Dépôt de marque : combat de géants entre Chanel et Huawei

Vianney DESSENNE
Vianney DESSENNE - Avocat

Source : Arrêt du Tribunal ( cinquième chambre) du 21 avril 2021, de l’InfoCuria, Jurisprudence

 

Il est rappelé au préalable que la similitude entre des signes s’apprécie sur une comparaison visuelle, phonétique et conceptuelle.

 

En outre, cette appréciation doit être fondée sur l’impression d’ensemble produite par les signes en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants.

 

En septembre 2017, la société HUAWEI a déposé une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne, constituée de l’élément figuratif suivant :

 

 

La société CHANEL a formé opposition à cette demande en s’appuyant sur la marque française figurative enregistrée le 17 mai 2013 suivante, dont elle est titulaire :

 

 

Ainsi que sur la marque française suivante, déposée le 11 décembre 1985 :

 

 

L’opposition étant rejetée, la société CHANEL a formé un recours devant la Chambre des recours de l’EUIPO qui, par décision en date du 28 novembre 2019, l’a déboutée, au motif qu’il n’existait pas de risque de confusion dans l’esprit du public pertinent par rapport à la marque antérieure, et que la condition d’identité ou de similarité des signes en conflit n’était pas remplie, eu égard aux différences constatées entre la marque dont l’enregistrement est requis et la marque antérieurement dont la renommée est excipée.

 

La Chambre des recours relève que les marques possèdent une structure différente et sont composés d’éléments différents.

 

Elle ajoute que la simple présence, dans chacune des marques en conflit, de deux éléments reliés entre eux n’aurait pas pour effet de les rendre similaires même si elles partageaient la forme géométrique basique d’un cercle, entourant lesdits éléments.

 

La société CHANEL saisit le Tribunal de l’Union européenne, en faisant valoir que :

 

1.  La marque dont l’enregistrement est demandé et la marque prétendument renommée sont globalement similaires à un degré moyen faible lorsqu’elles sont comparées dans l’orientation dans laquelle elles sont déposées, et à un degré moyen à fort dans l’hypothèse d’une rotation à 90 degrés de la marque demandée.

 

Elle soutient que la chambre de recours a erronément écarté par principe toute possibilité de prendre en compte la marque demandée dans une orientation autre que celle dans laquelle elle avait été déposée, pour le motif inexact que les marques devraient toujours être comparées telles qu’elles ont été déposées et enregistrées.

 

2.  Du point de vue visuel, elle estime que la comparaison de la marque demandée et de la marque prétendument renommée, dans l’orientation dans laquelle elles ont été déposées, n’exclut pas certaines ressemblances, de sorte que ces marques pourraient être considérées comme présentant des similitudes. Dans l’hypothèse de la rotation à 90 degrés de la marque demandée, la marque prétendument renommée et la marque demandée seraient visuellement similaires.

 

3.  Du point de vue conceptuel, elle estime que la chambre de recours de l’EUIPO a considéré à tort que les marques en conflit étaient différentes et que, dès lors que les signes n’ont pas de signification et ne véhiculent aucun concept, elle aurait dû juger que la comparaison conceptuelle n’avait pas lieu d’être opérée.

 

Dans son arrêt du 21 avril 2021, le Tribunal de l’Union européenne rappelle que l’enregistrement d’une marque doit être refusé si elle est identique ou similaire à une marque antérieure, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels elle est demandée sont identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, lorsque cette marque antérieure est une marque de l’Union européenne qui jouit d’une renommée dans l’Union européenne ou une marque nationale qui jouit d’une renommée dans l’État membre concerné, et que l’usage sans juste motif de la marque demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de cette marque antérieure ou leur porterait préjudice.

 

Il rappelle également que la protection élargie à la marque antérieure jouissant d’une renommée au sens du Règlement n°207/2009 du 26 février 2009 portant sur « la marque communautaire » suppose la réunion des 3 conditions suivantes :

 

  l’identité ou la similitude des marques en conflit ;

 

  l’existence d’une renommée de la marque antérieure invoquée à l’appui de l’opposition ;

 

  l’existence d’un risque que l’usage sans juste motif de la marque demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou lui porterait préjudice.

 

Ces conditions étant cumulatives, l’absence de l’une d’entre elles suffit à rendre inapplicable la protection élargie à la marque antérieure jouissant d’une renommée.

 

En matière de marque de renommée, il n’est pas nécessaire de démontrer qu’il existe, dans l’esprit du public concerné, un risque de confusion entre la marque antérieure jouissant d’une prétendue renommée et la marque demandée puisqu’il suffit que le degré de similitude entre ces deux marques ait pour effet que le public concerné établisse un lien entre elles (TUE, 9 mars 2012, arrêt n° T‑32/10).

 

Le Tribunal confirme ensuite le principe suivant lequel l’appréciation du degré de similitude entre des signes doit être effectuée dans la forme dans laquelle ils sont enregistrés ou demandés, l’usage réel ou potentiel des marques enregistrées sous une autre forme étant dénué de pertinence (TUE, 20 avril 2018, arrêt n° T-15/17).

 

Ainsi, contrairement aux prétentions de la société CHANEL, il estime qu’il y a lieu de comparer la marque prétendument renommée dans la forme sous laquelle elle a été enregistrée et la marque demandée dans la forme sous laquelle elle a été demandée, indépendamment de toute éventuelle rotation lors de leur utilisation sur le marché.

 

Or,  le Tribunal observe que la marque demandée est un signe figuratif qui se compose d’un cercle contenant deux courbes ressemblant à l’image de deux lettres « u » de couleur noire disposées verticalement et en miroir inversé, qui se croisent et se coupent pour former un élément central constituant une ellipse horizontale, et que la marque prétendument renommée est elle aussi un signe figuratif qui se compose d’un cercle contenant deux courbes ressemblant à l’image de deux lettres « c » de couleur noire disposées horizontalement et en miroir inversé, qui se croisent et se coupent pour former un élément central constituant une ellipse verticale.

 

Il est donc avéré que les marques en conflit partagent certaines caractéristiques, en l’occurrence un cercle de couleur noire, deux courbes entrelacées, que ledit cercle entoure, de couleur noire également, se croisant en miroir inversé, ainsi qu’une ellipse centrale, résultant de l’entrecroisement des courbes.

 

Pour autant, le Tribunal relève que, appréciées globalement, les marques en conflit sont différentes sur le plan visuel, en dépit de la présence commune de deux courbes entrelacées au sein d’un cercle de couleur noire, ce dernier étant selon l’arrêt commenté un élément géométrique banal.

 

Donnant une large priorité à la comparaison faite sur le plan visuel, il en conclut que la marque demandée et la marque prétendument renommée sont globalement différentes et que l’opposition doit être rejetée.

 

Nul doute que CHANEL va former un recours à l’encontre de cette décision, affaire à suivre donc…

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