La VEFA requalifiée en marché public de travaux lorsque l’acheteur public exerce une influence déterminante sur l’opération

Amandine Roglin

CAA Lyon, 18 sept. 2025, n° 23LY02923

Lorsqu’un acheteur public suit et encadre l’ensemble des phases d’une opération immobilière réalisée en vue de l’acquisition d’un immeuble en vente en l’état futur d’achèvement (VEFA), il exerce une influence déterminante sur la conception de l’ouvrage. Dans une telle hypothèse, le contrat ne peut être regardé comme une simple opération de vente immobilière privée et doit être requalifié en marché public de travaux.

1. Les faits et la procédure : une VEFA fortement encadrée par l’acheteur public

En l’espèce, un office public d’HLM a cédé des parcelles en vue de la réalisation d’une opération immobilière comprenant la construction de son futur siège social, destiné à lui être rétrocédé par le biais d’une VEFA.

Un différend étant né à l’occasion de l’exécution du contrat, l’office public de l’habitat a assigné le vendeur-promoteur devant le tribunal administratif de Lyon. Celui-ci s’est toutefois déclaré incompétent, estimant le litige de nature privée.

Saisie en appel, la Cour administrative d’appel de Lyon a infirmé cette analyse. Elle a jugé que le contrat litigieux devait être qualifié de contrat administratif, relevant de la compétence du juge administratif (CAA Lyon, 18 sept. 2025, n° 23LY02923).

2. L’influence déterminante de l’acheteur public caractérisée

Pour retenir cette qualification, la cour a relevé que l’OPH avait :

  • défini avec précision ses besoins, notamment la capacité des bâtiments et leurs caractéristiques techniques ;
  • organisé un suivi étroit de l’exécution des travaux, par l’intermédiaire de représentants chargés de travailler conjointement avec le vendeur-promoteur ;
  • annexé au dossier technique une charte d’engagement précisant sa volonté de suivre l’opération à chacune de ses phases afin de formuler des avis garantissant la conformité du projet au programme, à la notice descriptive et aux engagements contractuels.

En outre, l’ouvrage a fait l’objet de modifications substantielles pour répondre à l’évolution des besoins de l’office, impliquant un recalage du calendrier des travaux. L’ensemble de ces éléments a conduit la cour à considérer que l’acheteur public avait exercé une influence déterminante sur la conception même de l’ouvrage, critère décisif de requalification.

3. Le rappel des principes dégagés par le Conseil d’État

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence désormais bien établie du Conseil d’État. Aux termes de l’article L. 1111-2 du code de la commande publique, constitue un marché public de travaux la réalisation d’un ouvrage répondant aux besoins d’un acheteur public, lorsque celui-ci exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception.

Dès 1991, le Conseil d’État a jugé qu’une personne publique ne saurait contourner les règles de la commande publique en recourant à une VEFA pour acquérir un immeuble conçu spécifiquement pour répondre à ses besoins propres (CE, 8 févr. 1991, n° 57679). Cette décision fondatrice prohibe l’usage de la VEFA comme instrument d’évitement des procédures de mise en concurrence.

La Haute juridiction administrative a depuis précisé les critères de l’influence déterminante, en relevant notamment :

  • l’intervention de l’acheteur public sur la structure architecturale du bâtiment (dimensions, murs extérieurs, murs porteurs) ;
  • l’ampleur ou la spécificité des aménagements intérieurs exigés ;
  • l’implication continue de l’acheteur dans le déroulement du projet.

Ainsi, le Conseil d’État a récemment confirmé que l’implication de l’acheteur public dans ces éléments essentiels de conception suffit à justifier la requalification du contrat en marché public de travaux (CE, 3 avr. 2024, n° 472476).

4. Portée de la décision : une nouvelle illustration de la vigilance du juge administratif

La décision de la cour administrative d’appel de Lyon constitue une nouvelle illustration de la fermeté de la jurisprudence administrative en matière de VEFA conclues par des acheteurs publics. Dès lors que ces derniers suivent chaque étape de l’opération, formulent des exigences techniques précises et disposent d’un pouvoir réel d’influence sur le projet, le contrat cesse d’être une simple vente immobilière pour entrer dans le champ de la commande publique.

Cette requalification emporte des conséquences majeures, tant sur la nature administrative du contrat que sur la compétence juridictionnelle et le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence. Elle rappelle aux acheteurs publics que la VEFA ne peut être utilisée que pour l’acquisition d’un immeuble standardisé, conçu de manière autonome par le promoteur, sans intervention déterminante de l’administration.

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