice.

La cour d’appel de Colmar (17 mai 2023, n° 21/01877) rejette cette demande, estimant qu’en vertu de l’article 2224 du code civil, le délai de prescription quinquennale applicable à l’action en résiliation fondée sur le manquement du bailleur à son obligation de délivrance ou de jouissance paisible commence à courir dès que le preneur a eu connaissance de la réduction de la surface louée et de l’entrave d’accès.

La Cour de cassation censure ce raisonnement : considérant qu’il s’agit de manquements à des obligations continues du bailleur, elle juge que la prescription de l’action intentée par le preneur ne commence à courir qu’aussi longtemps que le manquement perdure.

II –

Conformément à l’article 1719 du code civil, et indépendamment de son obligation d’assurer la permanence et la qualité des plantations (sans incidence en l’espèce), le bailleur est tenu de délivrer le local, d’en garantir la jouissance paisible à son cocontractant et de l’entretenir.

Ces obligations essentielles, inhérentes à un contrat à exécution successive, doivent être exécutées par le bailleur tout au long de la relation contractuelle, ce que la jurisprudence rappelle régulièrement — y compris lors du renouvellement du bail (Civ. 3e, 16 juin 1999, n° 97-16.764).

Cette exigence s’applique aussi bien à l’obligation de délivrance (Civ. 3e, 28 nov. 2007, n° 06-17.758), à laquelle le bailleur ne peut valablement déroger par convention (Civ. 1re, 11 oct. 1989, n° 88-14.439), qu’à l’obligation d’entretien (Civ. 3e, 13 oct. 2021, n° 20-19.278) et à celle d’assurer la jouissance paisible des lieux.

L’apport essentiel de la présente décision réside dans les conséquences tirées de ce caractère continu des obligations, en matière de délai ouvert au locataire pour agir en résiliation du bail.

III –

L’article 2224 du code civil prévoit que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». La question posée en l’espèce était de savoir si cette règle devait être appliquée strictement.

La Cour de cassation répond par la négative, en se fondant sur les articles 1709, 1719 et 2224 du code civil. Elle estime que la cour d’appel a méconnu ces textes en déclarant l’action en résiliation partiellement prescrite au motif que le délai quinquennal commençait à courir dès que le preneur avait connaissance des manquements du bailleur à son obligation de délivrance ou de jouissance paisible. Or, dans cette affaire, la réduction de la surface louée et l’entrave à l’accès persistaient.

Cette décision s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence inaugurée par la même troisième chambre en 2018, selon laquelle le point de départ de la prescription d’une action en résiliation d’un bail correspond à la cessation de l’infraction contractuelle (Civ. 3e, 1er févr. 2018, n° 16-18.724).

En l’espèce, il s’agissait d’un bail rural et d’une sous-location interdite.

Certains auteurs ont proposé un parallèle avec le droit pénal : le point de départ de la prescription varie selon que l’infraction est continue ou instantanée.

Certains émettent toutefois une critique : en droit civil, la prescription ne devrait pas dépendre de la durée de la faute, mais de l’inaction des demandeurs potentiels, laquelle atteste d’un retour à la paix sociale, peu importe que la violation contractuelle se prolonge.

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