Lorsque la liquidation judiciaire d’un locataire est ouverte juste après la résolution de son plan de redressement, le bail commercial ne peut pas être résilié pour des loyers impayés postérieurs au jugement d’ouverture du redressement. Toutefois, si une décision constatant ou prononçant la résiliation du bail a acquis force de chose jugée avant l’ouverture de cette nouvelle procédure, le bailleur peut s’en prévaloir. À défaut, le bail reste en vigueur et peut être transféré dans le cadre d’un plan de cession.
Com. 12 juin 2025, n° 23-22.076
I –
En l’espèce, une entreprise locataire de locaux commerciaux a été placée en redressement judiciaire en octobre 2019 après avoir reçu un commandement de payer pour loyers impayés. Malgré cette procédure, les impayés ont continué, et le bailleur a demandé la résiliation du bail auprès du juge-commissaire, qui l’a refusée. Le bailleur a formé opposition et obtenu gain de cause en janvier 2022, avec une décision assortie de l’exécution provisoire. L’expulsion du preneur a donc été prononcée en référé.
Parallèlement, un plan de redressement par continuation avait été arrêté en février 2021. Ce plan a été résolu en mars 2023, entraînant l’ouverture d’une liquidation judiciaire. Un mois plus tard, un plan de cession a été adopté, incluant le bail commercial. Le bailleur a contesté cette inclusion en soutenant que le bail avait déjà été résilié.
La cour d’appel a donné raison au bailleur en confirmant la résiliation du bail et en excluant ce dernier du plan de cession. Toutefois, la Cour de cassation casse cette décision : elle rappelle que l’ouverture d’une liquidation judiciaire après la résolution d’un plan de redressement constitue une nouvelle procédure collective. À ce titre, la résiliation d’un bail pour loyers impayés postérieurs au jugement d’ouverture du redressement n’est possible que si une décision ayant acquis force de chose jugée a prononcé cette résiliation avant le jugement d’ouverture de la liquidation.
En l’espèce, la résiliation n’avait pas acquis force de chose jugée à cette date. Le bail devait donc être considéré comme toujours en vigueur, et pouvait légalement être inclus dans le plan de cession. Par cet arrêt, la Cour de cassation précise le régime applicable aux résiliations de bail dans les enchaînements de procédures collectives et sécurise la possibilité de transférer un bail dans un plan de cession en l’absence de résiliation définitive.
II –
La Cour de cassation juge donc que la résolution d’un bail commercial prononcée en application d’une clause résolutoire en raison d’impayés doit être constatée par une décision passée en force de chose jugée antérieurement à l’ouverture de la procédure collective du preneur. A défaut, la résolution devient caduque et le bail commercial est considéré comme toujours en vigueur durant la période d’observation.
Conformément à l’article L.622-21 du Code de commerce, dans un tel cas de figure, le bailleur ne peut initier une nouvelle procédure visant à constater l’acquisition de la clause résolutoire en se fondant sur les impayés antérieurs.
Cependant, si le preneur ne paye toujours pas ses loyers dus durant la période d’observation, deux possibilités s’offrent au bailleur. Soit il décide de mettre à nouveau en œuvre la clause résolutoire présente dans le contrat de bail commercial et saisir dans la foulée le juge des référés pour faire constater son acquisition, soit il décide de saisir directement le juge-commissaire pour qu’il constate la résiliation de plein droit dudit contrat[1].
Pour rappel, l’article L.622-14 du Code de commerce dispose :
« Sans préjudice de l’application du I et du II de l’article L. 622-13, la résiliation du bail des immeubles donnés à bail au débiteur et utilisés pour l’activité de l’entreprise intervient dans les conditions suivantes :
1° Au jour où le bailleur est informé de la décision de l’administrateur de ne pas continuer le bail. Dans ce cas, l’inexécution peut donner lieu à des dommages et intérêts au profit du cocontractant, dont le montant doit être déclaré au passif. Le cocontractant peut néanmoins différer la restitution des sommes versées en excédent par le débiteur en exécution du contrat jusqu’à ce qu’il ait été statué sur les dommages et intérêts ;
2° Lorsque le bailleur demande la résiliation ou fait constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture, le bailleur ne pouvant agir qu’au terme d’un délai de trois mois à compter dudit jugement. […] »
Si le bailleur décide de mettre en œuvre la clause résolutoire, il sera tenu aux dispositions de l’article L.145-41 du même code qui dispose :
« Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai. […] »
Cependant, le droit des procédures collectives simplifie la procédure pour le bailleur qui n’a pas à recourir à un commandement de payer[2], tout en interdisant au juge commissaire d’appliquer des délais de paiement[3].
III –
La raison pour laquelle la Cour de cassation décide, dans l’arrêt commenté, que la liquidation judiciaire ouverte concomitamment à la résolution d’un plan de redressement judiciaire fait obstacle à la résiliation du bail pour des loyers échus postérieurement au jugement d’ouverture du redressement judiciaire, réside dans le fait que c’est une nouvelle procédure qui est ouverte et que donc, il doit être mis fin à la procédure de résiliation rattachée à la première procédure.
Il faut en comprendre que s’il s’était agi d’une simple conversion de procédures, la solution aurait été différente puisqu’il ne s’agirait plus de l’ouverture d’une « nouvelle » procédure. La Cour de cassation a jugé en ce sens en vue de préserver les chances de redressement du preneur ou de cession de son fonds de commerce en liquidation judiciaire, ce qui est entendable.
En revanche, pour le bailleur, la situation est cruelle. Celui-ci a subi des impayés préalablement à l’ouverture du redressement judiciaire, puis durant la période d’observation de cette première procédure, puis continuera à être soumis à la discipline collective durant la procédure de liquidation judiciaire. De ce fait, pour obtenir la résiliation du contrat de bail commercial et se donner une chance de faire affaires avec un nouveau preneur, il devra à nouveau patienter trois mois à compter de la date du jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire avant de faire constater par le juge-commissaire, la résiliation dudit contrat de bail commercial. Qui plus est, le bailleur ne pourra pas pour autant s’opposer à l’inclusion du contrat de bail dans un plan de cession ordonné sur les actifs et l’activité du preneur.
[1] Com. 10 juill. 2001, n° 99-10.397
[2] Com. 9 oct. 2019, n° 18-17.56
[3] Com. 18 mai 2022, n° 20-22.164