Source : Cass. com., 25 octobre 2017, n°16-16.839, FS-P+B+I
I – Les faits
Une société confrontée à des difficultés financières a sollicité de sa banque le renouvellement de lignes de crédits, accordés depuis plusieurs années. L’établissement de crédit a donné son accord au renouvellement de ces crédits, en en modifiant certaines modalités : la durée devenait déterminée (30 mars), la société s’engageait à communiquer ses situations comptables à jour, les cautionnements antérieurement souscrits par les dirigeants de la société étaient portés à la somme totale en principal de 1.000.000 €, pour une durée de cinq ans.
Dans l’attente de la présentation de la situation comptable demandée, la banque a prolongé ses concours jusqu’au 30 juin 2011. Le 1er juillet suivant, elle a renouvelait à l’identique jusqu’au 31 octobre 2011, en se réservant la possibilité de réduire ses niveaux d’engagement par la suite.
Le 28 octobre 2011, l’établissement de crédit a rejeté sans avertissement une lettre de change-relevé tirée sur la société à échéance du 24 octobre 2011 puis, le 4 novembre suivant, a dénoncé l’ensemble des concours accordés jusqu’au 31 octobre 2011, en mettant la société en demeure de lui régler, sous huitaine, diverses sommes au titre du solde débiteur de ses comptes courants.
La société et ses cautions ont assigné notamment la banque en responsabilité pour rupture abusive et brutale de crédit. La société a été mise en redressement judiciaire le 10 avril 2012. La banque a donc assigné les cautions en exécution de leurs engagements après adoption du plan de redressement. Condamnées en paiement, les cautions ont formé un pourvoi en cassation.
II – L’arrêt de rejet
Elles reprochaient notamment à la banque son comportement déloyal qui, après avoir substitué aux concours financiers d’une durée indéterminée des concours financiers à durée déterminée, a cessé brutalement de renouveler ces concours, sans l’en informer à l’avance. Ayant bénéficié de concours à durée indéterminée pendant douze ans, la société a légitimement pu croire en leur renouvellement.
La Chambre commerciale de la cour de cassation rejette l’argument, estimant que la décision d’un établissement de crédit de ne pas renouveler un concours revêt un caractère discrétionnaire. Le banquier n’est responsable du fait d’une décision de refus, que s’il est tenu par un engagement. Partant, le renouvellement de concours bancaires à durée déterminée, succédant à un concours à durée indéterminée auquel il a été mis fin avec préavis, n’est pas, à lui seul, de nature à caractériser l’existence d’une promesse de reconduction du crédit au-delà du terme.
III – Une solution confirmée
Le droit au crédit n’existe pas, contrairement au droit au compte, en ce sens que tout établissement de crédit est libre de refuser toute demande de prêt qui lui est soumise, et ce de manière discrétionnaire.
Ce principe a été notamment rappelé dans l’arrêt d’Assemblée plénière de la Cour de cassation en date du 9 octobre 2006, dit arrêt « TAPIE »[1] :
« (…) le banquier est toujours libre, sans avoir à justifier sa décision qui est discrétionnaire, de proposer ou de consentir un crédit quelle qu’en soit la forme, de s’abstenir ou de refuser de le faire ».
Le Législateur a même consacré cette règle en matière de crédit aux entrepreneurs individuels, par la loi du 2 février 1994 relative à l’initiative et l’entreprise individuelle[2]. Il ne s’agit, ni plus ni moins, qu’une illustration de la liberté contractuelle consacrée à l’article 1101 du Code civil.
Ainsi, l’appréciation de la solvabilité de l’emprunteur, et de ses possibilités de faire face aux échéances de remboursement, est effectuée par l’établissement de crédit en fonction des critères qu’elle établit unilatéralement. Cette analyse des risques, en plus d’être impérieuse pour dispenser un crédit, est une obligation parfois légale pour la banque, comme en matière de crédit à la consommation par exemple[3].
Par conséquent, la banque n’engage pas sa responsabilité en cas de refus d’ouverture de crédit, en raison de l’intuitu personae du contrat, et des risques vis-à-vis des tiers.
La Jurisprudence ne déroge pas à ce postulat, et a encore récemment jugé que :
« Un accord de principe donné par une banque “sous les réserves d’usage” implique que les conditions définitives de l’octroi de son concours restent à définir et oblige seulement celle-ci à poursuivre, de bonne foi, les négociations en cours. »[4]
En résumé, seul un engagement ferme peut tenir un établissement de crédit, en matière d’octroi ou renouvellement de crédit. Seule cette hypothèse pourrait éventuellement caractériser un abus de droit.
Thomas LAILLER
Vivaldi-Avocats
[1] Cass. ass. plén., 9 oct. 2006, n°06-11.056 et n°06-11.307, P+B+R+I
[2] Loi n°94-126 du 11 février 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle
[3] Loi n°2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation
[4] Cass. com., 2 juin 2015, n°14-15.632, F-D