INTRODUCTION
« Un procès jugé en première instance ne s’arrête généralement pas là (…). Pour nous en tenir à la situation la plus banale, considérons que l’on appelle de la prévôté au bailliage. Mais quel bailliage ? Celui dont on dépend, parbleu ! Encore faut-il savoir lequel… Deux villages voisins, ayant même prévôté, peuvent relever de deux bailliages différents. Dans une même maison, la salle peut être du ressort d’un bailliage, la chambre d’un autre ! (…) Supposons maintenant tous les préliminaires résolus, le « bon » bailliage dûment saisi. D’autres complications ne vont pas tarder à surgir. Un appel en cache toujours un autre, de préférence plusieurs. Appels ‘incidents’, ‘respectifs’, ‘en tant que de besoin’, ‘en adhérant’, appels ‘interlocutoires’ sur les jugements de même nature (…). Le temps passe. Enquête et contre-enquête, témoins produits et ouïs, pièces déposées, vérifiées, discutées. Rapport des experts, conclusions des avocats et procureurs. Si l’une des parties a fait défaut, ce qui est fréquent (il faut toujours gagner du temps !), elle a été réassignée autant de fois que le prévoit le style en vigueur dans la juridiction (…).Un beau jour, le procès, enfin ‘en état’, vient à l’audience. Encore une demi-douzaine de renvois et le voilà jugé. Définitivement ? Grâce à Dieu, non ! Un bailliage ne juge pas en dernier ressort… ».
A ceux qui verraient dans la durée des procédures juridictionnelles une plaie spécifiquement contemporaine, Arlette Lebigre a, dans son ouvrage classique [1], apporté un cinglant démenti. Dès l’Ancien Régime, justiciables et professionnels du droit se désolaient déjà du retard mis à trancher les litiges devant les juridictions françaises.
Si l’on doit percevoir un changement, c’est assurément du côté des mœurs qu’il convient de tourner le regard. Arlette Lebigre rappelle en effet : « ‘Avoir des procès’ est dans l’ordre naturel des choses. Non sans parfois une pointe de snobisme. Il est de bon ton, pour un seigneur ou une dame de campagne, de se rendre en ville afin d’y ‘suivre ses procès’. Avec l’agréable perspective de voir des visages nouveaux, de prendre ‘le bel air’ des gens à la mode, de s’attarder en rencontres amicales ou galantes. Cela peut durer plusieurs semaines, voire plusieurs mois (…). Toute une partie de la sociabilité de l’ancienne France gravite autour de la vie judiciaire »[2]. Aujourd’hui, ceux qui se rendent dans les palais de justice pour y deviser agréablement ou y conter fleurette sont l’exception. Les justiciables, qu’ils soient personnes physiques ou morales, n’ont guère le loisir de s’attarder dans les tribunaux. Et c’est pourquoi les délais excessifs de jugement sont source d’agacement, de colère, voire parfois de désespoir.
Et, pourtant, les textes exigeant un délai raisonnable de jugement ne manquent guère. Depuis le sixième amendement à la Constitution américaine (« Dans toute poursuite criminelle, l’accusé aura le droit d’être jugé promptement et publiquement par un jury impartial… »), les textes les plus solennels ont exigé la célérité de la justice[3]. C’est, du point de vue du droit français, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, signée le 4 novembre 1950, qui a eu la portée la plus grande. Aux termes de son article 6§1 : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (…) ». Interprétant ce texte, la Cour européenne des droits de l’Homme a conduit les Etats parties à la Convention à s’interroger sur les délais de jugement constatés devant leurs juridictions nationales.
De ce point de vue, l’apport de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg a été déterminant. Elle a permis aux juridictions françaises, confrontées au danger d’une condamnation de la France à Strasbourg, de prendre toute la mesure du problème et d’organiser par voie prétorienne une réparation adéquate des préjudices nés des délais excessifs de jugement.
Les dernières années ont continué à être riches en décisions déterminant les acteurs, l’étendue et les modalités de la réparation à accorder aux justiciables victimes du dépassement du délai raisonnable. La Cour européenne des droits de l’Homme[4], tout comme la Cour de Cassation[5] ou le Conseil d’Etat[6] ont continué à s’interroger sur les meilleurs moyens de prendre en charge cette réparation. Même le Tribunal des conflits est intervenu dans cet important débat[7].
A cet égard, il faut se féliciter que, selon une formule due au Président Genevoix[8], un véritable « dialogue des juges » ait été instauré entre la Cour européenne des droits de l’Homme et les deux juridictions suprêmes françaises.
Ce dialogue des juges a porté aussi bien sur le principe même de la réparation des préjudices résultant du délai excessif de jugement (I) que sur les modalités de cette réparation (II).
I/ LE DIALOGUE DES JUGES SUR LE PRINCIPE DE LA REPARATION
C’est la Cour européenne des droits de l’Homme qui, par sa jurisprudence, a opéré un renversement dans le dialogue entretenu avec les juridictions nationales. En effet, la Cour de Strasbourg, qui jouait autrefois un rôle central dans la réparation des préjudices nés du délai excessif de la procédure juridictionnelle, a décidé à compter de l’an 2000 que son rôle ne serait plus que résiduel (A). A compter de cette date, c’est le juge national qui s’est trouvé en première ligne pour remplir de leurs droits les justiciables victimes d’un délai déraisonnable de jugement (B).
A/ Le rôle désormais résiduel du juge européen
La Cour européenne des droits de l’Homme a, dans un premier temps, assumé pleinement le rôle consistant à réparer les préjudices résultant du délai excessif des procédures juridictionnelles constatées en droit interne. Elle a alors été conduite à préciser les principes fondant ce contrôle (1). Puis, dans un second temps, elle a décidé d’abandonner le contrôle de droit commun du respect du délai raisonnable au juge national (2).
1. Les principes initialement posés par la Cour européenne des droits de l’Homme
Jusqu’en l’an 2000, la Cour de Strasbourg a pris en charge la réparation des conséquences dommageables du délai déraisonnable d’une procédure juridictionnelle. N’exigeant pas que les ordres juridiques internes mettent en place une voie de recours effective et spécifique pour l’indemnisation de tels préjudices, elle vérifiait seulement que, lorsqu’une telle voie de recours existait, le justiciable mécontent l’avait bien exercée avant de la saisir d’une requête fondée sur la violation de l’article 6 paragraphe 1 de la Convention.
Dans le cadre de cette réparation, les juges européens des droits de l’Homme ont dû déterminer les principes leur permettant de dresser un tableau de ce qu’est un délai déraisonnable au sens des stipulations de l’article 6. Bien entendu, le seul constat dune procédure juridictionnelle étalée dans le temps ne saurait suffire à justifier la condamnation d’un Etat partie en raison d’un manquement de ses juridictions à la possibilité d’obtenir une décision de justice dans un délai raisonnable.
La Cour s’est dotée de quatre critères cumulatifs permettant de déterminer l’existence d’une violation de l’article 6 de la Convention et d’en apprécier la gravité.
La Cour de Strasbourg s’interroge d’abord sur la complexité de l’affaire qui donne lieu à la contestation sur le fondement de l’article 6. De ce point de vue, la difficulté de la procédure en cause est appréciée au regard de ses éléments de fait et de ses éléments de droit. Mais la Cour se montre circonspecte dans ce contrôle : elle vérifie si, concrètement, il existe une difficulté. Et, face à des Etats parties prompts à évoquer le caractère inextricable d’une matière, les juges européens ont rappelé à de nombreuses reprises qu’il n’existait aucun domaine du droit qui serait, en lui-même et systématiquement, source d’une complexité excusant un délai excessif de jugement[9].
La Cour prend également en compte l’enjeu de la procédure juridictionnelle pour le justiciable. Si l’enjeu est vital, au véritable sens du terme, l’exigence de célérité est maximale[10]. Mais, même dans des hypothèses moins dramatiques, la nature de la procédure doit parfois conduire les juges à presser le pas. Tel est, parmi de nombreux autres exemples, le cas des décisions juridictionnelles prises en matière d’assistance éducative[11], ou encore dans le domaine du licenciement des salariés[12].
Le comportement des autorités nationales est le troisième critère développé par la Cour européenne des droits de l’Homme. Le juge européen se montre d’abord particulièrement exigeant à l’endroit des magistrats eux-mêmes, en leur faisant obligation d’utiliser tous les moyens à leur disposition pour imprimer un rythme acceptable à la procédure juridictionnelle, même lorsque le procès est « la chose des parties »[13]. Cette vérification est d’une telle sévérité qu’elle laisse parfois songeur[14].
Enfin, la Cour de Strasbourg scrute le comportement des parties lors de la procédure juridictionnelle en cause. La Cour a en effet toujours affirmé la nécessité de prendre en compte l’attitude des parties, particulièrement dans les procédures au sein desquelles, en vertu des règles nationales (en France, le Code de procédure civile), les parties ont la maîtrise de l’instance[15]. En toute logique, des parties qui ont, par leur comportement dilatoire, ralenti la marche de la procédure, ne sauraient ultérieurement se plaindre d’un délai de jugement excessif sur le fondement de l’article 6 de la Convention[16].
En revanche, la Cour européenne des droits de l’Homme a décidé que le dualisme juridictionnel, en vigueur dans certains Etats parties dont la France, ne pouvait en aucun cas justifier, en raison des difficultés procédurales qu’il fait naître, un délai excessif de jugement. En effet, tout en reconnaissant les difficultés inhérentes à la matière de l’expropriation, dans laquelle interviennent et le juge administratif et le juge judiciaire, la Cour a refusé de tenir compte de l’allongement des délais résultant de ces difficultés[17]. On peut certes comprendre que, dans sa volonté d’améliorer les performances des juridictions des Etats parties en matière de délais de jugement, la Cour ait ainsi refusé de prendre en considération la structure duale des juridictions françaises. Mais on doit, dans le même temps, constater que la même Cour de Strasbourg ne prend pas en compte, dans le calcul du délai mis par les juges nationaux à trancher, la durée du renvoi préjudiciel éventuellement engagé devant la Cour de justice des Communautés européennes[18]. Le rapprochement de ces deux jurisprudences semble révéler une position de la Cour a priori hostile à la dualité de juridictions, qui n’apparaît pas fondée.
Après avoir, pendant de nombreuses années, pris en charge la réparation des préjudices résultant du délai excessif de jugement devant les juridictions des Etats parties, la Cour de Strasbourg a estimé préférable de confier cette tâche, à titre principal, au juge national.
2. L’abandon du contrôle de droit commun du délai déraisonnable au juge national
La Cour européenne des droits de l’Homme a dû, face à des contraintes matérielles dirimantes, faire évoluer sa jurisprudence. Au début des années 2000, la Cour de Strasbourg était confrontée à un afflux massif de requêtes relatives à l’excessive durée des procédures juridictionnelles. Pour la seule année 2001, plus de 64 % des arrêts rendus par la Cour européenne s’étaient prononcés sur ce grief.
Face à cette réalité, la Cour européenne des droits de l’Homme a pris la décision de forcer les Etats parties à instituer, en droit interne, des recours effectifs permettant aux justiciables de se plaindre de la durée excessive des procédures devant les juridictions nationales. C’est l’arrêt Kudla c/ Pologne[19], rendu le 26 octobre 2000, qui a opéré ce revirement de jurisprudence. Elle a en effet posé le principe suivant : « la Cour estime que l’interprétation correcte de l’article 13 est que cette disposition garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable »[20].
La Cour revenait ainsi sur sa jurisprudence classique. En effet, les exigences posées par l’article 6 paragraphe 1 de la Convention étant considérées comme plus strictes, le constat de violation de ce dernier article rendait inutile l’examen du grief fondé sur l’article 13 de la Convention et tiré, par le requérant, de l’absence en droit national d’une juridiction compétente pour sanctionner la durée excessive du procès[21].
Mais ce courant jurisprudentiel initial n’était pas satisfaisant. Contrairement aux efforts de la Cour de Strasbourg, qui tendent à assurer, d’abord en droit interne, un haut niveau de protection des droits garantis par la Convention, cette jurisprudence n’invitait guère les Etats parties à améliorer leur système interne de garantie. C’était là, à n’en pas douter, l’origine de l’afflux de requêtes adressées à la Cour pour se plaindre des délais déraisonnables rencontrés devant les juridictions des Etats parties.
A cet égard, les raisons du revirement de jurisprudence ne laissent aucun doute, puisqu’ils sont clairement explicités dans la décision Kudla c/ Pologne elle-même. Les juges de Strasbourg ont ainsi indiqué : La Cour estime aujourd’hui que le temps est venu de revoir sa jurisprudence, eu égard à l’introduction devant elle d’un nombre toujours plus important de requêtes dans lesquelles se trouve exclusivement ou principalement allégué un manquement à l’obligation d’entendre les causes dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 »[22].
Depuis l’arrêt Kudla c/ Pologne, la Cour européenne des droits de l’Homme fait respecter l’exigence d’un recours effectif en droit interne permettant aux justiciables mécontents de faire sanctionner un délai excessif de jugement[23]. La Cour de Strasbourg a continué, sous l’empire de ce nouveau cours jurisprudentiel, de définir le recours utile en droit interne comme le recours accessible et de nature à donner des résultats tangibles[24].
C’est à cette nouvelle politique jurisprudentielle que les juridictions françaises, administratives comme judiciaires, se sont trouvées confrontées au début des années 2000.
B/ Le rôle aujourd’hui central du juge national
A l’invitation du juge européen des droits de l’Homme, le droit français a dû organiser des recours effectifs de nature à réparer les préjudices causés par un délai excessif de jugement (1), et préciser les critères d’appréciation sur lesquels il entendait faire reposer ces recours (2).
1. La réception des exigences européennes par le juge national
La jurisprudence Kudla c/ Pologne a constitué, pour les juridictions françaises, un défi majeur. En effet, lorsque cette décision est intervenue, la Cour européenne des droits de l’Homme estimait qu’il n’existait, en droit français, aucun recours utile permettant l’indemnisation des conséquences dommageables d’un délai déraisonnable de jugement, et ce ni devant le juge judiciaire, ni devant le juge administratif. Ce recours effectif, apprécié dans le cadre du contrôle de recevabilité prévu à l’article 35 § 1 de la Convention[25], est défini par la Cour de Strasbourg comme un recours qui peut soit empêcher la violation de la Convention, soit y mettre fin, soit encore la réparer[26], et qui doit en outre présenter des chances sérieuses de succès[27].
S’agissant tout d’abord du juge judiciaire, la Cour de Strasbourg avait estimé, par un arrêt Vernillo c/ France du 20 février 1991, que l’action ouverte par l’article L. 781-1 du Code de l’organisation judiciaire (aujourd’hui codifié à l’article L. 141-1 du même Code) [28] n’était pas une voie de recours utile et efficace au sens de la jurisprudence qui vient d’être rappelée. Pour se prononcer en ce sens, la Cour de Strasbourg avait souligné que les conditions d’ouverture fixées par l’article L. 781-1 du Code de l’organisation judiciaire étaient très strictes. Surtout, elle avait indiqué que les juridictions françaises n’avaient pas, dans leur jurisprudence, interprété les notions de « faute lourde » et de « déni de justice » de manière extensive, ce qui empêchait, selon les termes de l’arrêt, « d’y englober tout dépassement du ‘délai raisonnable’ visé par l’article 6 § 1 de la Convention ».
Mais, fort heureusement, alors que la Cour européenne des droits de l’Homme s’apprêtait à abandonner aux juges nationaux la réparation du délai excessif de jugement, la jurisprudence judiciaire française a évolué dans son appréciation de l’action en responsabilité fondée sur l’article L. 781-1 du Code de l’organisation judiciaire. Les juges du fond ont, dans un premier temps, admis que le retard mis à juger pouvait constituer un déni de justice[29]. Mais c’est l’intervention de la Cour de Cassation dans ce débat qui a initié le changement majeur, en établissant une définition plus compréhensive de la faute lourde susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat. Depuis un arrêt de principe de 2001, il s’agit de « toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi »[30]. L’exigence liée à la notion de faute lourde est ainsi considérablement amoindrie.Cette jurisprudence a été ultérieurement maintenue[31].
A la suite de cette évolution jurisprudentielle interne, la Cour européenne des droits de l’Homme est revenue sur son appréciation antérieure relative à l’existence d’un recours utile en droit français, au sens de l’article 35§1. Elle a en effet décidé en 2001 que devait être déclarée irrecevable la requête de ressortissants français se plaignant de la durée excessive d’une procédure, au motif que ces justiciables n’avaient pas, au préalable, exercé le recours fondé sur l’article L.781-1 du Code de l’organisation judiciaire[32]. Pour statuer en ce sens, la Cour a estimé que ce recours était devenu d’usage fréquent et, surtout, que l’arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 20 janvier 1999 avait fait jurisprudence. Dès lors, les juges européens ont indiqué que le recours de l’article L. 781-1 du Code de l’organisation judiciaire avait acquis, selon les termes de l’arrêt, « un degré de certitude juridique suffisant pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention ». Et la Cour de Strasbourg a très rapidement confirmé cette exigence, fondée sur la nouvelle interprétation du recours institué par le Code de l’organisation judiciaire[33].
La situation n’était initialement pas meilleure devant le juge administratif. On rappellera que, jusqu’en 2002, le seul moyen pour obtenir la réparation d’un délai déraisonnable de jugement devant les juridictions administratives consistait à mettre en jeu la responsabilité pour faute lourde de l’Etat du fait du fonctionnement de ces mêmes juridictions[34]. Or, la Cour européenne des droits de l’Homme a jugé que ce recours ne constituait pas une « voie de droit spécifique au travers de laquelle le requérant aurait pu se plaindre de la durée de la procédure » telle qu’exigée par la jurisprudence Kudla c/ Pologne, l’état de la jurisprudence administrative française interne ne démontrant pas l’efficacité de ce recours en matière de délai raisonnable[35].
Mais le juge administratif français a prestement tiré toutes les conclusions qui s’imposaient à la lecture de la position de la Cour de Strasbourg dans l’arrêt Kudla c/ Pologne. Il a en effet, par voie prétorienne, créé un nouveau recours permettant aux justiciables de se plaindre du délai déraisonnable d’une procédure. Par un arrêt d’Assemblée du 28 juin 2002, le Conseil d’Etat a admis que la responsabilité de l’Etat pouvait être engagée en raison du caractère déraisonnable de la durée d’une procédure administrative contentieuse, sans que soit exigée la preuve d’une faute lourde[36]. Il s’est fondé à la fois sur les stipulations des articles 6§1 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, et sur « les principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives ». Cette dualité de fondements trouve son explication dans le fait que le Conseil d’Etat a souhaité mettre en place un système général de réparation du délai raisonnable, applicable y compris lorsque le litige jugé par les juridictions administratives n’a pas trait à des « contestations sur ses droits et obligations de caractère civil » ou à une « accusation en matière pénale dirigée contre elle », seules visées par l’article 6 de la Convention.
Ce revirement jurisprudentiel a eu l’effet escompté, puisque la Cour de Strasbourg a estimé que, dorénavant, la France était bien dotée d’un recours effectif permettant aux justiciables d’obtenir réparation d’un délai excessif de jugement constaté devant les juridictions administratives[37]. Le pouvoir réglementaire, dans le but d’accélérer la procédure ainsi créée, est intervenu. Le décret du 28 juillet 2005 a complété l’article R. 311-1 du Code justice administrative, aux termes duquel, désormais : « Le Conseil d’Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : (…) 7° Des actions en responsabilité dirigées contre l’Etat pour durée excessive de la procédure devant la juridiction administrative »[38]. Ce décret a par ailleurs introduit de nouvelles dispositions[39], qui donnent un rôle à la Mission permanente d’inspection des juridictions administratives.
Du point de vue de l’affirmation du principe de la réparation, il restait un dernier écueil à affronter : la question, sensible en droit français, de la dualité de juridictions. Comme on l’a déjà souligné, la Cour européenne des droits de l’Homme a refusé de tenir compte des difficultés procédurales inhérentes à cette dualité[40]. Ceci exposait clairement la France à des condamnations dans des domaines du droit où l’intervention des deux ordres de juridictions est fréquente, voire quasi-systématique (tels que, par exemple, l’expropriation pour cause d’utilité publique ou le licenciement des salariés protégés).
Ce danger était d’ailleurs loin d’être théorique. En effet, la Cour de Cassation, en 2005, jugeant le licenciement d’un salarié protégé, avait naturellement appliqué la règle classique de la distinction des deux ordres en la matière[41], et ne s’était en conséquence prononcée que sur le délai de jugement constaté devant les juridictions judiciaires, refusant de prendre en compte le délai écoulé devant les juridictions administratives[42]. Or, cet arrêt a entraîné la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme, qui, écartant une fois encore l’argument tiré de la dualité de juridictions, a rappelé qu’il« incombe aux Etats contractants d’organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d’obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable »[43].
En définitive, sur saisine du Conseil d’Etat, le Tribunal des conflits, conscient des enjeux, a trouvé une solution qui pourrait prémunir la France de futures condamnations découlant de sa dualité de juridictions. En effet, il a jugé, ouvrant là une exception à la règle posée dans sa jurisprudence Préfet de la Guyane, que lorsque les deux ordres de juridictions sont successivement saisis au cours d’un même litige, le juge compétent pour apprécier le caractère éventuellement excessif du délai de jugement est celui qui est compétent pour connaître du fond du litige[44]. C’est ce juge qui est alors compétent pour « porter une appréciation globale sur la durée de la procédure devant les deux ordres de juridictions et, le cas échéant, le Tribunal des Conflits ». Mais la simplification ainsi opérée n’est peut-être pas aussi définitive qu’on aurait pu l’espérer. Comme l’indique un commentateur avisé[45], « le plus souvent, l’identification du juge ‘principalement compétent’ au fond ne sera nullement évidente et risquera de relever de l’arbitraire ». Et, dès lors, la recherche des critères risque de s’avérer difficile. Selon le même auteur : « Faudra-t-il, alors, recourir à des critères purement artificiels telles la compétence de l’ordre juridictionnel le premier saisi (mais pourquoi pas le dernier ?). Ou de celui devant lequel la procédure aura été la plus longue (mais pourquoi pas la plus courte ?) ».
Cette solution est certes assez éloignée de celle proposée par un auteur, consistant à confier l’indemnisation de ces litiges à une juridiction ad hoc placée au-dessus des deux ordres juridictionnels[46].
Mais on peut, au moins, se féliciter de l’effort ainsi fourni par le Tribunal des conflits, c’est-à-dire par les juges des deux cours suprêmes de l’ordre juridique français, même s’il demande à être précisé, pour limiter les divergences entre droit français et droit européen des droits de l’Homme sur la question du délai raisonnable.
La mise en œuvre de l’exigence d’un recours utile en matière de délai excessif de jugement a donc été « nationalisée »[47], la Cour de Strasbourg ayant décidé d’abandonner ce contrôle aux juridictions nationales.
Toutefois, comme on va pouvoir le constater, le dialogue entre les ordres français et européen de juridictions a persisté lorsque les cours suprêmes françaises ont dû déterminer les critères d’appréciation à retenir pour assurer cette réparation.
2. Les critères d’appréciation du juge national
La Cour de Cassation comme le Conseil d’Etat, désormais chargés de se prononcer sur le délai excessif de jugement, ont néanmoins dû continuer à se positionner par rapport aux tendances jurisprudentielles de la Cour européenne des droits de l’Homme. En effet, celle-ci, si elle a aujourd’hui abandonné la réparation de droit commun en la matière, est toujours susceptible d’intervenir. Ainsi, pour évoquer un exemple parmi d’autres, la Cour de Strasbourg a condamné la France en raison de la décision du Conseil d’Etat intervenue dans le cadre des dispositions de l’article R. 311-1 du Code de justice administrative. Elle a estimé que la somme accordée au justiciable en réparation du délai déraisonnable de jugement (3 000 euros) était insuffisante, notamment au regard de la longueur de la procédure d’indemnisation elle-même[48].
Mettant en œuvre le nouveau contrôle, sur le fondement de l’article L. 141-1 du Code de l’organisation judiciaire pour les juges judiciaires, sur le fondement de la jurisprudence Magiera puis de l’article R. 311-1 du Code de justice administrative pour les juridictions administratives, les deux cours suprêmes françaises ont repris à leur compte les critères initialement établis par la Cour européenne des droits de l’Homme. En effet, l’appréciation concrète portée sur les circonstances du litige en cause est la méthode utilisée par le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation. Ainsi, sont par exemple pris en compte l’âge et l’état de santé du requérant victime[49]. Il en va de même des méandres de la procédure, qui ont pu ralentir légitimement celle-ci[50]. Bien entendu, tel est également le cas de la complexité du contentieux en cause[51]. Une appréciation spécifique est portée sur le délai raisonnable dans le cadre des procédures d’urgence[52].
Enfin, les juges français ont dû se prononcer sur la question de savoir si l’indemnisation de préjudices résultant du délai déraisonnable d’une procédure juridictionnelle peut être demandée alors même que cette procédure est encore pendante. La Cour européenne des droits de l’Homme s’est prononcée sur ce point.Par un arrêt de grande chambre, la Cour de Strasbourg a décidé que « tout grief tiré de la durée d’une procédure judiciaire introduit devant la Cour après le 20 septembre 1999 sans avoir préalablement été soumis aux juridictions internes dans le cadre d’un recours fondé sur l’article L. 781-1 du COJ est irrecevable, quel que soit l’état de la procédure au plan interne »[53]. Ceci signifie que la Cour admet que le requérant peut, dans un premier temps, demander réparation « des retards déjà accusés », et, dans un second temps, réitérer son action, potentiellement autant de fois qu’il est nécessaire, jusqu’à la fin de la procédure. Le Conseil d’Etat a pris la même position que la Cour de Strasbourg, en jugeant que le fait que le litige n’ait pas encore connu son issue n’empêchait pas d’indemniser les préjudices d’ores et déjà liés au délai déraisonnable de jugement[54]. Il est vrai que l’espèce en cause se prêtait particulièrement à une telle décision : l’affaire, qui était alors pendante devant la Cour administrative de Marseille, avait déjà dix-huit années d’existence, dont huit et demie de délibéré…
Ainsi, le principe d’une réparation des conséquences dommageables du délai déraisonnable des procédures juridictionnelles est, à l’issue d’un débat juridictionnel nourri, clairement affirmé tant par la Cour européenne des droits de l’Homme que par le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation.
Mais ce dialogue entre juridictions françaises et européenne a également porté sur les modalités de la réparation ainsi consacrée.
II/ LE DIALOGUE DES JUGES SUR LES MODALITES DE LA REPARATION
Le dialogue qui s’est développé sur les modalités de la réparation s’est cristallisé sur deux objets distincts : d’une part, l’appréciation de la durée de la procédure juridictionnelle (A) ; d’autre part, les préjudices résultant de cette procédure (B).
A/ L’appréciation de la durée de la procédure
La question posée sur la durée de la procédure a trait à la manière dont il convient de l’apprécier. Faut-il procéder à une appréciation globale, ou y a-t-il lieu d’apprécier la durée instance par instance ? On va constater que la Cour européenne des droits de l’Homme a fait des choix variables en la matière (1), tandis qu’il existe sur ce point des divergences entre les juges nationaux (2).
1. Les choix variables du juge européen
Il faut tout d’abord souligner un élément qui n’a jamais varié dans la jurisprudence européenne. Il concerne le point de départ du délai de jugement. Si celui-ci est en principe fixé à la date de saisine de la juridiction[55], il se peut qu’il intervienne avant même cette saisine. Tel est le cas, entre autres, lorsque le requérant a dû, avant de saisir la juridiction, exercer un recours de type administratif[56].
La jurisprudence européenne est moins tranchée pour ce qui a trait à l’appréciation qui doit être portée sur la durée de la procédure juridictionnelle. A la question de savoir s’il convient d’apprécier globalement la durée, ou de le faire instance par instance, la Cour de Strasbourg n’a pas répondu en termes véritablement tranchés.
La Cour européenne des droits de l’Homme a très fréquemment mis en œuvre une approche globale, en vertu de laquelle le juge, amené à se prononcer sur le caractère raisonnable de la durée d’une procédure juridictionnelle, doit prendre en compte l’ensemble de la procédure en cause. Ceci implique, d’une part, de prendre en considération l’exercice des voies de recours mais aussi, d’autre part, de ne pas isoler, au sein de cette procédure, l’une des instances. Ainsi, dans une affaire où le gouvernement italien avait pourtant évoqué, en défense, des éléments spécifiques à un stade de la procédure, la Cour de Strasbourg a pourtant décidé : « En conclusion, une période de huit ans et un mois environ ne saurait passer pour raisonnable eu égard à l’absence de complexité de l’affaire ainsi qu’à l’enjeu du litige pour le requérant (…). Par conséquent, il y a eu violation de l’article 6 par. 1 »[57]. Dans une autre espèce, après avoir relevé que « la durée de la procédure litigieuse, qui a débuté le 28 février 1986 par la saisine du tribunal administratif de Paris et s’est terminée le 26 octobre 1995 par la notification de l’arrêt du Conseil d’Etat au requérant, est de près de neuf ans et huit mois », la Cour a de même conclu que la durée de la procédure litigieuse était excessive[58].
Mais, à de très nombreuses reprises également, la Cour européenne des droits de l’Homme s’est prêté à une analyse décomposant les instances qui ont pu se succéder au cours de la procédure juridictionnelle contestée. Elle a jugé ainsi dès les années 1980. Par exemple, dans une affaire impliquant l’Autriche, on peut lire ce développement : « A la lumière de l’ensemble du dossier, la Cour estime que dans les nombreuses procédures judiciaires engagées par les requérants comme par les vendeurs pendant la période en cause (15 mai 1972 – 3 septembre 1980), deux phases prêtent à la critique ». Et la Cour de détailler ces deux périodes, correspondant à des procédures de première instance, après avoir estimé qu’une autre procédure de première instance, tout comme les procédures d’appel et de cassation, n’étaient pas déraisonnables au sens de l’article 6§1[59]. S’agissant de la France, un exemple topique de cette tendance jurisprudentielle peut être trouvé dans une décision rendue en 1989. Dans une affaire où était en cause la santé du justiciable, la Cour de Strasbourg a distingué les instances devant le tribunal administratif et devant le Conseil d’Etat. Les juges européens ont alors estimé que la durée de plus de quatre ans devant le tribunal administratif était excessive, tandis que « dans les circonstances de la cause, la durée de l’instance (plus de trois ans) devant la Haute Assemblée, juridiction administrative suprême, n’apparaît pas excessive en dépit de certaines lenteurs »[60]. Cette tendance jurisprudentielle a été confirmée par l’arrêt Gunes c/ France. Dans cette décision, la Cour de Strasbourg a estimé que le délai mis par le tribunal administratif à juger était excessif, tout comme la durée devant la cour administrative d’appel. En revanche, la Cour n’a pas jugé excessive la durée de l’instance devant le Conseil d’Etat[61].
On comprend aisément pourquoi la Cour européenne des droits de l’Homme s’est orientée vers une appréciation instance par instance. Son but ultime est l’amélioration des conditions dans lesquelles les justiciables peuvent obtenir une décision de justice devant les juridictions internes des Etats parties. De ce point de vue, l’appréciation différenciée par instance apparaît plus efficace. Elle empêche le système juridictionnel étatique de mettre en place ou de « tolérer » des phases de « rattrapage », au cours desquelles le traitement juridictionnel serait extrêmement rapide, et permettrait ainsi d’équilibrer la lenteur d’autres phases de la procédure. Ainsi, par exemple, une juridiction d’appel ne peut venir compenser, par sa célérité, un démarrage poussif devant le juge de première instance.
2. Les divergences nationales
On rappellera tout d’abord que, sur la question du point de départ du délai, les juridictions françaises admettent, comme la Cour européenne des droits de l’Homme, qu’il peut s’agir d’une date antérieure à la saisine de la juridiction[62].
En revanche, les juges nationaux ne sont pas unanimes sur la manière d’apprécier la durée d’une procédure juridictionnelle.
Dans un premier temps, le Conseil d’Etat a, dans l’arrêt Magiera, adopté une approche globale. La décision est fort claire à cet égard : « le caractère raisonnable du délai de jugement d’une affaire doit s’apprécier de manière à la fois globale – compte tenu, notamment, de l’exercice des voies de recours – et concrète, en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure et, en particulier, le comportement des parties tout au long de celle-ci ». Dans ses arrêts ultérieurs, la Haute assemblée n’est pas revenue sur cette appréciation globale. Toutefois, devant la réaffirmation très claire par la Cour de Strasbourg de sa préférence pour une appréciation différenciée par instance, le Conseil d’Etat a fait évoluer sa jurisprudence[63]. Le Conseil d’Etat a ainsi décidé, après avoir rappelé le détail des instances, que « la durée de 9 ans et 4 mois, dont 3 ans et onze mois pour l’instance devant le tribunal administratif, mise ainsi pour statuer sur cette affaire qui comprenait, outre la phase précontentieuse, trois instances et qui ne présentait pas de caractéristiques particulières, en termes d’enjeu ou de difficulté, est excessive ». Cette appréciation par instance a été confirmée et amplifiée par la décision Ville de Brest[64]. En effet, dans cette décision, la Haute juridiction a précisé que « lorsque la durée globale de jugement n’a pas dépassé le délai raisonnable, la responsabilité de l’Etat est néanmoins susceptible d’être engagée si la durée de l’une des instances a, par elle même, revêtu une durée excessive ».
Le Conseil d’Etat a apporté une autre précision intéressante sur sa manière d’envisager la durée de la procédure. A l’occasion d’une décision de 2010[65], il a tranché un litige mettant en cause le droit de la fonction publique territoriale, qui se présentait sous des dehors assez classiques. Un administrateur territorial travaillant pour la ville de Brest avait été radié des cadres en raison de la suppression de son emploi. Cette radiation avait été confirmée plusieurs fois par la ville. Le fonctionnaire a obtenu l’annulation, en 1994, de ces décisions devant le tribunal administratif de Rennes, dont le jugement impliquait qu’un emploi correspondant à son grade lui soit proposé, et ce avec un effet rétroactif. Mais, pour bénéficier finalement de l’exécution complète de ce jugement, ledit fonctionnaire a dû attendre près de 11 ans, et obtenir pas moins de quatre décisions supplémentaires des juridictions administratives.
Cet arrêt du 26 mai 2010 confirme, à certains égards, la jurisprudence du Conseil d’Etat en la matière. Ainsi, la durée de la procédure est appréciée à la fois de manière globale (première instance, et éventuelles voies de recours), mais le Conseil précise dans le même temps que la durée de l’une des instances peut à, elle seule, engager la responsabilité de l’Etat. Ces éléments figuraient déjà dans la décision précitée Ville de Brest de juillet 2009. En revanche, plus novatrice est la manière dont le Conseil d’Etat a évalué la date à laquelle l’administration a pleinement exécuté le jugement du Tribunal administratif de Rennes de 1994. Ce faisant, le juge suprême de l’ordre administratif a simplement mis en œuvre les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’Homme Hornsby c/ Grèce de 1997 ou Apicella c/ Italie de 2006.
Le Conseil d’Etat avait déjà reconnu, en 2008, qu’une nouvelle instance juridictionnelle puisse s’ajouter à l’instance principale dont le délai était estimé excessif. Mais il ne s’agissait alors que d’une procédure en rectification d’erreur matérielle. Intégrer sa durée paraissait assez naturel, car la compréhension de la décision principale était conditionnée par la rectification de l’erreur. Sans rectification, pas d’exécution de la décision juridictionnelle. Dans l’affaire M. Mafille, on se trouvait bien en présence de procédures de fond, qui avaient été justifiées par l’inexécution de la décision juridictionnelle de 1994. Ainsi, le Conseil d’Etat a étendu la durée de jugement à toutes les procédures juridictionnelles qu’un justiciable a été contraint d’engager pour obtenir l’exécution d’une décision de justice favorable. Il y a là une forte incitation, aussi bien pour l’administration que pour les juridictions administratives, à exécuter dans les meilleurs délais les décisions juridictionnelles.
La Cour de Cassation refuse, pour sa part, d’adopter cette approche instance par instance. Elle demeure fidèle à l’appréciation globale de la durée de la procédure juridictionnelle. Ce choix a notamment été affirmé dans un arrêt du 20 février 2008[66]. On aurait pu imaginer qu’après l’arrêt Gunes c/ France, la plus haute juridiction judiciaire fasse évoluer sa jurisprudence. Il n’en a rien été, puisque par deux arrêts du 25 mars 2009[67], la première chambre civile de la Cour de Cassation a confirmé sa position traditionnelle, en indiquant : « attendu que les procédures pénales qui se sont succédé ayant le même objet, de sorte qu’elles devaient être considérées dans leur ensemble, et la période les séparant étant de courte durée, la cour d’appel a pu estimer qu’un délai de treize années écoulé entre l’accident et la consécration des droits de M. X… à indemnisation excédait le délai raisonnable visé par l’article 6 de la Convention ». Cette jurisprudence, différente de celle appliquée désormais tant devant le Conseil d’Etat que devant la Cour européenne des droits de l’Homme, est-elle appelée à perdurer ? Il est difficile de se prononcer de manière catégorique sur ce point. Il n’est pas inenvisageable que cette tendance jurisprudentielle soit liée au texte même de l’article L. 141-1 du Code de l’organisation judiciaire. En effet, celui-ci exige une faute lourde pour engager la responsabilité de l’Etat en matière de délai de jugement excessif. La Cour de Cassation estime peut-être que ne peut correspondre à la notion de faute lourde telle qu’elle l’a retravaillée depuis 2001 qu’un délai déraisonnable résultant de la durée globale de l’ensemble de la procédure, et non pas seulement d’une durée excessive de l’une des phases du procès. Certains auteurs y voient l’effet d’une concurrence entre les notions de faute lourde et de déni de justice[68]. Certains, enfin, font valoir que l’adoption d’une appréciation par instance a pour effet de modifier le fondement de la responsabilité du fait des lenteurs de la justice, qui passerait d’un fonctionnement défectueux du service public de la justice à son organisation défectueuse[69].
Pour finir, il faut indiquer que la Cour de Cassation a précisé que, lorsqu’elles ont le même objet, une procédure pénale et une procédure civile qui se sont succédé doivent être considérées dans leur ensemble pour apprécier le caractère raisonnable des délais de jugement[70].
Il ne reste qu’à évoquer l’appréciation portée par les juridictions européenne et françaises sur les préjudices résultant d’une procédure juridictionnelle excessivement longue.
B/ L’appréciation des préjudices résultant de la procédure
S’agissant des préjudices causés par le délai déraisonnable d’une procédure juridictionnelle, la jurisprudence reconnaît différents types de préjudices (1). Les sommes allouées en réparation posent également certaines questions (2).
1. Les préjudices reconnus
Les préjudices reconnus en jurisprudence peuvent être soit des préjudices matériels, soit des préjudices moraux.
S’agissant des préjudices matériels, les juges ont rapidement reconnu leur existence. La Cour européenne des droits de l’Homme a d’ailleurs abandonné l’appréciation de ce type de préjudices aux juridictions internes, en soulignant que : « En matière de dommage matériel, la juridiction interne est clairement plus à même de déterminer son existence et son montant »[71]. Dans son arrêt Magiera, le Conseil d’Etat avait donné quelques exemples de préjudices matériels qui pourraient être indemnisés dans le nouveau cadre jurisprudentiel instauré. La décision évoquait ainsi « le préjudice causé par la perte d’un avantage ou d’une chance ou encore par la reconnaissance tardive d’un droit ».
On peut certes imaginer un nombre particulièrement élevé de préjudices de nature matérielle. Toutefois, encore faut-il préciser que le juge administratif avait, dès l’origine, posé une limite, qui ne semble pas toujours comprise par les justiciables. La haute assemblée avait pris soin de préciser que pouvaient être indemnisés les préjudices « dont la réparation ne se trouve pas assurée par la décision rendue sur le litige principal ». Or, bien souvent, les préjudices dont les victimes de délais excessifs de jugement demandent la réparation ne découlent pas directement du délai déraisonnable de la procédure. De ce point de vue, la décision SARL Potchou et autres[72] est très symptomatique. Ainsi, devant la demande des requérants d’être indemnisés du fait de l’obstacle mis à la réalisation de projets sociaux viables et à la distribution de bénéfices, le Conseil d’Etat a estimé que ces préjudices, à les supposer établis, n’étaient pas la résultante du délai excessif, mais de la dette fiscale consécutive au redressement subi. Dès lors, il convenait d’attendre l’issue de la procédure, afin de déterminer si cette dette fiscale était justifiée (privant ainsi les requérants de toute indemnisation) ou illégale (ouvrant droit à une indemnisation pour faute de l’administration fiscale). Quant à l’autre préjudice matériel invoqué par les mêmes requérants, lié aux intérêts de retard qu’ils auraient à payer (majorés du fait de la lenteur de la procédure), le Conseil d’Etat a rappelé que les préjudices doivent être prouvés. Un préjudice résultant d’intérêts de retard suppose donc l’issue de la procédure juridictionnelle relative au redressement fiscal.
Cela ne signifie pas, bien entendu, qu’il n’est pas possible d’obtenir la réparation d’un préjudice matériel. Ainsi, dans l’affaire Ville de Brest[73], le Conseil d’Etat a indemnisé le préjudice matériel subi par une commune, du fait de la lenteur à juger un litige de marché public, et consistant dans le différentiel entre le taux des intérêts moratoires qu’elle avait eu à payer à son cocontractant et le taux légal des intérêts. On notera toutefois que le juge administratif a pris soin d’indemniser ce préjudice « eu égard aux obligations qui incombent normalement au débiteur ». Ce faisant, le Conseil d’Etat a pris en compte le fait que ladite commune avait initialement refusé de payer des sommes pourtant dues à son cocontractant. Comme le notent les commentateurs de l’arrêt : « C’est au fond, sans que le terme ne soit employé, une logique proche de celle d’un partage de responsabilité ».
S’agissant maintenant des préjudices moraux, ils sont eux aussi reconnus par la jurisprudence. On peut d’ailleurs préciser que la Cour européenne des droits de l’Homme pas plus que les juges internes ne font de différence entre le préjudice moral subi par une personne physique ou par une personne morale, même de droit public comme dans l’affaire Ville de Brest.
La grande particularité du préjudice moral par rapport au préjudice matériel, dans le domaine du délai déraisonnable de jugement, est qu’existe une présomption. Celle-ci a été très clairement affirmée par la Cour européenne des droits de l’Homme : « Quant au dommage moral, la Cour – rejointe sur ce point par la Cour de cassation italienne (…) admet comme point de départ la présomption solide, quoique réfragable, selon laquelle la durée excessive d’une procédure occasionne un dommage moral. La Cour admet aussi que, dans certains cas, la durée de la procédure n’entraîne qu’un dommage moral minime, voire pas de dommage moral du tout (…). Le juge national devra alors justifier sa décision en la motivant suffisamment »[74]. Telles sont les lignes directrices posées par la Cour de Strasbourg à l’attention des juridictions des Etats parties.
Le Conseil d’Etat a reconnu, de manière générale, depuis la décision Magiera, un préjudice moral consistant en des « désagréments qui vont au-delà des préoccupations habituellement causées par un procès ». Sans utiliser le terme de présomption, il semble bien que la reconnaissance d’un délai excessif de jugement s’accompagne de la reconnaissance systématique d’un préjudice moral, subi d’ailleurs aussi bien par le demandeur que par le défendeur.
2. Les sommes allouées
A cet égard, il convient d’indiquer que l’allocation de sommes en réparation des préjudices subis ne concerne que la Conseil d’Etat et non la Cour de Cassation. En effet, si le Conseil d’Etat a été désigné, dans un souci de simplification, comme la juridiction administrative chargée de se prononcer en premier et dernier ressort sur les demandes d’indemnisation (décret du 28 juillet 2005), tel n’a pas été le cas de la Cour de Cassation. Aussi, devant les juridictions de l’ordre judiciaire, faut-il demander à une juridiction de première instance de se prononcer, avec les risques inhérents à l’exercice éventuel des voies de recours en termes de délai. Peut-être y aurait-il là matière à réflexion. Il est vrai qu’il existe une différence sensible entre le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation, le premier étant aussi un juge de premier et dernier ressort contrairement à la Cour de Cassation. Mais il y aurait peut-être avantage à confier, dans l’ordre judiciaire, le jugement de ces litige à une seule et même juridiction. La Cour de Cassation remplirait parfaitement cet office, ne serait-ce que parce que la quasi-totalité de ses membres ont exercé des fonctions de juges du fond.
Avant même d’expliciter les choix des différentes juridictions quant aux sommes accordées aux justiciables victimes de durées de jugement déraisonnables, il importe de s’interroger sur la charge concrète représentée, pour l’Etat, par la réparation de tels préjudices. Une recherche sur les bases de données juridiques, qui demeure aléatoire mais donne une assez bonne idée d’ensemble, révèle que la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat sont, en réalité, peu saisis de requêtes mettant en cause la durée des procédures.
Devant la Cour de Cassation, on dénombre, depuis 2001[75], une trentaine d’arrêts statuant sur le fondement de l’article L. 781-1 du Code de l’organisation judiciaire (recodifié à l’article L. 141-1 du même code), du moins sur la question de la durée des procédures[76].
Devant le Conseil d’Etat, il est certes assez fréquemment question de la jurisprudence Magiera dans les conclusions des rapporteurs publics, ou dans les arrêts, mais il ne s’agit pas toujours de se prononcer sur la durée d’une procédure juridictionnelle[77]. Dans les faits, depuis la décision de principe Magiera, le Conseil d’Etat n’a dû se prononcer que quarante-cinq fois sur la durée des procédures juridictionnelles.
Avant de conclure à un respect quasi-généralisé de la durée raisonnable devant l’ensemble des juridictions françaises, il faut toutefois réserver les hypothèses dans lesquelles l’indemnisation aura été définitivement accordée par les juges du fond[78], et l’éventuelle méconnaissance, par les justiciables, de la possibilité de voir de tels préjudices réparés…
Du point de vue des sommes effectivement allouées au titre des réparations, la Cour européenne des droits de l’Homme a, fort logiquement, reconnu aux Etats parties une marge nationale d’appréciation. Il appartient donc aux juridictions internes de fixer les sommes à allouer aux victimes de délais excessifs de jugement, selon les propres termes de la Cour : « Quant à la circonstance que la loi (…) ne permet pas d’indemniser le requérant pour la durée globale de la procédure mais prend en compte le seul préjudice qui peut se rapporter à la période excédant le « délai raisonnable » (…), la Cour rappelle qu’un Etat partie à la Convention dispose d’une marge d’appréciation pour organiser une voie de recours interne de façon cohérente avec son propre système juridique et ses traditions, en conformité avec le niveau de vie du pays (…). La circonstance que la méthode de calcul de l’indemnisation prévue en droit interne ne correspond pas exactement aux critères énoncés par la Cour n’est pas décisive pourvu que les juridictions (…) parviennent à octroyer des sommes qui ne soient pas déraisonnables par rapport à celles allouées par la Cour dans des affaires similaires »[79].
En France, les juridictions ont d’abord mis en œuvre une logique forfaitaire. Autrement dit, pour peu que le délai raisonnable soit dépassé, le Conseil d’Etat indemnisait les justiciables de la totalité du délai mis à juger. Il ressort des premières décisions prises sur le fondement des principes de l’arrêt Magiera, que la somme allouée se situait entre 500 et 1 000 euros par année de procédure juridictionnelle[80].
De ce point de vue, la décision Ville de Brest est porteuse d’une évolution sensible. En effet, dans cet arrêt, la Haute assemblée a décidé de n’indemniser que la partie de la procédure qui a excédé le délai raisonnable de jugement. Le Conseil d’Etat a jugé que « le délai (…), qui a été de onze ans et sept mois, doit être regardé comme ayant dépassé de trois ans le délai dans lequel le litige aurait dû raisonnablement être jugé ». Il était en revanche difficile de déterminer à quel niveau le préjudice moral serait indemnisé, car dans l’affaire Ville de Brest, le Conseil d’Etat a estimé que « si la durée excessive d’une procédure résultant du dépassement du délai raisonnable pour juger une affaire est présumée causer par elle-même un préjudice moral dépassant les préoccupations habituellement causées par un procès, il résulte des circonstances particulières de l’espèce qu’en raison tant de la nature du litige en cause et des sommes en jeu, dont la ville a eu la disposition jusqu’à l’exécution de la décision du Conseil d’Etat, que de la qualité de la requérante, que l’existence d’un tel préjudice n’est pas établie ». Ainsi la présomption a-t-elle été renversée en l’espèce. Ultérieurement, ce préjudice moral a pu être indemnisé, de manière très modérée[81] ou au contraire plus généreuse[82].
En tout état de cause, les juridictions nationales demeureront sous le contrôle de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui est toujours susceptible d’estimer insuffisante la réparation accordée par les juridictions internes. On rappellera que, dans l’affaire Sartory c/ France[83], la Cour européenne des droits de l’Homme a estimé qu’une réparation de 3 000 euros pour une procédure juridictionnelle de sept ans était insuffisante, mais seulement en raison de la longueur de la procédure d’indemnisation elle-même.
Au terme de cette analyse, deux constats paraissent émerger. D’une part, on a assisté à une progressive convergence sur le principe même d’une indemnisation des préjudices nés du délai déraisonnable d’une procédure juridictionnelle. Ce faisant, la Cour européenne des droits de l’Homme a favorisé, par sa jurisprudence, la diffusion de la notion de délai raisonnable. D’autre part, il demeure, aujourd’hui encore, des éléments de discordance entre les juridictions concernées, qui ont trait aux modalités selon lesquelles ces préjudices doivent être indemnisés.
Mais quels que puissent être les divergences résiduelles restantes, il faut constater que les délais de jugement sont devenus un élément central du débat juridique en France. Les deux ordres de juridictions s’interrogent, de même que les pouvoirs publics, sur les moyens d’atteindre, aussi bien en première instance qu’en appel ou en cassation, le délai raisonnable de jugement.
Or, comme on l’a déjà indiqué, ce sont les conditions concrètes rencontrées devant les juridictions internes par les justiciables qui ont constitué l’objet principal de la jurisprudence européenne. De ce point de vue, sa jurisprudence a constitué un important facteur de réformes des procédures juridictionnelles françaises.
Manuel Delamarre
Avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation
Maître de conférence à Sciences-Po Paris
Ancien Professeur associé à l’Université Paris VIII
[1]A. Lebigre, La justice du Roi, La vie judiciaire dans l’ancienne France, éditions Complexe, 1995, pp. 43 et 44. RETOUR AU TEXTE
[2] A. Lebigre, Ibid., p. 36. RETOUR AU TEXTE
[3] Pour un aperçu sur l’histoire et l’insertion du principe dans les textes solennels, V. B. Hémery, « Le délai raisonnable de jugement : naissance d’une notion », Justice et cassation, 2007, p. 76. RETOUR AU TEXTE
[4] V., entre autres, les arrêts Gunes c/ France du 20 novembre 2008, Req. n°32157/06, ou Sartory c/ France du 24 septembre 2009, Req. no 40589/07. RETOUR AU TEXTE
[5] V. notamment Cass., Civ. 1, 20 février 2008, Bul. I, n° 55, ou Cass., Civ. 1, 25 mars 2009, 2 espèces, Bul. I, n° 65. RETOUR AU TEXTE
[6] V. entre autres CE, 6 mars 2009, M. et Mme Le Helloco, Req. n°312625, ou CE, 17 juillet 2009, Ville de Brest, Req. n° 295653. RETOUR AU TEXTE
[7] TC, 30 juin 2008, B. c/ Secrétariat général du gouvernement, JCP A, n° 48, p. 2273, comm. O. Renard-Payen. RETOUR AU TEXTE
[8] Concl. Sur CE, Ass., 22 décembre 1978, Ministre de l’intérieur c/ Cohn-Bendit, Rec. p. 524. RETOUR AU TEXTE
[9] V. par exemple CourEDH, 17 janvier 2002, Laine c/ France, Req. n° 41476/98: la Cour écarte l’argument du gouvernement français selon lequel « la rigueur de la législation de 1967 sur le règlement judiciaire et la liquidation des biens des entreprises » est une source de complexité telle qu’elle expliquerait le retard mis à juger. RETOUR AU TEXTE
[10] V. par exemple CourEDH, 31 mars 1992, X. c/ France, Req. n° 18020/91 : face à un justiciable atteint par le virus du SIDA, un tribunal administratif doit utiliser « ses pouvoirs d’injonction pour presser la marche de l’instance ». RETOUR AU TEXTE
[11] V. par exemple CourEDH, 7 août 1996, Johansen c/ Norvège, Req. n° 17383/90 : la durée d’un an et neuf mois est jugée raisonnable, compte tenu de la difficulté des questions à traiter par les services administratifs de protection de l’enfance et les juridictions nationales. RETOUR AU TEXTE
[12] V. par exemple CourEDH, 9 novembre 1999, Aprile de Puoti c/ Italie, Req. n° 32375/96 : condamnation de l’Etat en raison d’une durée supérieure à neuf ans et neuf mois pour se prononcer définitivement sur la légalité d’un licenciement. RETOUR AU TEXTE
[13] V. ainsi la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme Monnet c/ France du 27 octobre 1993,Req. n° 13675/88, dans laquelle la Cour souligne que les dispositions de l’article 2 du Code de procédure civile, selon lesquelles « Les parties conduisent l’instance sous les charges qui leur incombent. Il leur appartient d’accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis » doivent se combiner, dans l’appréciation de l’attitude du juge civil, avec celles de l’article 3 en vertu desquelles : « Le juge veille au bon déroulement de l’instance; il a le pouvoir d’impartir les délais et d’ordonner les mesures nécessaires ». RETOUR AU TEXTE
[14] V. par exemple CourEDH, 7 janvier 2003, C.D. c/ France, : la Cour de Strasbourg estime notamment que le juge de la mise en état n’avait pas été suffisamment efficace dans la conduite de la procédure juridictionnelle, alors même qu’il résultait de l’arrêt de la Cour que ledit juge avait fait à neuf reprises usage de ses pouvoirs d’injonction de conclure aux conseils des parties… RETOUR AU TEXTE
[15] V. CourEDH, 20 février 1991, Vernillo c/ France, Req. n° 11889/85. RETOUR AU TEXTE
[16] V. CourEDH, 21 mars 2000, Gergouil c/ France, Req. n° 40111/98, paragraphe 18. RETOUR AU TEXTE
[17] V. CourEDH, 21 février 1997, Guillemin c/ France, AJDA 1997, p. 985, obs. J.-F. Flauss. RETOUR AU TEXTE
[18] V. CourEDH, 26 février 1998, Pafitis et autres c/ Grèce, Req. n° 20323/92 : selon la Cour, « même si ce délai peut à première vue paraître relativement long, en tenir compte porterait atteinte au système institué par l’article 177 du traité CEE et au but poursuivi en substance par cet article ». RETOUR AU TEXTE
[19] CourEDH, Grande chambre, 26 octobre 2000, Kudla c/ Pologne, Rec., 2000-XI ; RTDH 2002, 179, obs. J.-F. Flauss ; JDI, 2001, 191, obs. P. Tavernier. RETOUR AU TEXTE
[20] Arrêt Kudla c/ Pologne, précité, paragraphe 156. RETOUR AU TEXTE
[21] V. notamment CourEDH, 26 février 1993, Pizetti c/ Italie, paragraphe n° 21. RETOUR AU TEXTE
[22] Arrêt Kudla c/ Pologne, paragraphe 148. RETOUR AU TEXTE
[23] V. par exemple CourEDH, 20 janvier 2004, Kangasluoma c/ Finlande, Req. n° 48339/99 ; ou encore CourEDH, 27 juillet 2006, Mamic c/ Slovénie, Req. n° 75778/01. RETOUR AU TEXTE
[24] V. par exemple CourEDH, 3 juin 2004, Castaldo c/ Italie. Mais encore faut-il que ce recours de droit interne ne soit pas lui-même handicapé par une lenteur excessive, faute de quoi il perd le caractère de recours « utile » : CourEDH, Gr. Ch., 29 mars 2006, Scordino c/ Italie, Req. n° 36813/97. RETOUR AU TEXTE
[25] Article 35 § 1 de la Convention : « La Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes (…) ». RETOUR AU TEXTE
[26] V. ComEDH, 5 octobre 1984, Barano c/ Portugal. RETOUR AU TEXTE
[27] V. par exemple, pour cette affirmation, CourEDH, 18 juin 1971, De Wilde, Ooms et Versyp c/ Belgique, Req. n° 2832/66, 2835/66 et 2899/66. RETOUR AU TEXTE
[28]Selon ce texte : « L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. / Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice ». RETOUR AU TEXTE
[29] V. TGI Paris, 5 novembre 1997, D. 1998, jurisp., p. 9, note M.-A. Frison-Roche ; puis, CA Paris, 20 janvier 1999, D. 1999 IR p. 125. RETOUR AU TEXTE
[30] Cass., Ass. plén., 23 février 2001, Bull. civ. A.P., n°5 p. 10. RETOUR AU TEXTE
[31] V Cass., Civ. 1, 20 février 2008, Bul. Civ. I, n° 55 : dans cette affaire, le requérant, victime d’un accident du travail, qui avait dû attendre quatorze ans le jugement définitif de son affaire, a été indemnisé en vertu de cette jurisprudence, eu égard à l’absence de complexité du litige. RETOUR AU TEXTE
[32] CourEDH, 12 juin 2001, Giummarra c/ France, Req. n°61166/00. RETOUR AU TEXTE
[33] V. par exemple CourEDH, 22 janvier 2002, Chaufour c/ France, Req. n°52887/99 ; ou encore CourEDH, 9 juillet 2002, Nouhaud c/ France, D. 2003, p ; 593, obs. N. Fricero. RETOUR AU TEXTE
[34] CE, Ass., 29 décembre 1978, Darmont, Rec. p. 542. RETOUR AU TEXTE
[35] CourEDH, 26 mars 2002, Lutz c/ France, Req. n°48215/99 ; JCP 2002, I, 157, n° 19, obs. Sudre. On doit souligner que le fondement exact de la solution n’est pas exprimé, dans cet arrêt, avec une extrême clarté. En particulier, il n’est pas possible de déterminer, à la lecture de la décision, si c’est l’exigence d’une faute lourde qui a suscité les réserves de la Cour de Strasbourg. RETOUR AU TEXTE
[36] CE, Ass., 28 juin 2002, Magiera, Rec. p. 247 ; AJDA 2002, 596, chron. F. Donnat et D. Casas ; RFDA 2002, p. 756, concl. F. Lamy ; RFDA 2003, p ; 948, chron. J. Andriantsimbazovina et L. Sermet. RETOUR AU TEXTE
[37] CourEDH, 21 octobre 2003, Broca et Texier-Micault c/ France, JCP 2004, I, 107, n° 7, obs. F. Sudre. RETOUR AU TEXTE
[38] A la suite de modifications induites par le décret du 22 février 2010 relatif aux compétences et au fonctionnement des juridictions administratives, ces dispositions figurent aujourd’hui à l’article R. 311-1 5° du même code. RETOUR AU TEXTE
[39] D’après l’article R. 112-2 du Code de justice administrative, notamment, le chef de la mission peut faire des recommandations pour remédier à une durée excessive devant un tribunal administratif ou une cour administrative d’appel. Sur cette question, V. D. Dero-Bugny, « Le droit à être jugé dans un délai raisonnable par la juridiction administrative », Droit administratif, 2006, n° 10, Etude 17. RETOUR AU TEXTE
[40] CourEDH, 21 février 1997, Guillemin c/ France, Req. n° 19632/92 précité note 13. RETOUR AU TEXTE
[41] TC, 27 mars 1952, Préfet de la Guyane, Rec. CE, p. 642 : les litiges ayant trait à l’organisation de la juridiction judiciaire sont jugés par les juridictions administratives, les litiges relatifs au fonctionnement de la justice judiciaire sont jugés par les juges judiciaires. RETOUR AU TEXTE
[42] Cass., Civ. 1, 22 mars 2005, Bul. Civ. I, n° 149. RETOUR AU TEXTE
[43] CourEDH, 4 octobre 2007, Vallar c/ France, Req. n° 27314/02, paragraphe n° 57. RETOUR AU TEXTE
[44] TC, 30 juin 2008, B. c/ Secrétariat général du gouvernement, JCP A, n° 48, p. 2273, comm. O. Renard-Payen. RETOUR AU TEXTE
[45] O. Renard-Payen, précité note 43. RETOUR AU TEXTE
[46] D. Cholet, Responsabilité de l’Etat du fait de la fonction juridictionnelle : la réforme nécessaire, D., 2005, p. 2540 RETOUR AU TEXTE
[47] Elle l’a été au sens propre, dès lors que la responsabilité repose sur un texte législatif en ce qui concerne les juridictions judiciaires, et que, s’agissant de la juridiction administrative, sa jurisprudence fait aujourd’hui reposer la responsabilité de l’Etat en la matière sur les seuls « principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives », sans plus aucune référence à la Convention européenne des droits de l’Homme (V. CE, 17 juillet 2009, Ville de Brest, n° 295653). RETOUR AU TEXTE
[48] CourEDH, 24 septembre 2009, Sartory c/ France, Procédures, 2009, n°11, coom. 363, obs. N. Fricero. Il convient toutefois de souligner la grande particularité de cette espèce, puisque la longueur de la procédure d’indemnisation s’explique par l’intervention, en cours de procédure, du décret du 28 juillet 2005, dont il a résulté un nécessaire renvoi au Conseil d’Etat… RETOUR AU TEXTE
[49] CE, 19 juin 2006, Loupias et Mme Jonquières, Rec. T. p. 1067. RETOUR AU TEXTE
[50] Cass., Civ. 1, 22 mars 2005, précité. RETOUR AU TEXTE
[51] CE, 17 juillet 2009, Ville de Brest, Req. n° 295653, AJDA 2009, 1605, chron. S-J. Lieber et D.Botteghi. RETOUR AU TEXTE
[52] CE, 13 février 2012, M. Barellon, Req. n° 346549, AJDA 2012, p. 357. RETOUR AU TEXTE
[53] CourEDH, 11 septembre 2002, Mifsud c/ France, Req. n°57220/00. RETOUR AU TEXTE
[54] CE, 25 janvier 2006, SARL Potchou et autres, Req. n° 284013 ; JCP éd. E 2006, 2216, comm. C. Guettier ; Droit fiscal, 2006, n° 27, concl. Y. Struillou. RETOUR AU TEXTE
[55] V. CourEDH, 20 février 1991, Vernillo c/ France, précité : le point de départ est fixé au jour de l’assignation devant le tribunal de grande instance. RETOUR AU TEXTE
[56] V., par exemple, CourEDH, 28 juin 1978, König c/ RFA, Req. n° 6232/73 : le point de départ du délai est fixé à la date à laquelle un médecin a présenté à l’autorité administrative son opposition à la décision de retrait administratif dont avait fait l’objet l’autorisation d’exploiter la clinique dont il était propriétaire. RETOUR AU TEXTE
[57] CourEDH, 4 décembre 1995, Terranova c/ Italie, Req. n° 17156/90, paragraphe n° 23. RETOUR AU TEXTE
[58] CourEDH, 27 juin 2000, Frydlender c/ France, Req. no 30979/96, paragraphes n° 42 à 46. RETOUR AU TEXTE
[59] CourEDH, 25 mars 1987, Lechner et Hess c/ Autriche, Req. n° 9316/81, paragraphe n° 59 et suivants. RETOUR AU TEXTE
[60]CourEDH, 24 octobre 1989, H. c/ France, paragraphe n° 57 ; O. Dugrip et F. Sudre, « Du droit à un procès équitable devant les juridictions administratives : l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme du 24 octobre 1989 », RFDA 1990, p. 203. RETOUR AU TEXTE
[61] CourEDH, 20 novembre 2008, Gunes c/ France, Req. n°32157/06, paragraphe n° 25. RETOUR AU TEXTE
[62] Pour ne donner qu’un exemple, dans l’arrêt SARL Potchou et autres, précité note 51, le Conseil d’Etat a fait débuter la période prise en compte à la date de l’exercice de la demande préalable obligatoire en matière fiscale. RETOUR AU TEXTE
[63] CE, 6 mars 2009, M. et Mme Le Helloco, RFDA 2009, p. 551, comm. B. Delaunay. Il est révélateur de constater que, alors même que le commissaire du gouvernement avait déjà prononcé ses conclusions sur cette affaire avant l’intervention de l’arrêt Gunes c/ France, il a été décidé d’organiser une nouvelle audience après cet arrêt. RETOUR AU TEXTE
[64] CE, 17 juillet 2009, Ville de Brest, précité note 49. RETOUR AU TEXTE
[65] CE, 26 mai 2010, M. Mafille, n° 316292 RETOUR AU TEXTE
[66] Cass., Civ. 1, 20 février 2008, Bul. Civ. I, n° 55 ; JCP Adm., 28 juil. 2008, p. 33, note O. Renard-Payen. RETOUR AU TEXTE
[67] Cass., Civ. 1, 25 mars 2009, 2 espèces, Bull. Civ. I, n° 65. RETOUR AU TEXTE
[68] V. B. Delaunay, précité note 60. RETOUR AU TEXTE
[69] V. O. Renard-Payen, précité note 62. RETOUR AU TEXTE
[70] V. Cass., Civ. 1, 6 juillet 2011, pourvoi n° 10-23.897. RETOUR AU TEXTE
[71] CourEDH, Grande chambre, 29 mars 2006, Apicella c/ Italie, Req. n° 64890/01, paragraphe n° 92. RETOUR AU TEXTE
[72] CE, 25 janvier 2006, SARL Potchou et autres, précité note 51. RETOUR AU TEXTE
[73] CE, 17 juillet 2009, Ville de Brest, précité note 49. RETOUR AU TEXTE
[74] CourEDH, Grande chambre, 29 mars 2006, Apicella c/ Italie, Req. n° 64890/01, paragraphe n° 93. RETOUR AU TEXTE
[75] Année où la Cour de Cassation a opté pour une interprétation libérale des dispositions de l’article L. 781-1 du Code de l’organisation judiciaire, conforme à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. RETOUR AU TEXTE
[76] Il faut rappeler que ces textes concernent tous les dysfonctionnements du fonctionnement des juridictions judiciaires, et pas seulement le délai déraisonnable des procédures. RETOUR AU TEXTE
[77] Ainsi, les rapporteurs publics rappellent les nouvelles exigences résultant de la jurisprudence Magiera, pour se prononcer sur l’opportunité d’une mesure d’expertise (conclusions de M. Aguila sur CE, 5 janvier 2005, Ministre de l’Equipement c/ Association Vallée du Var, n° 255737), sur la nécessité de ne pas surcharger les juridictions avec des recours manifestement voués au rejet (conclusions de M. Roul sur CE, Sect., 22 avril 2005, M. Magerand, n° 257406) ou encore sur le « coût » éventuel des questions préjudicielles entre les ordres de juridictions (conclusions de Mlle Courrèges sur CE, 21 mai 2008, SNRH et SORMAR, n° 291115, 291212 et 291247). RETOUR AU TEXTE
[78] Pour les juridictions administratives, cette hypothèse ne concerne que la période précédant l’intervention du décret du 28 juillet 2005, modifié par le décret du 22 février 2010, qui a confié la réparation de ces préjudices au Conseil d’Etat. RETOUR AU TEXTE
[79] CourEDH, 31 mars 2009, Simaldone c/ Italie, Req. n° 22644/03, paragraphe n° 30. RETOUR AU TEXTE
[80] Ainsi, dans l’arrêt CE, 26 janvier 2007, Société Hélitransport, Req. n° 293375, une procédure de dix ans est indemnisée à hauteur de 10 000 euros. Dans l’arrêt CE, 26 novembre 2007, Villeret, Req. n° 297753, une procédure de quatre ans est indemnisée à hauteur de 4 000 euros. RETOUR AU TEXTE
[81] V. récemment CE, 23 juin 2014, M. Wespelaere et autres, Req. n° 369946 : indemnisation de 500 euros par requérant. RETOUR AU TEXTE
[82] V. CE, 20 novembre 2009, M. et Mme Azar, n° 327156 : indemnisation du préjudice à hauteur de 10.000 euros pour les deux requérants. RETOUR AU TEXTE
[83] CourEDH, 24 septembre 2009, Sartory c/ France, Req. no 40589/07, précité note 46. On peut noter que, de manière étrange, le requérant avait omis de demander une somme au titre de la satisfaction équitable de l’article 41 de la Convention… RETOUR AU TEXTE