SOURCE : Arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation du 12 novembre 2020 n°18-18.294 FS-P+B+I
Un salarié a été employé pendant une période courant du 19 mai 2008 au 15 février 2013 en exécution de 218 contrats de mission conclus avec une entreprise de travail intérimaire, travaillant au sein d’une entreprise industrielle ayant pour activité la fabrication de denrées alimentaires spécifiques déshydratées, le salarié étant employé à des fonctions essentiellement de Préparateur de matières premières, et également ponctuellement de fonctions d’Agent de préparation, Agent de préparation polyvalent, Mélangeur et Opérateur.
Le salarié a saisi le Conseil de Prud’hommes de diverses demandes tendant à la requalification des relations contractuelles en contrat à durée indéterminée, et demandant l’octroi de montants au titre de la rupture du contrat de travail à l’égard de l’entreprise utilisatrice, laquelle a appelé en garantie l’entreprise de travail temporaire.
Si les demandes du salarié vont être rejetées par les premiers juges, toutefois la Cour d’Appel de Colmar dans un arrêt du 19 avril 2018 va requalifier les contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée pour la période courant du 20 juillet 2009 jusqu’au 15 février 2013, requalifiant en CDI tant la relation du salarié avec l’entreprise utilisatrice qu’avec l’entreprise de travail temporaire.
De même, la Cour va condamner in solidum l’entreprise utilisatrice et l’entreprise de travail temporaire à payer diverses sommes à l’égard du salarié, fixant la contribution de chaque employeur soit 80% à la charge de l’entreprise utilisatrice et 20% à la charge de l’entreprise de travail temporaire, réservant toutefois l’indemnité de requalification à l’entreprise utilisatrice.
En suite de cette décision, les deux sociétés forment un pourvoi en cassation.
A l’appui de son pourvoi, l’entreprise utilisatrice reproche à l’arrêt d’appel d’avoir requalifié les contrats de mission en contrats à durée indéterminée et d’avoir considéré que l’entreprise avait recouru de manière systématique aux missions d’intérim pour faire face à un besoin structurel de main-d’œuvre, sans se prononcer sur la structure des effectifs de l’entreprise utilisatrice, prétendant en outre que l’absence de respect du délai de carence entre 2 contrats de mission, ne peut entraîner la requalification desdits contrats de mission en CDI à l’égard de l’entreprise utilisatrice.
Mais la Chambre Sociale de la Haute Cour ne va pas suivre l’entreprise utilisatrice dans son argumentation.
Soulignant qu’il incombe à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat et soulignant que l’entreprise utilisatrice à laquelle il appartenait de produire les éléments permettant de vérifier la réalité des motifs énoncés dans les contrats, ne rapportait aucune donnée concrète justifiant des motifs de recours à l’embauche précaire du salarié, puisqu’elle se limitait à critiquer la pertinence des documents produits par le salarié à l’appui de la dénonciation d’une pratique habituelle de l’entreprise d’un recours à des embauches précaires pour des motifs de moindre coûts, elle rejette le pourvoi de l’entreprise utilisatrice.
L’entreprise de travail temporaire, quant à elle, reproche à l’arrêt d’appel la condamnation in solidum avec l’entreprise utilisatrice, prétendant que le respect du délai de carence constitue une obligation pesant seulement sur l’entreprise utilisatrice, seule à même d’en assurer effectivement le respect et prétendant qu’aucune disposition du Code du Travail ne prévoit la requalification des contrats de mission en un contrat à durée indéterminée à l’égard de l’entreprise de travail temporaire.
Mais là encore, la Chambre Sociale de la Haute Cour ne va pas suivre l’entreprise de travail temporaire dans son argumentation.
Soulignant au contraire, que les dispositions du Code du Travail n’excluent pas la possibilité pour le salarié d’agir contre l’entreprise de travail temporaire lorsque les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d’œuvre est interdite non pas été respectées,
Et soulignant qu’il résulte toujours des dispositions du Code de Travail que l’entreprise de travail temporaire ne peut conclure avec un même salarié sur le même poste de travail, des contrats de mission successifs qu’à la condition que chaque contrat en cause soit conclu pour l’un des motifs énumérés par le code au nombre desquels ne figure pas l’accroissement temporaire d’activité,
Ce, alors que l’entreprise de travail temporaire avait conclu plusieurs contrats de mission au motif d’un accroissement temporaire d’activité sans respect du délai de carence,
Elle considère que c’est à bon droit que la relation contractuelle existant entre le salarié et l’entreprise de travail temporaire devait être requalifiée en un contrat de travail à durée indéterminée, le non-respect du délai de carence constituant un manquement propre de l’entreprise de travail temporaire, à ses obligations dans l’établissement des contrats de mission,
C’est donc à bon droit que l’entreprise de travail temporaire a été condamnée in solidum avec l’entreprise utilisatrice à supporter les conséquences de la requalification de la relation de travail en CDI, à l’exception de l’indemnité de requalification dont l’entreprise utilisatrice reste seule débitrice.
Par suite, la Haute Cour rejette les pourvois tant de l’entreprise utilisatrice que de l’entreprise de travail temporaire.