Le mandataire commun d’associés en indivision est-il libre de son vote ?

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

Source : CA VERSAILLES 14ème Chambre 31 mars 2022 n° 21/05568

I –

Il existe, traditionnellement, deux possibilités d’être associé indivis au sein d’une société :

  La première est de se retrouver en indivision post communautaire, c’est-à-dire postérieurement au prononcé du divorce entre époux, mais avant la liquidation de leur régime matrimonial ;

  Et la seconde, en qualité de cohéritier d’actions ou parts sociales.

Dans ces hypothèses et surtout lorsqu’il existe un désaccord entre les actionnaires / associés indivis, l’article 1844 du Code Civil précise que :

« Les copropriétaires d’une part sociale indivise sont représentés par un mandataire unique, choisi parmi les indivisaires ou en dehors d’eux ».

La plupart du temps, lorsqu’il s’agit de débattre judiciairement de la désignation d’un Mandataire Judiciaire, les coindivisaires ne sont pas parvenu à se mettre d’accord sur l’organisation de leur patrimoine, de sorte que le Tribunal le fait gérer par un tiers.

Il faut cependant bien admettre que ce tiers, mandataire de l’indivision, visé par le Code Civil, se trouve dans une relation avec les propriétaires indivis qu’il est censé représenter, assez complexe.

Ainsi, un certain nombre de questions peuvent se poser :

  Doit-on convoquer, parallèlement au mandataire de l’indivision, l’ensemble des associés indivis ? La Cour de Cassation a répondu par l’affirmative assez récemment[1];

  Les propriétaires indivis ont-ils un droit d’accès aux pièces, auquel peut prétendre tout associé, en dehors du mandataire ? La réponse n’est pas tranchée ;

  L’indivisaire peut-il, seul, interpeller la société pour mettre à l’ordre du jour des projets de résolution, sans avoir obtenu l’aval du mandataire ? Là encore, la question n’est pas tranchée.

La Cour d’Appel de VERSAILLES avait, quant à elle, à statuer sur la nécessité ou pas du mandataire de suivre les consignes de vote qu’auraient pu lui transmettre les indivisaires. La Juridiction du second degré y répond par la négative, insistant toutefois sur la nécessité, pour le mandataire, de recueillir, préalablement, l’avis des indivisaires avant de voter.

II –

Avec un peu de recul, la décision était, si ce n’est fondée en droit, au moins frappée du bon sens, et certainement les deux.

En effet, la plupart du temps, le mandataire commun s’inscrit dans le cadre de la nécessaire gestion d’une discorde entre associés indivis qui ne sont ni parvenus à s’entendre pour désigner un mandataire commun issu de leur rang, pas plus que sur le sens des votes à exprimer en Assemblée Générale, de sorte que le tiers mandataire est plus précisément nommé pour sortir de cette paralysie.

Ainsi, exiger du mandataire qu’il fasse plus que recueillir l’avis des indivisaires, mais au contraire, s’y soumettre, conduit à reporter mécaniquement cette paralysie originelle vers celle du mandataire.

C’est d’ailleurs ce que juge la Cour d’Appel de VERSAILLES qui, à certains égards, tranche certaines difficultés évoquées au point I du présent article par un attendu qui mérite d’être cité :

« Les copropriétaires de parts sociales indivises disposent, comme l’affirment les appelants, des droits des associés : ils ont le droit de participer aux assemblées générales, de poser des questions au gérant de la société, d’obtenir les documents sociaux et, plus généralement, toutes les informations en rapport avec les résolutions proposées au vote des associés en assemblée générale ».

Mais la Cour d’ajouter :

« Cependant, ils ne disposent pas d’un droit de vote, les parts sociales étant indivisibles en application de l’article L.228-5 du Code de Commerce »[2].

Il précise qu’à l’égard des sociétés, les titres sont indivisibles sous réserves de l’application des articles L.225-110 (répartition des  droits  de vote en l’absence de disposition statutaire contraire  entre l’usufruitier et le nu-propriétaire) et l’article L.225-118 qui instaure un droit de communication à chacun des copropriétaires d’actions indivises, au nu-propriétaire et à  l’usufruitier des actions, étant précisé que semblables dispositions ne figurent pas dans le Code Civil pour les sociétés civiles et dans le Code de Commerce pour les SARL[3].

[1] Tout d’abord, l’article 1844 du Code Civil dispose en son alinéa 1, que tout associé a le droit de participer aux décisions collectives. Quid du copropriétaire indivis ? La Cour de Cassation dans un Arrêt fort remarqué de la Chambre Commerciale du 21 janvier 2014 (13-10-151 publié au bulletin), juge que ce texte s’applique aux indivisaires, ce qui les autorise à participer aux débats, poser des questions, donner leur avis et donc influencer, le cas échéant, sur leur vote émis par les associés présents à l’Assemblée Générale.

[2] L’article est inséré dans la partie du Code de Commerce traitant des valeurs mobilières émises par les sociétés par actions (SA / SAS / SCA), mais le raisonnement peut être transposé aux autres sociétés.

[3] L’état du contentieux qui transparait dans l’exposé des faits contenus dans l’Arrêt de la Cour d’Appel de VERSAILLES commenté, laisse suggérer un probable pourvoi en Cassation, en espérant que la Cour nous fasse l’honneur de rendre une décision par un Arrêt publié.

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