Dans un important arrêt de l’assemblée plénière, publié au Bulletin et au Rapport, la Cour de cassation subordonne l’adoption des décisions collectives des associés à la majorité des voix exprimées. La clause des statuts prévoyant des règles contraires, notamment l’adoption par le vote d’une minorité d’associés, est réputée non écrite.
Source : Ass. Plén. 15 novembre 2024, n°23-16.670
I – Faits et procédure
A la suite d’une assemblée générale extraordinaire, les associés d’une SAS, holding d’animation, ont décidé d’augmenter le capital social par l’émission de nouvelles actions, de supprimer le droit préférentiel de souscription réservé aux associés et de réserver l’émission des nouvelles actions à une SARL par ailleurs présidente de la SAS précitée.
Ces décisions ont été prises par 46 % de votes pour et 54 % de votes contre.
Ce résultat et ces décisions ont été prises en application d’un article des statuts rédigé ainsi : « les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré ».
La SAS et ses associés ont été assignés en annulation de la délibération de l’AGE.
Dans un arrêt du 19 janvier 2022[1], la chambre commerciale de la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Paris qui jugeait la résolution de l’AGE valablement adoptée.
Mais les juges du fond, statuant sur renvoi, refusent de changer leur position et persistent à reconnaître la clause des statuts valable, ils considèrent donc une nouvelle fois la résolution de l’AGE valablement adoptée.[2]
L’assemblée plénière censure une ultime fois la décision des juges du fond et donne raison à la chambre commerciale. La liberté statutaire des SAS se trouve restreinte par un nouveau principe : les statuts ne peuvent permettre l’adoption de décisions collectives des associés qui auraient reçu une minorité de votes.
Une décision collective des associés d’une SAS n’est valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées et doit donc rassembler « en sa faveur le plus grand nombre de voix ».
II – Un principe qui restreint la liberté statutaire des SAS
Le litige à l’étude invite la Cour de cassation à choisir entre deux conceptions de la SAS, celle dans laquelle domine une grande liberté statutaire et celle qui voit la SAS davantage encadrée par la loi et des principes dégagés par la jurisprudence. C’est cette dernière conception qui est ici choisie par la Haute Cour.
L’arrêt de l’assemblée plénière est rendu au visa des articles 1844 alinéa 1er et 1844-10 alinéas 2 et 3 mais également de l’article L. 227-9, alinéas 1 et 2 du Code de commerce. C’est de cet article que les juges du fond ont cru pouvoir déduire que les conditions d’adoption de la délibération litigieuse étaient permises par la loi puisqu’il permet aux statuts d’une SAS de déterminer « les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu’ils prévoient ». Les juges du fond ont donc considéré que les statuts pouvaient mettre en place des conditions d’adoption d’une délibération excluant l’application d’une règle de majorité.
L’assemblée plénière rappelle néanmoins que tout associé a le droit de participer aux décisions collectives et qu’une clause statutaire contraire à une disposition impérative du titre IX du livre III du Code civil est réputée non écrite. De plus, elle rappelle également que certaines attributions dévolues aux AGE et AGO, notamment en matière d’augmentation de capital, sont « dans les conditions exercées par les statuts, exercées collectivement par les associés ».
C’est de cette dernière référence, l’exercice collectif par les associés d’une attribution dévolue aux assemblées générales, que la formation de jugement la plus solennelle de la Cour de cassation déduit qu’une décision collective d’associée ne peut être adoptée qu’en rassemblant en sa faveur le plus grand nombre de voix, afin d’éviter qu’un même scrutin ne constate l’adoption de deux décisions contraires.
Il est précisé que la majorité dont il est ici question correspond à « la majorité des voix exprimées » soit celle qui réunit le plus grand nombre de voix, ce qui constitue une clarification par rapport à l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation qui faisait quant à lui référence à « la majorité simple des voix exprimés ». Ainsi, la résolution valablement adoptée est celle qui réunit le plus grand nombre de voix, peu importe qu’elle réunisse la moitié des voix exprimées.
Le principe ici énoncé par la Cour de cassation constitue donc une restriction à la grande liberté statutaire des SAS.
III – Pour aller plus loin
Tout d’abord, le principe dégagé par l’arrêt à l’étude s’applique aux décisions collectives, qu’elles soient prévues par la loi ou par les statuts. Ainsi, lorsque la loi ou les statuts s’en remettent à la collectivité des associés, seule la majorité des voix exprimés peut permettre l’adoption d’une résolution.
Alors que les faits à l’étude portaient sur une augmentation de capital, décision que l’article L. 227-9 alinéa 2 du Code de commerce dispose devant être adoptée par la collectivité des associés, la Cour de cassation étend ce principe à toutes les décisions de l’alinéa 1 de ce même article, à savoir les « décisions qui doivent être prises collectivement par les associés » déterminées par les statuts.
De plus, la solution de la Haute Cour est avant tout une réponse pratique aux situations potentielles de blocage et d’instabilité évidentes : permettre qu’une minorité d’associés puisse adopter une décision collective c’est laisser la voie à ce qu’une autre minorité puisse immédiatement défaire ce qui vient d’être adopté. En effet, lors d’une même assemblée générale, deux décisions incompatibles pourraient être adoptées l’une après l’autre, exemple :
- 1ère résolution : vote sur la révocation du DG, Michel B., 30 % de seuil minimum requis d’après les statuts, 35 % votent pour sa révocation, le DG est révoqué,
- 2ème résolution : vote pour la nomination du nouveau DG, 65 % de votes en faveur de Michel B., Michel B. est élu DG.
Dans ce cas quelle décision faire prévaloir ? L’insécurité juridique et les difficultés pratiques qu’auraient suscité la règle de la minorité auraient risqué de dissuader de recourir à la SAS, alors que la liberté statutaire permet au contraire une grande attractivité.
L’avocat général à la Cour de cassation relève de plus, que la désignation d’un mandataire ad hoc ne réglerait pas le problème : « il se retrouverait dans une impasse tout aussi importante puisqu’il serait confronté à des fronts ou à des associés minoritaires qui disposent également du pouvoir d’adopter ou de faire adopter une délibération ». Ce dernier relève par ailleurs que la formulation d’une question soumise à la délibération collective peut être posée sous forme positive ou négative, deux formulations contraires qui peuvent être adoptées par deux blocs minoritaires qui satisfont au seuil prévu par les statuts.
De plus, il faut envisager l’articulation de la règle permettant un vote minoritaire avec la jurisprudence récente de la Cour de cassation, on pense ici principalement à l’arrêt Larzul 2[3], qui permet de faire annuler une décision d’assemblée générale irrégulière si cette irrégularité a eu une influence sur le processus de décision. En cas de décision adoptée par un vote minoritaire et entachée d’une irrégularité, il y a fort à parier que l’annulation sera prononcée, là où le sens de l’arrêt Larzul 2 visait davantage à sécuriser des décisions en écartant l’irrégularité qui n’aurait pas eu d’impact sur le processus de décision.
Ensuite, le visa des articles 1844 et 1844-10 laisse penser que le principe dégagé est transposable à toutes les sociétés, là où la chambre commerciale semblait cantonner sa décision aux SAS. Dans de nombreux cas, la loi impose déjà le recours à la majorité, parfois plus, pour l’adoption des décisions d’associés (SARL, SA, SCA).
Le nouveau principe dégagé par la Cour de cassation, s’il est effectivement transposable à toutes les formes de société, et pour les cas où la loi laisse aux statuts la possibilité de fixer les conditions de l’adoption d’une décision, réputerait non écrite toute clause permettant qu’une décision n’ayant pas récolté la majorité des voix exprimés puisse produire ses effets.
Enfin, pour en revenir au cas spécifique de la SAS, il est rappelé qu’il est toujours permis de séparer le nombre d’actions détenues et le nombre de voix y associé.
En effet, les statuts d’une SAS peuvent prévoir des clauses faisant bénéficier à certains associés d’un droit de vote multiple. Cette spécificité de la SAS trouve son fondement légal dans l’article L. 227-1 du Code de commerce qui écarte les dispositions applicables aux SA concernant les modalités de vote en AG et en particulier l’article L.225-122 qui impose la proportionnalité entre le droit de vote attaché aux actions de capital et la quotité de capital qu’elles représentent.
Les actions de préférence qui prévoient un droit de vote multiple constituent également un mécanisme qui permet d’attribuer un droit de vote plus important que celui qui lui aurait été attribué par la comptabilisation du nombre d’actions en sa possession.
En cas de droit de vote multiple, dans l’absolu, la situation d’une décision adoptée par un nombre d’actions minoritaire mais ayant plus de poids dans le calcul des suffrages est possible. Cette situation ne nous semble pas devoir poser de problèmes dans la mesure où c’est le nombre de voix qui est pris en compte pour le décompte (et donc pour l’obtention d’une majorité) et non le nombre d’actions détenues par les associés s’étant exprimés pour ou contre l’adoption d’une résolution.
[1] Cass. Com. 19 janvier 2022, n°19-12.696, publié au Bulletin
[2] CA Paris 4 avril 2023, no 22/05320
[3] Cass. Com. 15 mars 2023, n°21-18.324