La dispense d’affiliation à la couverture frais de santé, une plongée dans les abysses d’un système complexe

Judith Ozuch
Judith Ozuch

Source : Cour de cassation, Chambre sociale, 7 juin 2023, n° 21-23.743

Si l’acte juridique (Accord ou DUE[1]) qui met en place une couverture collective et obligatoire des frais de santé dans l’entreprise le prévoit, le salarié couvert en tant qu’ayant droit par le régime de son conjoint peut, à sa demande, être dispensé d’affiliation, peu importe que le régime de son conjoint soit facultatif pour les ayants droit.


[1] Décision unilatérale de l’employeur

Depuis le 1er janvier 2016, les employeurs du secteur privé[1] doivent proposer une couverture complémentaire de santé collective à l’ensemble de leurs salariés (autrement appelée en pratique « mutuelle » ou « prévoyance légère » ou « régime frais de santé »). Cette couverture est mise en place par accord ou par décision unilatérale de l’employeur.

L’employeur a donc l’obligation de mettre en place un « panier minimal » (souvent aux alentours de 25-30 euros par mois au minimum) répondant à des garanties déterminées et de prendre en charge la moitié de celui-ci[2].

Le sujet était examiné notamment lors des contrôle URSSAF car il permettait notamment aux inspecteurs du recouvrement de pouvoir assujettir les sommes versées par l’employeur au titre de ce régime frais de santé, aux cotisations sociales, lorsque les règles n’étaient pas respectées.

En effet, en application de l’article L.242-1, II-4° du Code de la Sécurité sociale, la contribution des employeurs destinée au financement des prestations de protection sociale complémentaire, lorsque les garanties revêtent un caractère obligatoire et bénéficient à titre collectif à l’ensemble des salariés (ou une partie d’entre eux suivant critère objectif) font l’objet d’une exonération plafonnée de cotisations sociale.

Encore faut-il respecter les nombreuses règles !

Le principe veut donc que tous les salariés de l’entreprise soient soumis à la complémentaire santé. Cela implique pour le salarié le paiement d’une partie de sa mutuelle, prélevée directement sur sa fiche de paye, le solde étant versé par l’employeur.

Mais, plusieurs exceptions sont envisagées afin de permettre au salarié d’être exonéré d’adhérer à la mutuelle de l’entreprise :

  1. De plein droit : L’article D.911-2 du CSS prévoit plusieurs cas de dispenses « de plein droit », c’est-à-dire que ces dispenses sont applicables à la demande du salarié même si l’acte juridique mettant en place les garanties ne les prévoit pas.
  • Les salariés bénéficiaires d’une couverture complémentaire en application de l’article L. 861-3. La dispense ne peut jouer que jusqu’à la date à laquelle les salariés cessent de bénéficier de cette couverture ou de cette aide ;
  • Les salariés couverts par une assurance individuelle de frais de santé au moment de la mise en place des garanties ou de l’embauche si elle est postérieure. La dispense ne peut jouer que jusqu’à échéance du contrat individuel ;
  • Les salariés qui bénéficient, pour les mêmes risques, y compris en tant qu’ayants droit, de prestations servies au titre d’un autre emploi en tant que bénéficiaire de l’un ou l’autre des dispositifs de l’article.

2. Prévues par l’acte juridique mettant en place le régime : Le Code de la sécurité sociale permet également de prévoir des cas de dispense limitativement prévus[3], étant précisé que l’employeur doit être en mesure de produire la demande de dispense des salariés concernés, mentionnant que le salarié a été préalablement informé par l’employeur des conséquences de son choix.

Ainsi, peuvent être dispensés :

  • Les salariés embauchés avant la mise en place des garanties lorsque celles-ci ont été mises en place par décision unilatérale de l’employeur (DUE). Il est certain que cette exception concerne de moins en moins de salariés.
  • Les salariés en CDD d’au moins 12 mois s’ils justifient d’une couverture individuelle pour le même type de garanties ;
  • Les salariés en CDD de moins 12 mois même s’ils ne justifient pas d’une couverture individuelle pour le même type de garanties ;
  • Les salariés à temps partiel et apprentis dont l’adhésion au système de garanties les conduirait à s’acquitter d’une cotisation au moins égale à 10 % de leur rémunération brute ;
  • Les salariés bénéficiaires d’une couverture complémentaire en application de l’article L. 861-3 . La dispense ne peut alors jouer que jusqu’à la date à laquelle les salariés cessent de bénéficier de cette couverture ou de cette aide ;
  • Les salariés couverts par une assurance individuelle de frais de santé au moment de la mise en place des garanties ou de l’embauche si elle est postérieure. La dispense ne peut alors jouer que jusqu’à échéance du contrat individuel ;
  • Les salariés qui bénéficient par ailleurs, y compris en tant qu’ayants droit, d’une couverture collective relevant d’un dispositif de prévoyance complémentaire conforme à un de ceux fixés par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale, à condition de le justifier chaque année.

C’est cette dernière exception qui retiendra notre attention.

La Cour de cassation a donc dû répondre à la question suivante :

La couverture collective doit-elle être obligatoire pour les ayants droit afin que ceux-ci puissent être dispensés d’affiliation à la couverture mise en place dans leur entreprise pour les mêmes risques ?

En l’espèce, un salarié se prévalait de son affiliation en tant qu’ayant droit à la couverture mise en place dans l’entreprise de sa conjointe afin d’être dispensé d’affiliation.

Il entendait ainsi bénéficier du cas de dispense prévu par l’article R 242-1-6 du Code de la sécurité sociale.

L’employeur avait refusé de le dispenser d’affiliation considérant que la couverture dont le salarié se prévalait était facultative pour les ayants droit.

Le salarié avait saisi le conseil de prud’hommes afin de faire restituer les sommes prélevées sur sa rémunération en tant que cotisations salariales à la couverture santé de son entreprise.

La Haute juridiction considère qu’il résulte des articles D 911-4 et R 242-1-6, 2°-f du CSS, que « la dispense d’adhésion à la couverture mise en place dans l’entreprise n’est pas subordonnée à la justification que le salarié bénéficie en qualité d’ayant droit à titre obligatoire de la couverture présentant un caractère collectif et obligatoire de son conjoint ».

Par conséquent, dès lors que le salarié justifie être affilié, en tant qu’ayant droit de son conjoint, à une couverture collective et obligatoire conforme à celle mise en place par son employeur, il remplit les conditions pour être dispensé d’affiliation.

Il suffit que le régime de l’entreprise du conjoint soit collectif et obligatoire à l’égard des salariés de cette entreprise et que le salarié justifie être effectivement affilié à ce régime en tant qu’ayant droit.

Il n’y a plus qu’à espérer que la 2ème Chambre civile, statuant sur le redressement de cotisations suite à un contrôle URSSAF, rejoigne la position de la Chambre sociale et ne complexifie pas davantage le sujet qui a, à ce jour, le mérite d’être clair et tranché.

Pour les plus sceptiques, on rappellera que la 2ème chambre civile a considéré que l’affiliation à titre facultatif des ayants droit prive la couverture des frais de santé de caractère collectif et obligatoire et que, en conséquence, la totalité des cotisations patronales finançant cette couverture doit être intégrée dans l’assiette des cotisations sociales[4].

Affaire à suivre…


[1] Mesure qui ne concerne pas les particuliers employeurs.

[2] Article L.911-7 du Code de la sécurité sociale

[3] Article R.242-1-6 du Code de la Sécurité sociale

[4] Cass 2e civ. 20-12-2018 n° 17-26.958

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