La publication au RCS d’une fausse nomination de gérant fait-elle obstacle à la contestation, par la société, des engagements pris en son nom par le gérant ainsi désigné ?

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

Dans cette situation inédite, la Cour de cassation décide de trancher : Sauf collusion frauduleuse entre le gérant et le tiers cocontractant, la publication de la nomination du gérant sur la base d’un faux procès-verbal fait obstacle à la contestation par la société de conventions conclues en son nom par la personne désignée gérant dans de telles conditions.

Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 26 octobre 2023, 21-17.937, Publié au bulletin

Pour résumer brièvement les faits à l’origines de cet arrêt, une société civile (d’exploitation agricole) est propriétaire de parcelles de vignes, données à bail à deux locataires. Quelques années plus tard, des avenants sont signés, et même un nouveau bail dans les mêmes conditions avec une troisième personne.

A l’origine du contentieux, la société civile qui conteste la qualité de gérant de celui qui s’était présenté comme tel pour signer les avenants et le nouveau bail précités.

Dans cette affaire, la société civile assigne le troisième preneur, afin d’obtenir son expulsion des parcelles occupées, et celui qui se présente comme étant le véritable gérant de la société civile dépose au greffe une inscription de faux relative au procès-verbal de soi-disant nomination de gérant, publiée pourtant auprès du greffe.

La société civile est déboutée de ses demandes par les juges du fond, et se pourvoit en cassation, considérant d’une part, que l’acte authentique signé en une fausse qualité est un faux intellectuel, et d’autre part que la confection d’un faux procès-verbal de nomination de gérant est constitutive d’une faute.

La société civile tentait en réalité de se soustraire aux engagements pris par le faux gérant, et ce, même si la décision de nomination de celui-ci avait été publiée. Le faux procès-verbal serait selon elle, inopposable à la société. La Cour d’Appel aurait donc privé sa décision de base légale au regard du principe selon lequel « la fraude corrompt tout ».

Se pose alors à la Haute Cour deux questions différentes :

1 – La publication d’une fausse nomination de gérant fait-elle obstacle à la contestation par la société d’engagements pris en son nom par le gérant ainsi désigné ?

Cette question est inédite devant la Chambre commerciale de la Cour de cassation, raison pour laquelle cet arrêt reçoit les honneurs de la publication au bulletin.

La Haute Cour répond en plusieurs étape :

« 7. Aux termes de l’article 1846-2, alinéa 2, du code civil, similaires à ceux de l’article L. 210-9, alinéa 1, du code de commerce, applicable aux sociétés commerciales, ni la société, ni les tiers, ne peuvent, pour se soustraire à leurs engagements, se prévaloir d’une irrégularité dans la nomination des gérants ou dans la cessation de leur fonction, dès lors que ces décisions ont été régulièrement publiées ».

Ce d’autant plus que l’article 1846-2 du Code civil répond à deux objectifs :

« 10. D’une part, la finalité du texte précité est d’assurer la protection des tiers, lesquels ne disposent pas d’autres moyens que les mesures de publicité légale pour s’assurer de la régularité de la nomination d’une personne se disant gérant d’une personne morale. Cette disposition ne fait, en outre, aucune différence selon la nature des irrégularités entachant la décision de nomination du gérant.

11. D’autre part, une société ou ses associés peuvent demander l’annulation de délibérations prises dans des conditions irrégulières, de sorte qu’il leur appartient de vérifier les informations publiées sur l’identité de ses représentants, et, lorsqu’elles sont inexactes, d’en demander la rectification ».

D’un côté, les tiers n’ont pas d’autres moyens que de vérifier les décisions publiées au greffe, pour s’assurer de la désignation d’une personne es qualité de représentant légal, mais de l’autre, les associés ou la société pouvait remettre en cause une délibération irrégulière, et aurait pu vérifier les informations publiées. Ils ne l’ont pas fait.

La Haute Cour considère que, regarder comme inexistante la désignation d’un gérant intervenue sur la base d’un PV d’AG contrefait, tout en permettant à la société / aux associés de contester les actes conclus en son nom par celui-ci conduirait à priver d’effet l’article 1846-2 précité.

C’est la raison pour laquelle les juges du Quai de l’Horloge finissent par considérer que la société ne peut contester les actes conclus en son nom par le « faux gérant ».

Elle explique que  « les considérations qui précèdent justifient de retenir que la contrefaçon d’un procès-verbal d’une délibération portant nomination de son gérant n’a pas pour effet de la rendre inexistante, de sorte que, par application du texte précité, lorsque cette nomination a été publiée, la société ne peut se prévaloir de son irrégularité pour contester les engagements pris en son nom par les personnes ainsi désignées ».

Si certes le procès-verbal est contrefait, il n’en a pas moins été publié, raison pour laquelle la société ne peut pas se prévaloir de son irrégularité pour se soustraire aux engagements pris par le « faux gérant ».

2 – L‘inopposabilité des irrégularités dans la nomination d’un gérant, lorsque celle-ci a été publiée, doit-elle être écartée en présence d’une fraude ?

Là encore, la Haute Cour répond par la négative, considérant que :

« 15. Dans une première approche, il pourrait être envisagé que la simple connaissance par le tiers cocontractant de l’irrégularité de la nomination du gérant suffise à écarter l’effet attaché, en principe, à sa publication.

16. Néanmoins, afin de préserver la portée attachée à la publicité légale et de n’en neutraliser les effets que pour sanctionner les actes les plus graves commis au préjudice d’une personne morale, lorsqu’ils procèdent de manœuvres concertées, il y a lieu de retenir que seule l’existence d’une collusion frauduleuse entre le gérant désigné et le tiers est de nature à priver d’effet l’opposabilité qui découle, en principe, de la publicité légale.

17. En outre, le caractère frauduleux de la publication d’une nomination de gérant ne peut se déduire du seul caractère frauduleux de la désignation d’un gérant, notamment lorsqu’il résulte de la contrefaçon d’un procès-verbal d’assemblée générale ».

En revenant aux circonstances de l’espèce, la Chambre commerciale considère que la seule contrefaçon du PV d’AG ne pouvait suffire à justifier le caractère « frauduleux » de la publication de la nomination du faux gérant en l’absence de véritable « collusion frauduleuse » dénoncée par la société civile demanderesse au pourvoi.

  • « seule l’existence d’une collusion frauduleuse entre le gérant désigné et le tiers est de nature à priver d’effet l’opposabilité qui découle, en principe, de la publicité légale »

Ce qui n’est pas démontré en l’espèce.

Dès lors, la conclusion de cet arrêt est la suivante :

  • D’une part, la publication du procès-verbal de nomination de gérant, quoi que contrefaite, constitue un obstacle à la contestation, par la société, des engagements pris en son nom par le « faux » gérant désigné.
  • D’autre part, seule l’existence d’une collusion frauduleuse entre le « faux » gérant désigné et le tiers serait de nature à priver d’effet la publication litigieuse, et en l’occurrence celle-ci ne se déduit pas d’une simple contrefaçon de procès-verbal.

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