Dérogation d’OPA en cas de détention de la moitié des droits de vote avant opération

Antoine DUMONT

Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 16 septembre 2025 a permis de revenir sur les obligations qui pèsent sur les actionnaires franchissant certains seuils de détention lors d’une opération d’acquisition de capital et sur les conditions d’une dérogation à ces obligations ; il permet également d’étudier la notion d’action de concert.

Source : Cour d’appel Paris, ch. 5-7, 16 septembre 2025, n° 25/06060

I –

A la suite d’une offre publique d’acquisition (ci-après « OPA »), un ensemble de sociétés (ci-après le « Groupe Majoritaire ») deviennent actionnaires en 2014 d’une société d’investissements immobiliers cotée (ci-après « SIIC ») à hauteur de 89,88 %.

Cette détention capitalistique est amenée à fluctuer en raison de différentes réorganisations structurelles et capitalistiques dont le développement n’est pas nécessaire à la compréhension des faits de l’espèce.

En novembre 2024, un projet d’augmentation de capital avec maintien du droit préférentiel de souscription est annoncé dans la SIIC. Les Majoritaires participent à cette augmentation de capital et renforcent encore leur participation.

Cette augmentation de capital a lieu en janvier 2025.

Le Groupe Majoritaire demande et obtient une dérogation de dépôt d’OPA que le dépassement de seuils de détention aurait nécessité. Cette demande est octroyée par l’Autorité des Marchés Financiers (ci-après l’ « AMF ») par une décision du 26 mars 2025.

Les actionnaires minoritaires (ci-après le « Groupe Minoritaire ») ont saisi la Cour d’appel d’un recours en annulation contre cette décision.

Par un arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 16 septembre 2025, et après avoir statué sur sa recevabilité, le recours du Groupe Minoritaire est rejeté sur le fond.

II –

Il convient tout d’abord de revenir sur les différents mécanismes relatifs aux augmentations de capital pour les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé, soit les sociétés cotées, qui intéressent le cas d’espèce.

En premier lieu, lorsqu’une personne seule ou de concert, qu’elle soit physique ou morale, vient à détenir directement ou indirectement plus de 30 % des titres d’une société cotée, elle doit informer l’AMF et déposer un projet d’offre publique visant la totalité du capital et des titres donnant accès au capital ou aux droits de vote[1]. La même obligation pèse sur toute personne, toujours seule ou de concert, toujours physique ou morale, qui vient à détenir entre 30 et 50 % des titres d’une société cotée et qui, en moins de 12 mois consécutifs, augmente cette détention d’au moins 1 % en titres ou en droits de vote[2].

Cependant, l’AMF peut délivrer une dérogation à l’obligation de dépôt d’un projet d’offre publique[3] dans le cas où ces personnes, agissant seules ou de concert, détenaient la majorité des droits de vote de la société avant l’opération ayant entraîné un franchissement de seuil[4].

En d’autres termes, le Groupe Majoritaire pouvait obtenir une dérogation à l’obligation de déposer un projet d’offre publique si elle démontrait (i) la détention antérieure à l’opération de la majorité des droits de vote et que (ii) les sociétés du Groupe Majoritaire avaient agi de concert. C’est sur la remise en cause de l’existence de ces deux conditions que se fondait le recours du Groupe Minoritaire.

III –

Sur la notion d’agissement de concert, soit il est établi que les personnes ont « conclu un accord en vue d’acquérir, de céder ou d’exercer des droits de vote, pour mettre en œuvre une politique commune vis-à-vis de la société ou pour obtenir le contrôle de cette société »[5], soit il existe une présomption d’action de concert pour toute une série d’hypothèses[6].

Tout d’abord la Cour d’appel de Paris relève que deux sociétés du Groupe Majoritaire en contrôlent deux autres au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce, cette situation est l’une des hypothèses de la présomption d’agissement de concert : il est donc établi à leur égard une action de concert.

Reste la situation de ces deux sociétés mères, celles qui contrôlent les deux autres, et le fait de savoir si elles avaient agi de concert entre elles. La Cour souligne une autre hypothèse de présomption d’action de concert : la présomption est établie lorsque deux sociétés sont contrôlées par la ou les mêmes personnes et ce sans renvoi cette fois à la notion de contrôle de l’article L. 233-3 du Code de commerce.

En l’espèce, les deux sociétés mères sont toutes deux membres d’un groupe d’assurance mutuelle. En conséquence, la Cour, en effectuant un rapprochement entre les articles du Code des assurance relatifs à la notion de groupe d’assurance mutuelle et à celle de relations entre une entreprise mère et entreprise fille issus de la directive 2009/138/CE et la directive « Transparence » et sa définition de l’« entreprise contrôlée »[7], va considérer que la situation de sociétés membres d’un groupe de sociétés d’assurance mutuelle est assimilable à celle de sociétés contrôlées par une même personne.

En clair, la Cour établit la présomption d’action de concert entre les deux sociétés mères puisqu’elles appartiennent au même groupe d’assurance mutuelle.

IV –

Au surplus, la Cour va caractériser l’action de concert en établissant qu’un accord a été conclu entre elles relatif à l’acquisition et à l’exercice de droits de vote visant la mise en place d’une politique commune vis-à-vis de la SIIC.

Sur l’accord, il n’existe aucune condition de forme[8] et celui-ci peut être démontré par un faisceau d’indices graves, précis et concordants[9]. L’accord est cependant la condition centrale et incontournable de la caractérisation d’un concert, ce que la Cour de cassation, dans un arrêt de 2016[10], a eu l’occasion de rappeler en jugeant que l’AMF et la Cour d’appel de Paris ne pouvaient se contenter de relever un parallélisme des comportements.

En l’espèce, il existait des conventions d’affiliation communes, une politique d’investissement coordonnée, un comité d’investissements et une direction générale commune ainsi qu’une politique de vote convergente vis-à-vis de la SIIC.

En plus d’établir la présomption d’action de concert, la Cour démontre l’action de concert entre les deux sociétés mères.

Il en résulte donc que, dans le cadre de l’opération d’augmentation de capital de la SIIC, le Groupe Majoritaire pouvait obtenir une dérogation de dépôt d’offre publique puisque les sociétés qui composaient le Groupe Majoritaire avaient agi de concert. Il était en outre démontré la détention capitalistique antérieure de la majorité des droits de vote.

Au-delà de l’étude de certaines obligations relatives à certaines opérations envisagées sur le capital de sociétés cotées, l’arrêt permet de définir l’action de concert et les cas où une présomption d’action de concert peut être établie.

A noter qu’en cas de groupe familial, la notion d’action de concert est plus facilement démontrable, et peut être considérée comme se confondant avec celle de groupe familial (voir en ce sens l’affaire Hermès[11]).


[1] Article 234-2 Règlement général de l’AMF

[2] Article 234-5 Règlement général de l’AMF

[3] Article 234-8 Règlement général de l’AMF

[4] Article 234-9 6° Règlement général de l’AMF

[5] Article L233-10 I. du Code de commerce

[6] Article L233-10 II. du Code de commerce

[7] « Toute entreprise sur laquelle une personne physique ou morale a le pouvoir d’exercer ou exerce effectivement une influence dominante ou un contrôle » (article 1, §1, sous f, iv).

[8] Cass. com. 22 novembre 2016, n°15-11.063

[9] Cass. com., 15 mai 2012, n° 11-11.633

[10] Cass. com., 22 novembre 2016n n°15-11.063

[11] Com., 28 mai 2013, n° 11-26.423 et 12-11.672

Partager cet article