Le Conseil Constitutionnel rejette l’espérance légitime s’agissant de l’abattement pour durée de détention applicable aux plus-values sur titres

Clara DUBRULLE
Clara DUBRULLE

Source : Décision n° 2019-812 QPC du 15 novembre 2019 du Conseil Constitutionnel et son commentaire

 

Les faits de l’espèce ont été exposés dans notre précédent article du 26 septembre 2019 auquel nous vous renvoyons.

 

  Les dispositions contestées

 

L’imposition des plus-values réalisées par les particuliers à l’occasion de la cession à titre onéreux de valeurs mobilières et droit sociaux a régulièrement évolué dans le temps.

 

La loi du 30 décembre 2005 a mis en place deux dispositifs d’abattement de la plus-value réalisée à l’occasion de la cession de titres en fonction de la durée de détention de ces titres.

 

Afin « d’encourager l’investissement à long terme des particuliers dans les sociétés et permettre ainsi à ces dernières de se constituer un actionnariat stable », l’article 29 de la loi du 30 décembre 2005 a créé à l’article 150-0 D bis du CGI un mécanisme d’abattement pour l’ensemble des particuliers détenteurs de titres ou droits de sociétés. En application de cet article, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux d’actions, de parts de sociétés ou de droits démembrés portant sur ces actions ou parts sont réduits d’un abattement d’un tiers pour chaque année de détention au-delà de la cinquième année. La plus-value est donc totalement exonérée d’impôt sur le revenu après huit années de détention continue.

 

En application des règles de décompte, l’abattement avait donc vocation à intervenir sur les gains nets tirés de cessions de droits ou titres réalisées, au plus tôt, à compter du 1er janvier 2012 (sixième année suivant l’année 2006).

 

Le même article 29 de la même loi du 30 décembre 2005 a créé, à l’article 150-0 D ter du CGI, un mécanisme d’abattement spécifique aux dirigeants de petites et moyennes entreprises (PME) partant à la retraite.

 

L’abattement est identique à celui de droit commun, c’est-à-dire qu’il est d’un tiers pour chaque année de détention au-delà de la cinquième. Toutefois, contrairement à l’abattement de droit commun, la durée de détention n’est pas calculée à compter du 1er janvier 2006 mais à compter de la date effective d’acquisition des titres.

 

Avant toute application possible du dispositif d’abattement général pour durée de détention institué par l’article 150-0 D bis CGI, le législateur a décidé de modifier cet article afin de substituer à l’abattement un dispositif de report d’imposition. L’article 80 de la loi du 28 décembre 2011 a modifié l’article 150-0 D bis du CGI et prévu que l’imposition des plus-values retirées de la cession à titre onéreux d’actions ou de parts de sociétés ou de droits démembrés portant sur ces actions ou parts peut, sous certaines conditions, être reportée.

 

Le report est subordonné notamment à la condition, d’une part, que les titres soient détenus depuis plus de huit ans et qu’ils représentent au moins 10 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société et, d’autre part, qu’une partie du produit de la cession soit réinvestie dans un délai de trente-six mois dans une autre société. La plus-value en report est définitivement exonérée lorsque les titres acquis en remploi sont conservés pendant plus de cinq ans.

 

Aucune disposition particulière n’ayant défini les modalités d’entrée en vigueur de cette modification, ces dispositions s’appliquent à l’impôt sur le revenu dû au titre de 2011 et des années suivantes.

 

  L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

  Les griefs soulevés par les requérants

 

En premier lieu, les requérants faisaient valoir que la suppression de l’abattement pour durée de détention quelques jours avant qu’il puisse éventuellement bénéficier à certains contribuables méconnaissait l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Selon eux, en remplaçant le dispositif d’abattement pour durée de détention, prévu par l’article 150-0 D bis du CGI dans sa rédaction antérieure à la loi du 28 décembre 2011, par un dispositif moins favorable de report d’imposition, les dispositions renvoyées de l’article 150-0 D bis avaient privé les contribuables de la possibilité de bénéficier de cet abattement alors qu’ils avaient conservé leurs titres à cette fin. À cet égard, ils faisaient valoir que les contribuables avaient été incités à conserver leurs titres et qu’ils pouvaient légitimement s’attendre à bénéficier de cet abattement à compter du 1er janvier 2012. Ces dispositions avaient ainsi remis en cause les effets qu’ils pouvaient légitimement attendre de cette conservation. Ils estimaient que cette atteinte à la garantie des droits n’était pas justifiée dès lors qu’un intérêt exclusivement financier ne constituait pas un motif d’intérêt général suffisant.

 

En deuxième lieu, ils soutenaient qu’en supprimant le dispositif général d’abattement pour durée de détention tout en maintenant le dispositif d’abattement applicable aux dirigeants de PME faisant valoir leurs droits à la retraite, le législateur avait créé une différence de traitement contraire au principe d’égalité devant la loi dès lors que, au moment de la cession de leurs parts sociales, les dirigeants de PME et les autres cédants se trouvaient dans une situation identique.

 

En dernier lieu, ils considéraient que la suppression de l’abattement pour durée de détention conduisait à faire peser une imposition confiscatoire sur les gains tirés de cession de titres, méconnaissant ainsi le principe d’égalité devant les charges publiques garanti par l’article 13 de la Déclaration de 1789.

 

Les griefs des requérants portaient en réalité sur la disparition de l’abattement pour durée de détention qui était prévu par l’article 150-0 D bis du CGI avant qu’il soit modifié par la loi du 28 décembre 2011. Ils ne critiquaient pas le régime de report d’imposition prévu par les dispositions renvoyées mais l’absence de bénéfice du régime antérieurement prévu (une imposition immédiate avec un abattement pour durée de détention) par ce même article.

 

  La jurisprudence constitutionnelle

 

Si le Conseil constitutionnel juge que « le principe de non-rétroactivité des lois n’a valeur constitutionnelle, en vertu de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qu’en matière répressive »[1], il a toutefois développé différentes normes qui lui permettent d’encadrer l’application de la loi dans le temps.

 

Ainsi, en matière fiscale, le Conseil constitutionnel juge que « si le législateur a la faculté d’adopter des dispositions fiscales rétroactives, il ne peut le faire qu’en considération d’un motif d’intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles »[2].

 

À cet égard, et sans que cela soit spécifique à la matière fiscale, le Conseil constitutionnel a développé, sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration de 1789 et depuis sa décision du 29 décembre 2005, des exigences particulières en jugeant « qu’il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu’en particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamés par l’article 16 de la Déclaration de 1789 s’il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant »[3].

 

Puis, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a évolué dans le sens d’une protection accrue de la sécurité juridique, en faisant également porter son contrôle sur les effets qui peuvent être légitimement attendus des situations légalement acquises : il juge « qu’il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu’en particulier, il ne saurait, sans motif d’intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations »[4].

 

La jurisprudence distingue nettement, en particulier en matière fiscale, ce qui relève de la protection due aux situations légalement acquises de celle due aux effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations.

 

Une atteinte à une situation légalement acquise est constituée lorsque la loi nouvelle s’applique à des situations juridiques dont le fait générateur est antérieur à son entrée en vigueur. Il s’agit donc d’un contrôle de la rétroactivité de la loi.

 

La remise en cause des effets qui peuvent être légitimement attendus de telles situations recouvre, quant à elle, des cas dans lesquels le contrôle du Conseil va au-delà de celui de la rétroactivité juridique et s’étend à des dispositions qui, alors même qu’elles interviennent avant le fait générateur de l’imposition, annihilent une attente légitime.

 

  L’application à l’espèce

 

Le Conseil, après avoir rappelé les termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789, a jugé que « [le législateur] ne saurait, sans motif d’intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l’empire de textes antérieurs ».

 

L’attente légitime n’est donc pas définie par référence à une situation légalement acquise mais par référence à une situation née sous l’empire de textes antérieurs (ces derniers termes reprenant ceux figurant au début de la formulation de principe, qui reconnaît au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, le pouvoir de « modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions »).

 

Ensuite, il revenait au Conseil constitutionnel de confronter les dispositions contestées à cette double garantie.

 

Le Conseil a, tout d’abord, rappelé les conditions nécessaires au bénéfice de l’abattement pour durée de détention, avant que celui-ci ne soit remplacé par le dispositif de report d’imposition par la loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012.

 

Le dispositif fiscal institué par l’article 150-0 D bis du CGI dans ses rédactions antérieures à la loi du 28 décembre 2011 conduisait à une application d’un premier abattement à l’expiration de la sixième année de détention et à une exonération totale à l’expiration de la huitième année. Pour les titres ou droits acquis ou souscrits à compter du 1er janvier 2006, la durée de détention était décomptée à partir du 1er janvier de l’année de leur acquisition ou de leur souscription. Pour les titres et droits acquis avant le 1er janvier 2006, la durée de détention était décomptée à partir du 1er janvier 2006.

 

Ensuite, d’une part, le Conseil a relevé que, compte tenu de la durée minimale de détention exigée et de ce que le fait générateur de l’imposition intervient au jour de la cession des titres, aucun contribuable n’avait pu cédé des titres ayant été conservés pendant une durée suffisante pour bénéficier de l’abattement. Ces dispositions ne portaient donc atteinte à aucune situation légalement acquise.

 

D’autre part, le Conseil a examiné si le fait d’avoir détenu des titres durant une période inférieure à la durée de détention exigée par la loi pouvait avoir créé une attente légitime de bénéficier de l’abattement. Sur cette question, le Conseil a jugé que « la simple conservation de titres durant une période inférieure à la durée exigée par l’article 150-0 D bis du code général des impôts dans sa rédaction antérieure à la loi du 28 décembre 2011 n’a pu, à elle seule, faire naître une attente légitime de bénéficier de l’abattement en cause ».

 

Sans avoir à rechercher un motif d’intérêt général suffisant, le Conseil constitutionnel a donc rejeté le grief tiré de l’atteinte aux exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789.

 

Le Conseil a écarté le grief des requérants tiré de ce que l’absence de l’abattement aurait institué une différence de traitement injustifiée avec les dirigeants de PME faisant valoir leurs droits à la retraite, pour lesquels la loi du 28 décembre 2011 n’a pas modifié les conditions de bénéfice d’un abattement sur les gains tirés de la cession de leurs titres

 

En définitive, le Conseil constitutionnel a déclaré les mots « L’imposition de la plus-value retirée de la cession à titre onéreux d’actions ou de parts de sociétés ou de droits démembrés portant sur ces actions ou parts » figurant au premier alinéa du 1 du paragraphe I de l’article 150-0 D bis du CGI, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012, conformes à la Constitution.

 

[1] Décision n° 98-404 DC du 18 décembre 1998, Loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, cons. 5.

 

[2] Décision n° 98-404 DC du 18 décembre 1998, Loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, cons. 5

 

[3] Décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, Loi de finances pour 2006, cons. 45.

 

[4] Décision n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, cons. 14.

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