L’interdiction des poursuites individuelles dès le jugement d’ouverture d’une liquidation judiciaire bénéficie-t-elle aussi aux dirigeants ?

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

L’administration des douanes qui met en cause la responsabilité du dirigeant pour ses fautes personnelles commises, peut-elle se voir opposer les dispositions de l’article L622-21 du Code de commerce, qui interdisent / interrompent les procès intentés contre la société placée en liquidation judiciaire ?

Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 29 mars 2023, 21-21.005, Publié au bulletin

I – Les lecteurs de la newsletter Chronos sauront d’ores et déjà que conformément à l’article L622-21 du Code de commerce, le jugement d’ouverture d’une liquidation judiciaire interrompt ou interdit toute action en justice de la part des créanciers, tendant au paiement d’une somme d’argent.

Attention, l’ouverture de la liquidation judiciaire entraine la suspension de certains procès intentés contre la société, mais pas tous. Pour distinguer les procédures suspendues, les lecteurs pourront se référer à l’article Chronos relatif à l’arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 2022 ( https://vivaldi-chronos.com/louverture-dune-liquidation-judiciaire-entraine-la-suspension-de-certains-proces-intentes-contre-la-societe-mais-pas-tous/ ).

Sont donc interdites ou interrompues les actions qui réunissent les deux conditions cumulatives suivantes :

  • Concernent des créances nées antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure collective.  
  • Concernent le paiement d’une somme d’argent : Condamnation du débiteur, ou résolution d’un contrat.  

Dans ce cas, l’instance est interdite ou interrompue jusqu’à ce que le créancier poursuivant ait procédé à sa déclaration de créance en bonne et due forme. A défaut, l’instance peut être poursuivie

En résumé  :

■ Par principe, les instances sont interdites ou interrompues lorsqu’une société est placée en procédure collective.  

■ Par exception, certaines procédures peuvent être poursuivies :   

– Procédures concernant des créances dites « postérieures »,  
– Procédures ne visant pas (i) la condamnation du débiteur à paiement, ou (ii) la résolution d’un contrat pour défaut de paiement. (Ex : Action en résolution d’un contrat pour inexécution d’une prestation de livraison d’un bien).  

Cependant, le texte n’indique pas si la suspension des poursuites s’applique à l’égard de la société exclusivement, ou si le dirigeant pourrait également bénéficier de cette prérogative.

C’est précisément sur cette problématique que la Cour de cassation prend aujourd’hui position dans un arrêt désormais publié au bulletin.

II – Une société, composée d’un associé unique personne physique, également dirigeant, commercialisait en France des boissons non alcoolisées qu’elle importait. Elle est placée en liquidation judiciaire.

Les prémices du contentieux s’illustrent à l’occasion d’un contrôle des douanes, qui constatent que la société n’acquittait pas les droits et contributions indirectes prévues par le code général des impots.

Un procès-verbal d’infraction lui est notifié suivi quelques semaines après, d’un avis de mise en recouvrement…. Le problème est que, juste après, la société est placée en liquidation judiciaire.

Une seconde notification de procès-verbal, pour les mêmes faits est adressée dans un second temps, directement au dirigeant, avec un second avis de recouvrement, pour la même créance (environ 300.000€).

Le dirigeant, qui s’est vu rejeter sa contestation, décide d’assigner l’administration des douanes pour obtenir l’annulation de la notification d’infraction, de l’avis de mise en recouvrement, et le dégrèvement du redressement.

III –  Les juges du second degré considèrent que :

« les actions poursuivies contre les dirigeants sociaux  à raison de leurs fautes personnelles, ne sont pas soumises à la suspension des poursuites individuelles frappant la société placée en liquidation judiciaire ».

Le dirigeant leur en fait grief, considérant que l’article susmentionné, joint à l’article L641-3 du code de commerce obligeant les créanciers a déclarer leurs créances au liquidateur, avaient été violés.

C’est dans ce contexte que la Haute Cour est amenée à prendre position en ces termes :

« 6. Il résulte de l’article L. 622-21 du code de commerce, rendu applicable à la liquidation judiciaire par l’article L. 641-3 de ce code, que le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n’est pas mentionnée au I de l’article L. 622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent.

7. Les dispositions de ce texte ne profitant qu’au seul débiteur en procédure collective, c’est à bon droit que l’arrêt retient que les actions poursuivies contre les dirigeants sociaux, à raison de leurs fautes personnelles, ne sont pas soumises à la suspension des poursuites individuelles et que l’administration des douanes ne s’est pas affranchie de cette règle en poursuivant M. [H], sur le fondement des articles 1799 et 1799 A du code général des impôts, en sa qualité de personne solidaire ayant permis de commettre ou de faciliter la fraude.
 »

Ainsi donc la Cour de Cassation affirme que les dispositions de l’article L622-21 du  Code de commerce ne profitent qu’au seul débiteur de la procédure collective, c’est-à-dire la société.

Le dirigeant, poursuivi directement à raison de ses fautes personnelles, n’est pas considéré comme un débiteur de la procédure collective et ne peut donc jouir de cette prérogative, le pourvoi est donc rejeté.

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