Crédits non renouvelés : les règles de la rupture brutale d’une relation commerciale établie ne s’appliquent pas

Thomas LAILLER
Thomas LAILLER

 

Source : Cass. com., 25 octobre 2017, n°16-16.839, FS-P+B+I

 

I – Les faits

 

Une société confrontée à des difficultés financières a sollicité de sa banque le renouvellement de lignes de crédits, accordés depuis plusieurs années. L’établissement de crédit a donné son accord au renouvellement de ces crédits, en en modifiant certaines modalités : la durée devenait déterminée (30 mars), la société s’engageait à communiquer ses situations comptables à jour, les cautionnements antérieurement souscrits par les dirigeants de la société étaient portés à la somme totale en principal de 1.000.000 €, pour une durée de cinq ans.

 

Dans l’attente de la présentation de la situation comptable demandée, la banque a prolongé ses concours jusqu’au 30 juin 2011. Le 1er juillet suivant, elle a renouvelait à l’identique jusqu’au 31 octobre 2011, en se réservant la possibilité de réduire ses niveaux d’engagement par la suite.

 

Le 28 octobre 2011, l’établissement de crédit a rejeté sans avertissement une lettre de change-relevé tirée sur la société à échéance du 24 octobre 2011 puis, le 4 novembre suivant, a dénoncé l’ensemble des concours accordés jusqu’au 31 octobre 2011, en mettant la société en demeure de lui régler, sous huitaine, diverses sommes au titre du solde débiteur de ses comptes courants.

 

La société et ses cautions ont assigné notamment la banque en responsabilité pour rupture abusive et brutale de crédit. La société a été mise en redressement judiciaire le 10 avril 2012. La banque a donc assigné les cautions en exécution de leurs engagements après adoption du plan de redressement. Condamnées en paiement, les cautions ont formé un pourvoi en cassation.

 

II – L’arrêt de rejet

 

Elles reprochaient notamment à la banque son comportement déloyal qui, après avoir substitué aux concours financiers d’une durée indéterminée des concours financiers à durée déterminée, a cessé brutalement de renouveler ces concours, sans l’en informer à l’avance. Ayant en outre bénéficié de concours à durée indéterminée pendant douze ans, elles estimaient que la Banque avait commis une rupture brutale et abusive d’une relation commerciale établie, au sens de l’article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce[1].

 

La Cour de cassation ne suit pas ce raisonnement, et rejette le pourvoi. Seul le texte spécial de l’article L.313-12 du Code monétaire et financier s’applique dans les relations client / établissement de crédit.

 

Et même pour les besoins de la discussion, pour que la responsabilité du commerçant soit engagée, celui-ci doit avoir agi de mauvaise foi, sans raison légitime, unilatéralement et brusquement, et laisser se créer chez son partenaire une confiance dans le renouvellement du contrat. La rupture, pour être préjudiciable, et donner lieu à des dommages-intérêts, doit être brutale, c’est-à-dire imprévisible, soudaine et violente effectuée sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales.

 

Au cas particulier, la banque n’avait pas rompu brutalement ses concours, puisqu’ils étaient arrivés à leur terme, selon la convention des parties, ce qui excluait l’existence d’un préavis. D’autre part, le rejet d’un effet ne constitue pas la rupture d’une relation commerciale, mais l’application d’une convention. Partant, les appelants ne pouvaient de toute façon pas agir en responsabilité sur le fondement de ce texte à l’encontre de la banque.

 

III – Une solution confirmée

 

La portée de cette solution est d’autant plus grande que la Cour de cassation consacre cette dernière en opérant par substitution de motifs. Cette exclusion de l’article L. 442-6, I, 5° est logique, en ce que le texte spécial doit être appliqué au cas spécial. Elle témoigne également d’une évolution récente de la jurisprudence, qui limite désormais le domaine d’application de cette disposition. La Chambre commerciale a ainsi refusé très récemment d’appliquer cette disposition pour régir les rapports entre une société coopérative et ses membres[2] .

 

Un parallèle peut aussi être opéré avec le droit de la consommation : la Haute juridiction a écarté les dispositions de l’article L. 121-11 du Code de la consommation interdisant le refus de vente au refus de crédit. Cette disposition est inapplicable aux opérations de banque[3].

 

La Cour de cassation semble même considérer que le droit commun, c’est-à-dire le droit des contrats du code civil ne saurait être mobilisé. L’entreprise victime du non-renouvellement du crédit ne saurait donc en aucun cas se prévaloir du manquement de la banque à la bonne foi contractuelle, dont on sait, depuis la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance du 10 février 2016, qu’elle ne s’impose plus seulement au stade de l’exécution, mais également celui de la formation du contrat.

 

Enfin, en pareille situation, le banquier ne doit jamais perdre de vue la poursuite abusive du soutien bancaire.

 

Thomas LAILLER

Vivaldi-Avocats


[1] Art. L.442-6, I, 5 du Code de commerce : « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels »

[2] Cass. com., 8 févr. 2017, n°15-23.050, F-P+B

[3] Civ. 1re, 11 oct. 1994, n°92-13.947

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