Une cour d’appel, qui relève que le maître de l’ouvrage ne démontre pas avoir subi des inondations avant l’expiration du délai d’épreuve ni fait l’objet d’une injonction de l’administration aux fins de démolition ou de mise en conformité, peut en déduire que le risque d’inondation mentionné au rapport d’expertise judiciaire ne constitue pas un dommage relevant de la garantie décennale.
Cour de cassation 26 juin 2025 n° 23-18.306
I –
Une société civile immobilière a procédé à la construction d’un local à usage commercial et industriel, occupé après son achèvement par une société d’exploitation dirigée par deux personnes physiques.
Ont participé à cette opération de construction, en qualité de maître d’œuvre, une société spécialisée, une entreprise chargée des travaux de terrassement et de voirie réseaux divers, ainsi qu’une entreprise chargée du lot maçonnerie et gros œuvre. Cette dernière a eu recours à une société sous-traitante pour l’exécution des travaux de dallage.
À la suite de désordres affectant l’ouvrage, une expertise a été ordonnée.
La société civile immobilière, la société d’exploitation et ses dirigeants ont assigné le maître d’œuvre, les entreprises intervenantes ainsi que leurs assureurs en réparation de leurs préjudices. Le maître d’œuvre a appelé en garantie son propre assureur.
II –
La cour d’appel a rejeté la demande indemnitaire formée par le maître d’ouvrage à l’encontre du maître d’œuvre, de l’entreprise de terrassement et de son assureur.
Elle a considéré que le désordre invoqué, qualifié par l’expert de risque d’inondation et de possible exigence de réfection par les autorités administratives, ne constituait pas un dommage actuel, mais un dommage futur non encore réalisé à l’expiration du délai de garantie décennale.
Le maître d’ouvrage reproche à la cour d’appel d’avoir méconnu les dispositions de l’article 1792 du Code civil en écartant la garantie décennale.
Il soutient que le risque avéré d’inondation et de demande de démolition ou réfection par les pouvoirs publics rend, en lui-même, l’ouvrage impropre à sa destination, indépendamment de sa réalisation effective dans le délai d’épreuve.
En s’abstenant de tirer les conséquences juridiques des constatations de l’expert, lesquelles établissent, selon le pourvoi, l’existence d’un désordre rendant l’ouvrage impropre à sa destination, la cour d’appel aurait violé la garantie décennale des constructeurs.
III –
La Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir écarté l’application de la garantie décennale.
Elle retient que la cour d’appel a souverainement constaté l’absence de réalisation du dommage dans le délai d’épreuve : ni inondation effective ni injonction administrative n’étaient intervenues avant l’expiration du délai de dix ans.
Elle en déduit que le risque identifié par l’expert, en l’absence de manifestation concrète, ne constitue pas un dommage relevant de la garantie décennale au sens de l’article 1792 du code civil.
IV –
Cet arrêt confirme que, conformément à l’article 1792 du Code civil, la garantie décennale suppose la manifestation d’un dommage effectif dans le délai d’épreuve de dix ans. Le simple risque, même sérieux et techniquement établi, ne suffit pas à engager la responsabilité décennale.
Toutefois, la jurisprudence admet que la garantie puisse être engagée avant la réalisation complète du dommage lorsque le risque est avéré, imminent et compromet gravement la solidité ou l’usage de l’ouvrage (Cour de Cassation, Chambre civile 3, du 25 mai 2005, 03-20.247). Cette appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond, qui examinent les circonstances de l’espèce.
En l’espèce, la cour d’appel a souverainement conclu que le risque d’inondation n’avait pas entraîné de dommage actuel ni d’injonction administrative dans le délai décennal, ce qui justifie le rejet de la garantie décennale.
Ainsi, l’arrêt illustre une application rigoureuse de la garantie décennale tout en s’inscrivant dans une jurisprudence constante reconnaissant la possibilité d’engager la garantie dès lors qu’un risque grave et imminent est établi.