Bail commercial, Preneur en procédure collective, impayés de loyers et renonciation du bailleur à la poursuite de la résiliation du bail

Alexandre BOULICAUT
Alexandre BOULICAUT - Juriste

Après avoir admis la possibilité pour le bailleur de choisir entre la procédure de résiliation droit commun sur le fondement de la clause résolutoire y insérée, et la procédure spéciale des procédures collective prévue au livre VI du Code de commerce, la Chambre commerciale par un arrêt inédit du 5 octobre 2022, reconnaît au bailleur la possibilité de renoncer même tacitement à son droit de poursuivre la résiliation du bail commercial.

SOURCE : Cass. com, 5 octobre 2022, n°21-11759, Inédit

Lorsque le preneur à bail commercial est en procédure collective tout en continuant à ne pas payer les loyers, le bailleur dispose en plus de la résiliation de droit commun de la possibilité de saisir le juge commissaire au visa de L. 641-12, 3°, du code de commerce d’une demande en résiliation du bail commercial qui n’a pas besoin d’être précédée, comme dans la procédure de droit commun d’un commandement payer infructueux visant la clause résolutoire.

Rien de bien nouveau pour les lectures fidèles de CHRONOS qui pour mémoire, avait réservé les honneurs d’un commentaire[1] à un arrêt rendu par la troisième chambre civile le 24 novembre 2021[2] certes inédit, par lequel la troisième chambre faisait sienne la jurisprudence antérieurement rendue par la Chambre commerciale, au visa de laquelle :

« En application des articles L. 641-12, 3°, et R. 641-21, alinéa 2, du code de commerce, lorsque le juge-commissaire est saisi, sur le fondement du premier de ces textes, d’une demande de constat de la résiliation de plein droit du bail d’un immeuble utilisé pour l’activité de l’entreprise, en raison d’un défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire du preneur, cette procédure, qui obéit à des condition spécifiques, est distincte de celle qui tend, en application de l’article L. 145-41 du code de commerce, à faire constater l’acquisition de la clause résolutoire stipulée au contrat de bail. En conséquence, le bailleur, qui agit devant le juge-commissaire pour lui demander la constatation de la résiliation de plein droit du bail, sans revendiquer le bénéfice d’une clause résolutoire, n’est pas dans l’obligation de délivrer le commandement exigé par l’article L. 145-41 du code de commerce »[3].

Entre temps, la chambre commerciale n’avait fait que reprendre ce principe doctrinal posé par la même chambre dans son arrêt de 2019 ayant fait les honneurs d’une très large publication[4] :

« Attendu que lorsque le juge-commissaire est saisi sur le fondement de ce texte d’une demande de constat de la résiliation de plein droit du bail d’un immeuble utilisé pour l’activité de l’entreprise, en raison d’un défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de redressement judiciaire du preneur, cette procédure, qui obéit à des conditions spécifiques, est distincte de celle qui tend, en application de l’article L. 145-41 du code de commerce, à faire constater l’acquisition de la clause résolutoire stipulée au contrat de bail ».

La décision commentée s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence précitée, la Chambre commerciale énonce que le titulaire d’un droit déjà né dans son patrimoine, peut y renoncer même tacitement, pourvu qu’il soit sans équivoque. 

Dans les faits pertinents de l’espèce, une société débitrice a bénéficié de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire, laquelle a été convertie en cours de procédure en liquidation judiciaire.

Dans cet intervalle, le bailleur après avoir déclaré sa créance au passif de la société, a saisi le juge-commissaire d’une requête aux fins de constatation de la résiliation de plein droit du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une période postérieure au jugement d’ouverture de la procédure collective, requête rejetée par le juge-commissaire.

En cours de procédure collective, la société débitrice a cédé son fonds par acte de cession auquel le bailleur a été appelé.

En cause d’appel :

  • La Cour constate la résiliation de plein droit du bail aux motifs que les conditions posées à l’article L622-14, 2° du Code de commerce étaient remplies. Il résulte en effet de ce texte que la résiliation d’un bail [commercial] intervient [2°] lorsque le bailleur demande la résiliation ou fait constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture, le bailleur ne pouvant par ailleurs agir qu’au terme d’un délai de trois mois à compter dudit jugement.
  • La Cour relève dans le même temps, que l’acte de cession du fonds de commerce, dont le droit au bail, stipulait (i) que le bailleur et le cessionnaire déclaraient dégager le liquidateur de toute responsabilité sur les conséquences de l’absence de paiement par le cessionnaire des loyers relevant de la clause de solidarité cessionnaire/cédant, à savoir les loyers antérieurs et postérieurs jusqu’au mois de l’acte de cession du fonds, et (ii) que le bailleur s’engageait à renoncer à sa déclaration de créance ainsi qu’aux commandements de payer visant la clause résolutoire et à accepter le désistement de toute procédure y afférente, sans pour autant retenir que le bailleur avait renoncé à sa requête en constat de la résiliation de plein droit du bail.

Le liquidateur se pourvoit en cassation

La Haute juridiction censure l’arrêt rendu au visa de l’article 1103 du Code civil au motif que :

« La renonciation à sa déclaration de créance de loyers consentie par [le bailleur] à l’occasion de la cession du fonds de commerce emportant celle du bail commercial était nécessairement incompatible avec le maintien d’une demande tendant à la résolution du même bail commercial en raison du défaut de paiement des loyers postérieurs au jugement d’ouverture du redressement judiciaire, (…) ».

La Chambre commerciale ne manque pas de souligner que :

« La renonciation à un droit peut être tacite et résulter d’un comportement du créancier qui est, sans équivoque, incompatible avec le maintien de ce droit ».


[1] Article Chronos – Maître Eric DELFLY – 26 mars 2022, https://vivaldi-chronos.com/bail-commercial-preneur-en-procedure-collective-impayes-de-loyers-resiliation-2/

[2] Cass. civ 3ème, 24 novembre 2021, n°20-20973, Inédit

[3] Cass. com, 9 octobre 2019, n°18-17563, FS – P + B + I, Cf « Titrages et résumés »

[4] Cass. com, 15 novembre 2020, n°17-28127, Inédit

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