L’insaisissabilité de la résidence principale de l’associé de société : demain, peut-être…

Frédéric VAUVILLÉ
Frédéric VAUVILLÉ

Source : Code de commerce : Section 1 : De l’insaisissabilité de la résidence principale (Articles L526-1 à L526-5)

 

La limite est congénitale : le législateur de 2003 a organisé la déclaration notariée d’insaisissabilité de la résidence principale au profit de l’entrepreneur qui, par choix ou par ignorance, ne crée pas de société ; il lui suffit en effet de loger l’entreprise dans une structure sociétaire pour mettre sa maison à l’abri des poursuites des créanciers professionnels. Bref, la protection ne joue qu’à défaut d’écran social.

 

C’est bien ainsi que le dispositif a été d’emblée compris. Il a été expliqué au lendemain de la loi Dutreil du 1er août 2003 que le gérant de société ne peut pas faire de déclaration d’insaisissabilité car « la constitution d’une société pour l’exercice d’une profession permet de diviser le patrimoine en faisant apport du patrimoine professionnel à la société mais en réservant le patrimoine privé de la personne physique du chef d’entreprise ; dès lors, le patrimoine social constitue le gage commun des créanciers professionnels, tandis que le patrimoine privé du chef d’entreprise reste hors de leur portée dans la totalité de ses éléments bien au-delà de la seule habitation principale » (Rép.Min. JO Sénat, 27 octobre 2005, page 2797). C’est pourquoi il a été logiquement estimé que le dispositif ne pourrait bénéficier à l’associé d’un GAEC (Rep. Min. n° 66042, JOAN Q, 2 août 2005, page 7580 ; sur cette question, voir par exemple notre étude « Questions de déclaration notariée d’insaisissabilité », Florilège de printemps 2006, études du Cridon Nord-Est, pages 51 et suivantes).

 

La loi dite Macron du 6 août 2015, qui a rendu la résidence principale de droit insaisissable tout en maintenant le dispositif de la déclaration alors limité aux autres immeubles non affectés à la profession, n’a en rien modifié la donne : seul l’EI est protégé.

 

De manière assez inattendue, le débat a été récemment relancé. D’abord à l’initiative de la Fédération nationale de droit du patrimoine qui a proposé de modifier l’article L.526-1 du Code de commerce pour rendre de droit insaisissables « les droits d’une personne physique dirigeant de droit d’une PME, exerçant une activité commerciale, artisanale, libérale ou agricole sur sa résidence principale » (Consacrer l’insaisissabilité de la résidence principale du dirigeant de PME par S.GUILLAUD-BATAILLE, et C.LISANTI, JCP édition N 2020, n° 1218). Néanmoins, en raison de « la proximité sociologique entre l’entrepreneur individuel et les dirigeants de PME », le dispositif serait limité aux entreprises ne dépassant pas un certain seuil.

 

A peu près au même moment, lors de l’improbable 116ème congrès des notaires de France, il fut également suggéré de modifier l’article L.526-1 pour rendre insaisissables « les droits d’un entrepreneur et d’un associé ne bénéficiant pas d’une limitation de leur responsabilité professionnelle, sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale » (voir la 3ème proposition de la 3ème commission in JCP édition N 2020, supplément au n° 47, page 36). Il fut expliqué que si certains associés « exercent dans le cadre d’une structure qui limite leur responsabilité au montant de leur apport (membres des sociétés anonymes, sociétés par actions simplifiées, sociétés à responsabilité limitée), existent d’autres associés dont la responsabilité est illimitée, voire solidaire ». Sont ici visés ceux qui exercent dans le cadre d’un GAEC, une société en nom collectif ou encore une société civile professionnelle (voir B.PAVI, JCP édition N 2020, Préc. page 33).

 

L’approche nous paraît beaucoup plus pertinente même s’il serait judicieux de viser « les droits d’un entrepreneur individuel ou d’un associé ne bénéficiant pas d’une limitation de sa responsabilité professionnelle ». La proposition de la FNDP nous parait en effet à la fois trop large et trop restrictive. Trop large car la formule proposée prend en compte les structures sociétaires intrinsèquement protectrices ; trop réduite car on ne comprend pas pourquoi un codirigeant de droit ne pourrait sauver sa maison au seul motif que l’entreprise est d’une certaine taille (comp. C. Lisanti et V. Antin qui revenant sur la proposition du Congrès, émettent une contre-proposition pour limiter le dispositif aux PME : « Etendre l’insaisissabilité automatique de la résidence principale à tout entrepreneur indéfiniment responsable », SNH 38/20).

 

Quoi qu’il en soit, en cas de procédure collective, quelle que soit la mouture qui séduirait le législateur, on ne pourrait pas, comme on l’a pensé (voir la proposition précitée de la FNDP, n° 16 et 17) purement et simplement transposer les solutions dégagées jusqu’à présent par la jurisprudence à propos de la déclaration notariée d’insaisissabilité. D’abord, si l’on étend le dispositif à « tout dirigeant de droit d’une PME » même si elle exerce une activité commerciale, artisanale, libérale ou agricole, il n’y aura pas en principe de procédure collective à l’égard du dirigeant : il ne s’agira pas d’une « personne exerçant une activité commerciale, artisanale, ou une activité agricole, … ou une personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante » au sens de l’article L.620-2 du Code de commerce, sous réserve du cas des associés de SNC (car selon la Cour de cassation, ils ont de droit la qualité de commerçants et sont réputés exercer une activité commerciale : Cass. Civ. 2 ème 5 déc. 2013, n° 11-28092, D 2013. Actu. 2911. Obs. Lienhard ; Rev. Sociétés 2014. 199, obs. Henry, BJS 2014. 184, note F-X Lucas). On ne peut donc assurément pas dire que « les questions vont se poser en des termes strictement identiques pour l’insaisissabilité de la résidence principale du dirigeant ».

 

Si l’on devait retenir la suggestion du congrès des notaires, l’associé « ne bénéficiant pas d’une limitation de (sa) responsabilité professionnelle » ne pourrait davantage être mis en procédure collective, faute à nouveau de remplir la condition posée par l’article L.620-2 (et à nouveau sous réserve des associés de SNC).

 

Bref, étendre le champ d’application de l’insaisissabilité de la résidence principale à certains associés, assurerait une protection « hors procédure collective » (v. nos observations in Répertoire Defrénois, janvier 2021), et seulement pour les dettes nées à l’occasion de l’activité de la société (sous réserve d’une renonciation in favorem que les banquiers ne manqueront pas de solliciter).

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