Une conférence petit-déjeuner a eu lieu le 29 janvier 2015 chez VIVALDI – AVOCATS, animée par Franck MAES, conseil de direction et enseignant au groupe EDHEC (ancien DRH), et Christine MARTIN, avocate associée.
Ont été abordées les mutations du travail liées au numérique, au travers de 2 angles complémentaires :
Le pouvoir de direction
La qualité de la vie au travail
Le principal effet du numérique sur le travail est que les personnes peuvent interagir entre elles et avec les machines via les TIC. La qualité des interactions numérisées est souvent importante dans la performance collective.
1) Concernant le pouvoir de direction, le but est d’obtenir que les équipes « jouent bien le bon jeu » assez durablement.
Mais pour cela il ne suffit pas d’additionner des emplois, ni que les salariés soient compétents. Il faut qu’ils adoptent ensemble les comportements adéquats, ce qui suppose des compétences « digitales » (postes de travail nomades, outils collaboratifs …) et des aspects psychologiques (être agile, chaleureux, attentif…)
De plus en plus les actions sont régies par des processus qui fixent les étapes de circulation et de traitement des données (par ex réservations, commandes, flux financiers…). Or les processus ne correspondent en général pas aux « emplois », ce qui remet en cause certains documents concernant le travail convenu (contrats, règlement intérieur et chartes, descriptifs, modalités d’évaluation, de rétribution …)
Il ne faut surtout pas trop « contractualiser », mais il est important que les écrits soient assez fidèles au « travail réel numérique » pour limiter les malentendus (qui font échec) et maximiser les probabilités de succès en cas de litige.
L’organisation du travail change, certaines tâches et/ou façons de les répartir ne sont plus adaptées à ce que deviennent les façons de travailler (transversalité, partage des informations…) Par exemple le « cross canal » conduit à de nouvelles façons de conseiller et de vendre.
Concrètement ce que le management a intérêt à spécifier dépend des types d’activités (sont-elles « programmables », requièrent-elles des expertises particulières…), des secteurs économiques et des cultures d’entreprises. D’ailleurs la principale finalité étant d’être clair sur ce qui sera évalué, il vaut mieux laisser tacite ce qu’on aurait du mal à évaluer.
L’idée centrale est qu’en facilitant le contrôle (traçabilité, mesure des flux…) le numérique impacte l’équilibre entre autonomie et consignes à respecter.
Il a été rappelé que certaines évolutions du droit social permettent de renforcer le management, par ex il devient envisageable d’évaluer les compétences en termes de clairvoyance et d’imagination… Cependant pour cela il faut respecter le dialogue social, et mettre à jour les écrits concernés (avoir précisés les comportements attendus), et qu’il y ait un lien direct avec l’exercice des fonctions confiées. D’ailleurs il faut consulter le CHSCT si le dispositif d’évaluation est potentiellement porteur de stress.
2) Concernant qualité de la vie au travail (QVT), trois raisons conduisent à l’évoquer au regard de l’utilisation des TIC.
l’effacement progressif entre vie privée et vie professionnelle
l’employeur continue d’avoir des droits et des devoirs envers les salariés …
…. les exercer intelligemment conduit à une meilleure QVT
L’utilisation des TIC génère certains risques. L’excès de connectivité conduit à amener le présentéisme en dehors des portes de l’entreprise. Le salarié est joignable à tout moment et lui-même et/ou son employeur peuvent penser qu’en conséquence il doit être joint.
Envoyer ou échanger des mails le soir, le week-end, pendant les vacances et les jours fériés n’est pas anodin au regard des obligations de l’employeur en matière de contrôle de la durée du travail, du respect de l’amplitude et du temps de repos journaliers.
Il en est de même au regard du contrôle de la charge de travail du salarié pour des raisons de prévention du stress, du burn out, du harcèlement.
Les dérives de comportement du salarié dans l’utilisation des TIC impliquent la responsabilité de l’employeur. Certes il est possible de mettre en place des moyens de contrôle : contrôle des utilisations abusives, mise en place d’une charte informatique, etc.
Mais si le contrôle de l’utilisation faite par le salarié du matériel mis à sa disposition par l’entreprise s’avère relativement facile, il est beaucoup plus difficile de contrôler l’usage professionnel fait par le salarié de ses TIC personnels (smartphones, tablettes, etc.).
Selon la Jurisprudence et la CNIL procéder par voie d’interdits n’est pas réaliste car il existe des usages généralement socialement admis. Ce qui est toléré c’est un usage raisonnable, question qui demeure soumise à l’appréciation souveraine des tribunaux.
D’une manière générale, l’outil informatique mis à la disposition du salarié par l’entreprise est présumé être utilisé à des fins professionnelles. Par suite l’employeur peut donc y accéder librement hors de la présence du salarié, sauf pour les données expressément spécifiées comme personnelles. De même le contrôle par l’employeur des connexions Internet du salarié durant son temps de travail est libre.
Pour contrer les débordements, une solution intéressante est de réorganiser le travail en mettant en place une charte de la QVT dans l’entreprise. En effet, selon l’Accord National Interprofessionnel du 19 juin 2013, une utilisation intelligente des TIC est un élément constitutif de la QVT.
Une charte de la QVT dans l’entreprise peut aborder différents points regroupés en 4 thèmes :
– l’exemplarité des managers,
– le respect de l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle,
– l’optimisation des réunions,
– le bon usage des mails.
Ces deux derniers thèmes renvoient à l’utilisation au plus juste des moyens de communications et à la nécessité de hiérarchiser les besoins de communications.
Mais au travers de ces quatre thèmes l’usage des TIC est visé :
– ne pas solliciter les salariés le WE, le soir ou les congés sauf situation exceptionnelle,
– favoriser les audio ou visio conférences,
– ne pas céder à l’instantanéité de la messagerie : gérer les priorités, se fixer des plages pour répondre, se déconnecter pour traiter les dossiers de fond, favoriser si possible le face à face ou le téléphone,
– limiter les envois de mails hors des heures de bureaux ou le WE,
– ne mettre en copie que les personnes directement concernées.
Bref, se déconnecter pour bien (mieux) travailler …
Franck MAES | Christine MARTIN |