Marc le franc ou rang des créanciers ?

Etienne CHARBONNEL
Etienne CHARBONNEL - Avocat associé

 

Source : Cass. Com 11 juin 2014, Pourvoi n°13-12.658, FS-P+B+R+I

 

La Cour de Cassation vient d’opérer un revirement très important, sur le sujet de la répartition du produit des actions effectuées dans l’intérêt collectif des créanciers.

 

En effet, selon une jurisprudence extrêmement ancienne, unanimement critiquée en doctrine, la répartition du produit des actions introduites par le liquidateur judiciaire, pour l’intérêt collectif des créanciers, s’opérait au marc le franc, écartant ainsi le rang des créanciers dont il n’était dès lors pas tenu compte.

 

Cette jurisprudence s’explique sur un plan historique puisque, antérieurement à la loi de 1985, existait, dans le cadre des procédures collectives, la masse des créanciers disposant de la personnalité morale et corrélativement d’un patrimoine distinct de celui du débiteur en procédure collective.

 

La conséquence juridique de l’existence de ce patrimoine distinct était que les sommes recouvrées dans le cadre des actions introduites au nom et pour le compte de la masse, appartenaient à un patrimoine autre que celui des débiteurs. Les créanciers disposant d’un privilège sur le patrimoine du débiteur, et non sur celui de la masse, leur privilège ne pouvait entrer en ligne de compte, dans le cadre de la répartition du produit de ces actions, au sein de la masse.

 

Postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi de 1985 et à la disparition de la masse des créanciers, la jurisprudence a, de manière critiquable, continué à appliquer ce principe en ne tenant pas compte du rang des privilèges dans le cadre de la répartition des produits de ce type d’actions.

 

Un texte spécial prévoit toutefois une telle répartition au marc le franc : il s’agit de l’article L.651-2 alinéa 3, dans sa rédaction issue de la loi de sauvegarde, qui existait déjà dans le cadre de la loi de 1985 et qui prévoit que le produit des actions en responsabilité pour insuffisance d’actifs, exercées contre les dirigeants fautifs est réparti entre tous les créanciers au marc le franc.

 

La jurisprudence considérait, par extension, et non limitativement aux seules actions introduites contre les dirigeants fautifs, que tous les produits des actions engagées dans l’intérêt de la procédure devaient être répartis au marc le franc.

 

Dans l’arrêt ici commenté du 11 juin 2014, la Chambre Commerciale casse l’arrêt d’appel qui avait fait application de cette jurisprudence ancienne, au visa de l’article L.622-29 du Code de Commerce (devenu depuis la loi de sauvegarde, l’article L 643-8 du Code de Commerce, et qui dispose :

 

« Le montant de l’actif, distraction faite des sommes payées aux créanciers privilégiés est réparti entre tous les créanciers au marc le franc de leurs créances admises ».

 

La simple lecture de l’article ne laisse que peu de place au doute : il doit bien être tenu compte du privilège de chacun des créanciers pour la répartition de l’actif du débiteur.

 

Le principe, pourtant déjà ancien dans les textes, devra désormais être appliqué également en jurisprudence : la prise en compte du privilège de chacun des créanciers. La solution ancienne d’une répartition en marc le franc ne demeure que l’exception, dans le cadre très précis d’un texte spécial : l’action à l’encontre d’un dirigeant fautif.

 

Etienne CHARBONNEL

Vivaldi-Avocats

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