Source : Cour de Cass. Civile, Chambre commerciale, 4 novembre 2020, 16-28.281
Le titulaire d’une marque, « SAINT GERMAIN » déposée en décembre 2005 notamment pour désigner vins et spiritueux, a assigné en juin 2012 trois sociétés pour contrefaçon, celles-ci produisant et commercialisant une liqueur sous la dénomination « SAINT GERMAIN ».
La subtilité de cette action était constituée par le fait que le demandeur avait été définitivement déchu de ses droits portant sur sa marque à compter de mai 2011 pour défaut d’usage de celle-ci.
Malgré cela, il avait maintenu ses demandes contre ces 3 sociétés pour la période antérieure à cette déchéance, soit pour les faits antérieurs à mai 2011.
Les juges de 1ère instance puis d’appel ayant considéré que l’atteinte n’était pas démontrée, faute d’usage, le demandeur a formé un pourvoi.
Dans le cadre de son examen, la Haute Juridiction française saisit la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) par voie d’une question préjudicielle portant sur la possibilité d’invoquer une marque déchue dans le cadre d’une action en contrefaçon pour la période précédant sa déchéance.
Dans un arrêt en date du 26 mars 2020 (affaire C-622/18), la CJUE laisse toute latitude aux Etats membres pour permettre au « titulaire d’une marque déchu de ses droits à l’expiration du délai de cinq ans à compter de son enregistrement pour ne pas avoir fait de cette marque un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle avait été enregistrée » de conserver « le droit de réclamer l’indemnisation du préjudice subi en raison de l’usage, par un tiers, antérieurement à la date d’effet de la déchéance, d’un signe similaire pour des produits ou des services identiques ou similaires prêtant à confusion avec sa marque ».
La CJUE précise en outre « qu’il convenait d’apprécier, au cours de la période de cinq ans suivant l’enregistrement de la marque, l’étendue du droit exclusif conféré au titulaire, en se référant aux éléments résultant de l’enregistrement de la marque et non pas par rapport à l’usage que le titulaire a pu faire de cette marque pendant cette période ».
Dans son arrêt du 4 novembre 2020, La Cour de cassation s’inscrit dans la droite ligne de cette réponse apportée par la juridiction européenne, considérant que la déchéance d’une marque ne produit ses effets qu’à l’expiration d’une période ininterrompue de cinq ans sans usage sérieux, son titulaire étant en droit de se prévaloir de l’atteinte portée à ses droits sur la marque au titre d’actes de contrefaçon intervenus avant sa déchéance.
Ainsi, aucun usage de la marque antérieure n’a besoin d’être démontré pour agir en contrefaçon si la marque est enregistrée depuis moins de 5 ans, seul un risque de confusion dans l’esprit du public visé doit être démontré.
Cette référence à ce délai de 5 années renvoie aux dispositions de l’article L.714-5 du Code de la propriété intellectuelle suivant lesquelles « encourt la déchéance de ses droits le titulaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq ans ».
Quant à la réparation du préjudice, il est probable que la Cour de renvoi fixe une indemnisation a minima, dès lors que la marque n’a pas été exploitée.
En effet, en application de l’article L.716-14 du Code de la propriété intellectuelle, le montant alloué s’appuie notamment sur les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée.
En l’occurrence, celles-ci apparaissent bien minces, voire inexistantes.
Vianney DESSENNE