Le témoignage anonymisé doit – il être d’office écarter par le juge prud’homal ?  

Judith Ozuch
Judith Ozuch

La Cour de cassation rappelle le principe de la liberté de la preuve en matière prud’homale. Ainsi, le juge ne peut écarter d’office ni le témoignage du salarié, intervenant volontaire à titre accessoire au soutien de la prétention de l’employeur, ni le témoignage anonymisé du salarié. Il appartient au juge du fond d’en apprécier souverainement la valeur et la portée.

Cour de cassation, Chambre sociale,19 avril 2023, 21-20.308, Publié au bulletin

L’arrêt du 19 avril 2023 pose la question de la valeur probante des témoignages des salariés devant le juge prud’homal.

En l’espèce, un salarié fit l’objet d’une mise à pied disciplinaire, sanction qu’il contestait devant la juridiction prud’homale. Il appartenait à l’employeur d’apporter la preuve de l’existence des griefs reprochés pour justifier cette sanction.

La cour d’appel annulait la mise à pied disciplinaire après avoir écarté une attestation, remise par un salarié à l’employeur, au motif que le premier, intervenant volontairement à titre accessoire, était partie à la procédure d’appel. Puis, elle niait la valeur probante d’une attestation « anonyme » d’un salarié, considérant que le salarié incriminé ne saurait se défendre d’accusations anonymes.

La Haute juridiction devait se prononcer sur la valeur probante des témoignages des salariés produits par l’employeur. Elle rappelle que le principe de la liberté de la preuve interdit aux juges du fond d’écarter d’office le témoignage de l’intervenant volontaire à titre accessoire ainsi que le témoignage anonymisé.

La Cour de cassation relève que « si le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés, c’est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l’identité est néanmoins connue par l’employeur, lorsque ceux-ci sont corroborés par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence ».

Il est donc permis une distinction entre le témoignage anonyme et le témoignage anonymisé.

D’une part, le témoignage anonyme est celui dont l’identité de l’auteur n’est pas connue (courrier non signé par exemple). La Cour de cassation juge de manière constante que « le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes[1] ».

D’autre part, le témoignage anonymisé est celui dont l’identité de l’auteur a été masquée, afin d’en empêcher son identification, l’objectif étant de protéger le témoin.

En l’espèce, l’identité du salarié était connue de l’employeur mais elle avait été cachée, afin de le protéger contre les éventuelles représailles de ses collègues dont il dénonçait le comportement.

La chambre sociale considère alors que le juge peut prendre en considération ces témoignages anonymisés. Il faut toutefois que ces derniers soient « corroborés par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence ».

Dans l’espèce, l’employeur communiquait d’autres preuves complémentaires pour caractériser la faute du salarié.

Le juge du fond aurait donc dû apprécier la valeur et la portée de l’ensemble de ces pièces, sans rejeter d’office le témoignage anonymisé.

En définitive, on peut retenir que si les témoignages anonymisés semblent avoir une force probante plus importante que les témoignages anonymes, ils doivent néanmoins être corroborés par d’autres éléments.


[1] Soc. 4 juill. 2018, n° 17-18.241

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