L’action ut singuli contre le liquidateur est irrecevable

Antoine DUMONT

Dans un arrêt en date du 9 juillet 2025, la Cour de cassation a une nouvelle fois eu l’occasion de trancher un litige relatif à l’action ut singuli, cette dernière n’étant recevable qu’en cas de mise en cause régulière par l’intermédiaire de ses représentants légaux.
L’arrêt s’inscrit dans la jurisprudence récente autour de l’action ut singuli et qui a déjà donné lieu à deux articles Chronos sur l’appréciation de la qualité d’associé permettant d’engager ladite action et sur l’autonomie de l’action engagée par les associés de celle engagée par la société.

Source : Cass. Com., 9 juillet 2025, n°24-14.565

I –

Un couple crée une SA et répartit le capital social entre leurs mains et celles de leurs deux filles. Le mari décède et laisse son épouse et ses deux filles seules maîtres à bord, l’une des deux filles étant nommée Présidente du conseil d’administration.

Puis les associés décident de la liquidation amiable de la société ainsi que de la nomination de la Présidente du conseil d’administration en qualité de liquidatrice amiable.
Sur cet état de fait, la mère décide d’assigner en responsabilité sa fille en sa qualité de liquidatrice amiable de la société.

Un premier jugement déclare la fille défaillante dans l’exécution de sa mission de liquidatrice, y met fin, nomme un autre liquidateur et condamne la défaillante à la restitution de sommes indûment perçues.

Appel est formé et un arrêt mixte intervient : il confirme le jugement sur la désignation du mandataire judiciaire et prononce un sursis à statuer concernant l’action ut singuli en invitant les parties à s’expliquer sur l’absence de mise en cause de la société. L’arrêt au fond constatera l’absence de mise en cause de la société par la mère qui forme alors un pourvoi en cassation.

II –

Pour la mère, la cour d’appel aurait dû désigner sur le fondement de l’article R. 225-170 du code de commerce un mandataire ad hoc en raison d’un conflit d’intérêt entre la société et son représentant légal, en l’espèce la Présidente du conseil d’administration désignée liquidatrice amiable et dont la responsabilité était recherchée par l’associé.

De plus, elle considérait que l’irrégularité de la représentation de la société était limitée à l’instance d’appel car un nouveau liquidateur avait été désigné par le jugement de première instance en lieu et place de sa fille dont la responsabilité était recherchée.

La Cour de cassation ne suit pas ce raisonnement.

III –

La Cour de cassation rend son arrêt au visa des articles R. 225-170 et L225-252 du code de commerce. Si le second de ces textes instaure l’action ut singuli, le second rappelle que cette action doit mettre en cause la société par l’intermédiaire de ses représentants légaux et octroie la possibilité au tribunal de désigner un mandataire ad hoc pour représenter la société en cas de conflit d’intérêt entre cette dernière et ses représentants légaux.

Après avoir rappelé que l’action ut singuli « n’est recevable que si la société a été régulièrement mise en cause par l’intermédiaire de ses représentants légaux », la Haute Cour relève que l’action a été engagée contre la Présidente du conseil d’administration mais en qualité de liquidatrice amiable et non contre la société elle-même, et valide la position de la cour d’appel qui a jugé que l’action n’était pas recevable.

Ce n’est donc pas l’absence de demande de désignation d’un mandataire ad hoc malgré la présence d’un conflit d’intérêt qui rend ici irrecevable l’action, c’est bel et bien la mise en cause du liquidateur qui affecte la procédure d’une irrégularité : le liquidateur n’est pas, à lire l’arrêt, un représentant légal de la société, sa mise en cause ne permet pas la mise en cause de la société.

IV –

Dans un premier temps, la solution pourrait interpeller car l’arrêt considère que la mise en cause du liquidateur amiable ne permet pas de remplir la condition, pour l’exercice de l’action ut singuli, d’une mise en cause de la société par l’entremise d’un représentant légal. Or, il convient de rappeler l’article L. 237-24 alinéa 1 du code de commerce : « Le liquidateur représente la société. […] »

Le liquidateur peut notamment agir en Justice tant en défense qu’en demande, et peu importe que cette nomination n’ait pas fait l’objet d’une publication au RCS : « Le liquidateur d’une société est habilité, dès sa nomination, à la représenter en justice, peu important que cette nomination n’ait pas été publiée au registre du commerce et des sociétés. »[1]

Dans un second temps, la solution s’inscrit plutôt dans la droite ligne de la jurisprudence établie depuis l’arrêt bien connu du 21 juin 2016[2] pour les sociétés commerciales, depuis confirmé par celui du 5 décembre 2019[3] qui confirme son extension aux sociétés civiles : l’action ut singuli contre le liquidateur est irrecevable.


[1] Cass. com. 6 novembre 2012 n° 11-20.354

[2] Cass. Com., 21 juin 2016, n°14-26.370, publié au bulletin

[3] Cass. Civ. 3e, 5 décembre 2019, n°18-26.102

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