La représentation par avocat étant désormais obligatoire en matière d’expropriation et l’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel visant tous les actes de procédure, le délai de trois mois dans lequel l’intimé doit conclure ou former un appel incident, prévu à l’article R. 311-26 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, court à compter de la première notification valable des conclusions de l’appelant faite par le greffe ou l’appelant lui-même, le cas échéant par voie électronique.
Cour de cassation, 10 juillet 2025, n° 24-10.402
I –
À la suite de l’expropriation d’un immeuble au profit d’une personne morale de droit public, les indemnités de dépossession, fixées par un jugement du 13 février 2020, ont été versées par l’expropriante le 7 janvier 2021.
L’expropriée s’étant maintenue dans les lieux au cours de la procédure d’appel, l’expropriante a saisi le juge de l’expropriation afin d’obtenir son expulsion.
II –
II – 1.
La cour d’appel a rejeté la demande d’expulsion formée par l’expropriante, considérant que les conditions légales de l’expulsion de l’exproprié n’étaient pas réunies, sur la circonstance que l’indemnité de dépossession n’avait pas encore été définitivement fixée et que le versement, le 7 janvier 2021, des sommes arrêtées par le premier juge ne pouvait être considéré comme réalisé en exécution d’une décision définitive.
II – 2.
La cour d’appel a également rejeté la demande d’expulsion de l’expropriée au motif que les conditions légales de l’expulsion de l’exproprié n’étaient pas réunies, sur la circonstance qu’aucune des propositions de relogement adressées en temps utile n’avait été acceptée ou validée.
II – 3.
Par ailleurs, la cour d’appel a déclaré recevables les conclusions de l’intimée déposées au-delà de trois mois après la transmission des conclusions de l’appelante via RPVA, estimant que le délai imparti à l’intimé courait à compter de la notification effectuée par le greffe, conformément à l’article R. 311-26 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
La Cour d’appel a alors écarté le moyen tiré de l’irrecevabilité des conclusions de l’intimée, en retenant que, dans le cadre de la procédure d’appel en matière d’expropriation, le délai imparti à l’intimé pour conclure court à compter de la notification des écritures de l’appelant par le greffe, et non à compter de leur transmission par RPVA à l’avocat de l’intimé.
III –
Un pourvoi en cassation a été formé.
III – 1. Sur la demande d’expulsion
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel pour violation des articles L. 231-1, L. 331-3 et R. 311-25 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
Elle rappelle que, selon ces textes :
- Le délai d’un mois, au terme duquel il peut être procédé à l’expulsion des occupants, court à compter du paiement de l’indemnité fixée par le juge de l’expropriation en première instance ou de sa consignation autorisée en application de l’article L. 331-3 ;
- Et que l’appel du jugement fixant l’indemnité n’est pas suspensif.
Il en résulte que l’expropriant peut légalement solliciter l’expulsion, indépendamment du caractère définitif de la décision fixant l’indemnité.
En écartant la demande d’expulsion au motif que l’indemnité versée le 7 janvier 2021 ne pouvait être considérée comme payée en exécution d’une décision définitive, la cour d’appel a ajouté à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas, et a ainsi violé les textes susvisés.
III – 2. Sur les offres de relogement
La Cour de cassation casse également l’arrêt d’appel pour défaut de base légale au regard des articles L. 423-2 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique et L. 314-7 du code de l’urbanisme.
Elle rappelle que :
- L’expropriant tenu à une obligation de relogement en est valablement libéré par l’offre d’un local adapté aux besoins de l’occupant et conforme aux normes des logements à loyer modéré (article L. 423-2),
- Et que l’absence de réponse dans un délai de deux mois suivant la notification d’une offre vaut acceptation tacite (article L. 314-7).
En retenant, pour écarter la demande d’expulsion, que l’expropriée n’avait pas accepté ou validé les offres de relogement qui lui avaient été adressées, sans rechercher si elle s’était abstenue de répondre dans le délai de deux mois, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision.
III – 3. Sur la recevabilité des conclusions de l’intimée
La Cour de cassation rejette le moyen de l’expropriante et confirme la décision de la cour d’appel.
Elle rappelle que, selon l’article R. 311-26 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, l’intimé doit déposer ou adresser au greffe ses conclusions et documents dans un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant.
L’article 748-1 du code de procédure civile autorise par ailleurs que les envois, remises et notifications des actes de procédure soient effectués par voie électronique, selon des conditions strictes garantissant la fiabilité de l’identification des parties, l’intégrité des documents, ainsi que la confidentialité et la date certaine des transmissions.
La Cour constate que, depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 et de l’arrêté du 20 mai 2020, la représentation par avocat est obligatoire en matière d’expropriation et que les notifications et dépôts visés à l’article R. 311-26 peuvent valablement être effectués par voie électronique entre avocats ou entre un avocat et la juridiction.
En conséquence, le délai de trois mois pour conclure court à compter de la première notification valable des conclusions de l’appelant, qu’elle soit faite par le greffe ou par l’appelant lui-même, notamment par voie électronique.
Toutefois, l’application immédiate de cette règle nouvelle dans l’instance en cours aurait privé l’expropriée, qui n’avait pu raisonnablement anticiper ce revirement, d’un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Par suite, la Cour de cassation considère qu’il ne pouvait être fait application de cette nouvelle règle, de sorte que la cassation de l’arrêt n’est pas encourue et que le moyen ne peut être accueilli.
IV –
Ainsi, la Cour de cassation confirme que, conformément à l’article R. 311-26 du code de l’expropriation et à l’article 748-1 du code de procédure civile, l’intimé dispose d’un délai de trois mois pour déposer ses conclusions à compter de la notification des conclusions de l’appelant, notification qui peut désormais valablement être effectuée par voie électronique.
Cependant, la Cour rappelle que l’application immédiate de cette nouvelle modalité de notification ne doit pas porter atteinte au droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).
Lorsque l’intimée n’a pas pu raisonnablement anticiper ce revirement de jurisprudence, l’application stricte de ce nouveau mode de notification par voie électronique pourrait la priver de la possibilité de faire valoir ses arguments et ses pièces, ce qui constituerait une violation de ce droit fondamental.