Convention d’occupation précaire : Pas de manquement du bailleur à son obligation de délivrance : Pourquoi ?

Alexandre BOULICAUT
Alexandre BOULICAUT - Juriste

Alors qu’elle est consubstantielle aux baux à loyer en général, la Cour de cassation dans son arrêt commenté exclut au bénéfice du preneur l’obligation de délivrance du bailleur. Une solution logique pour un « bail dérogatoire » au statut des baux commerciaux, souvent confondu avec le bail à courte durée. En comprendre son mécanisme, c’est commencé à mieux la cerner.

SOURCE : Cass. civ 3ème, 11 janvier 2024, n°22-16974, FS – B

I – La décision

La Haute juridiction avait à trancher l’obligation du bailleur confronté à la revendication d’un preneur, victime d’infiltrations dans un local consenti en jouissance en bail précaire.

La Cour d’appel dont l’arrêt est censuré, avait analysé les obligations des parties, au visa de l’article 1719 du Code civil, dont il est rappelé pour mémoire les dispositions :

« Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière :

1° De délivrer au preneur la chose louée (…).

(…) ».

Après avoir dans sa décision identifié l’origine du sinistre, la juridiction du second degré le déclare imputable au bailleur et le condamne à diverses sommes pour manquement à son obligation de délivrance.

A tort, lui répond la Cour de cassation à l’aide d’un raisonnement que l’on peut citer :

« Une convention d’occupation précaire n’étant pas un bail [3e Civ., 19 novembre 2014, pourvoi n°13-20.089, Bull. 2014, III, n°150], l’occupant à titre précaire ne peut se prévaloir des dispositions de l’article 1719 du code civil mettant à la charge du bailleur une obligation de délivrance des locaux loués, mais doit établir un manquement de son cocontractant à ses obligations contractuelles. Dès lors, doit être censuré, l’arrêt qui, pour condamner un propriétaire à indemniser l’occupant des préjudices consécutifs à un sinistre dans des locaux objet d’une convention d’occupation précaire, retient que même si sa cause reste indéterminée, un manquement du propriétaire à son obligation de délivrance est caractérisé ».

A ce stade de notre réflexion, il nous faut évidemment corriger une erreur volontairement commise dans notre introduction, lorsque nous qualifions la convention d’occupation précaire de bail dérogatoire. Une terminologie plus appropriée aurait dû nous conduire à la qualifier de convention dérogatoire au statut des baux commerciaux.

Ces explications mettent en valeur l’erreur communément commise par les parties et les rédacteurs d’une telle convention, qui systématiquement font référence au droit commun des baux, là où une fois la précarité établie (à défaut la convention est requalifiée en bail commercial), la loi des parties constitue l’élément essentiel de leurs obligations réciproques.

II – Comment mettre à disposition un bien dont n’a pas totalement la jouissance ?

II – 1.

Depuis la loi 2014-626 du 18 juin 2014 dite Pinel, la convention d’occupation précaire est codifiée sous l’article L.145-5-1 du Code de commerce, qui la définit quelle que soit sa durée, par le fait que l’occupation des lieux n’est autorisée qu’à raison de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties.

Si le statut des baux commerciaux exclut de son champ d’application de telles conventions, la Cour de cassation rappelle que ce ne sont pas des baux tout court.

Bien entendu, le prérequis est l’existence d’une cause objective de précarité. A défaut, la requalification en bail commercial est acquise[1].

Et la notion de convention d’occupation mal traduite par bail précaire, se rapproche plus à certains égards, des conventions d’occupation domaniale posées par l’article L.2122-3 du Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P).

Avec cette particularité, que cette même loi Pinel… tout en excluant du dispositif des baux commerciaux les conventions d’occupation, a modifié les dispositions du CG3P précitées en autorisant l’exploitation d’un fonds de commerce sur le domaine public [sous réserve de l’existence d’une clientèle propre][2].

Et c’est en définitive la même précarité qui fondent le statut : d’un côté, le domaine public étant inaliénable, il est interdit d’y consentir un bail commercial qui consacre la propriété commerciale (droit au renouvellement, etc…), de l’autre la précarité de la détention par le propriétaire personne privée pour des raisons qui lui sont étrangères, soit parce que le bien est susceptible d’être exproprié, frappé d’alignement, en propriété d’indivision en cours de liquidation, ou même plus simplement parce que sa propriété est revendiquée par un tiers.

II – 2.

Il s’en déduit, qu’en l’absence de référence au statut des baux civils et commerciaux, la loi des parties constituera l’unique outil permettant aux parties d’interpréter leurs obligations. Autrement dit, l’ensemble de leurs relations devra être enfermées dans le contrat, d’où l’importance attachée sur la rédaction de celui-ci.

Sur un plan pratique, il est toujours possible de repartir des conventions d’occupation du domaine public en excluant les stipulations dérogatoires liées à l’application du droit public.

Une autre solution qui à notre connaissance n’a jamais été testée, serait de faire référence d’une manière générale au statut des baux. Les parties disposeraient alors d’une convention qui n’est pas un bail, mais pour laquelle les parties entendent se référer volontairement. Dans une telle hypothèse, il faudra quand même s’intéresser à la notion de durée. En effet, fondamentalement une convention d‘occupation de trente ans n’est pas interdite puisque précisément ce n’est pas un bail. Celle-ci n’aurait même pas à être publiée à la conservation des hypothèques.

La durée pourrait être fixe, renouvelable ou pas, indéterminée avec respect d’un préavis, de quoi réjouir les juristes en charge de formaliser la négociation des parties.


[1] Pour un exemple illustré à partir de l’application de la loi Pinel, Cass. civ 3ème, 12 décembre 2019, n°18-23784, FS – P+B+I

[2] En ce sens, article L.2124-32-1 du CG3P

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