La nouvelle interprétation de l’article 1112-1 du Code civil

Thomas Chinaglia

La Cour de cassation pose le principe selon lequel doit être dissocié le caractère déterminant de ladite information de son lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.

Com. 14 mai 2025, FS-B, n° 23-17.948

I –

En l’espèce, dans le cadre d’une cession de parts sociales d’une société exploitant un fonds de commerce de restauration rapide dans un local loué à cet effet, le cessionnaire se rend compte, quelques jours après la conclusion du contrat de cession, que le règlement de copropriété et les co-propriétaires de l’immeuble dont il est question s’opposent à l’installation d’un système d’extraction de fumée ou de ventilation pour exercer l’activité de restauration rapide projetée. Il n’était donc finalement pas possible pour le cessionnaire d’exercer son activité de restauration rapide, notamment la possibilité de faire de la friture.

Le cessionnaire décide donc d’assigner le cédant en indemnisation de par la dissimulation intentionnelle de cette information, conduisant à l’impossibilité d’exercer l’activité souhaitée dans le local pris à bail.

Les juges du fond décident de rejeter cette demande au motif qu’il n’est pas démontré que l’impossibilité de faire de la friture était une condition déterminante pour le consentement du cessionnaire à la cession de parts sociales au sens de l’article 1112-1 du Code civil.

Le cessionnaire se pourvoit donc en cassation en maintenant son argumentation et notamment celle devant démontrer l’existence d’un lien direct et nécessaire de cette information avec le contenu contractuel du contrat de cession.

La Haute Juridiction rejette le pourvoi en posant le principe selon lequel le devoir d’information précontractuelle ne doit porter que sur les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties, et dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre partie.

Ainsi, une information ayant un lien direct et nécessaire mais dont l’importance n’est pas déterminante pour le consentement de l’autre partie n’est pas soumise à cette obligation.

II –

Pour rappel, l’article 1112-1 du Code civil dispose :

« Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.

Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation.

Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.

Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie.

Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.

Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. »

Pour appliquer ce texte, il est nécessaire de réunir une information à l’importance déterminante pour le consentement d’une part, et une ignorance légitime du cocontractant ou une confiance ainsi qualifiée accordée à l’autre partie d’autre part. L’alinéa 3 ne fait que de définir l’importance déterminante comme celle qui a un lien direct et nécessaire avec le contenu contractuel ou avec la qualité des parties. En somme, le texte suggère une identité entre le caractère déterminant et ce lien direct et nécessaire.

La Cour de cassation impose désormais de démontrer à la fois le caractère déterminant et le lien direct et nécessaire. Cette dissociation conduit à plusieurs questionnements. On peut, effectivement, s’interroger sur ce qu’est, alors, une information à l’importance déterminante dans la mesure où le texte semblait livrer une définition qui tendrait à devenir désormais une condition autonome.

La Cour de cassation a ainsi voulu indiquer qu’il existe des informations qui présentent un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou avec la qualité des parties mais qui ne sont pas déterminantes, comme c’est le cas en espèce. Quoi qu’il en soit, une telle orientation aboutit nécessairement à un durcissement des conditions posées par l’article 1112-1 du code civil.

La cession de parts sociales qui était au cœur de l’espèce était intimement liée avec l’activité exercée par la société, à savoir la restauration rapide dans le local commercial. La cour d’appel avait toutefois refusé d’appliquer l’obligation d’information précontractuelle en précisant que l’acquéreur n’avait pas démontré le caractère déterminant pour son consentement de la possibilité de faire de la friture. On sait maintenant qu’il s’agit d’un élément autonome de la démonstration pour que l’article 1112-1 du code civil s’applique.

Le caractère déterminant devient et doit être prouvé de manière autonome, ce qui est, délicat à rapporter. Dans de nombreuses situations, il ne disposera pas des éléments utiles pour justifier ce caractère qui frôle la psychologie de son consentement. 

Pour revenir au cas d’espèce, la société pourrait exercer une activité de restauration rapide sans pour autant réaliser de la friture si la cession de parts sociales ne rentre pas dans le détail des activités précises de restauration réalisées. Il faut ainsi chercher probablement plus loin pour comprendre tout l’enjeu du rejet du pourvoi. Si durant les négociations contractuelles, seule une activité de restauration rapide a été envisagée, la possibilité de faire de la friture au sein du local commercial n’était pas nécessairement déterminante du consentement.

Il est, par conséquent, plus que jamais fondamental de conserver des éléments issus de la phase de négociation du contrat pour démontrer ce caractère déterminant le cas échéant, tel que des faisceaux d’indices afin de justifier que telle information ou telle autre était (en plus de son lien direct et nécessaire avec le contenu contractuel ou la qualité des parties), déterminante pour le consentement de la partie se prévalant de la violation de l’obligation d’information précontractuelle.

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