Bail commercial, nullité du rapport d’expertise judiciaire soumise à la preuve d’un grief

Alexandre BOULICAUT
Alexandre BOULICAUT - Juriste

Les irrégularités affectant le déroulement des opérations d’expertises sont sanctionnées selon les dispositions des dispositions du Code de procédure civile, qui renvoient aux règles régissant la nullité des actes de procédure : point de grief, point de nullité.

SOURCE : Cass. civ 2ème, 8 septembre 2022, n°21-12030, FS – B

I – Les faits

A la base de ce contentieux, des désordres affectant un immeuble donné à bail commercial. Le locataire assigne son bailleur en référé-expertise afin d’obtenir la désignation d’un expert avec pour mission habituelle en pareille matière de se prononcer sur l’origine des désordres (infiltrations) et leur imputabilité.

Dès le dépôt du rapport définitif de l’expert judiciaire, le locataire assigne son cocontractant en résiliation du bail outre le paiement de dommages et intérêts, ce à quoi le bailleur réplique en sollicitant reconventionnellement la nullité du rapport d’expertise au visa de l’article 233 du Code de procédure civile, aux motifs (i) que l’expert ne s’était pas rendu personnellement sur le toit de l’immeuble affecté par les désordres lors de l’unique réunion d’expertise, et (ii) qu’il s’était fondé sur les photographies d’un rapport amiable établi plusieurs mois auparavant et non-contradictoirement par l’expert mandaté par le locataire dans le cadre d’un rapport d’expertise amiable.

Pour la Cour d’appel, l’expert a respecté le principe du contradictoire lors de l’examen des photographies et a répond au dire du bailleur, se contentant de soutenir qu’ils pouvaient avoir une autre origine que celle retenue par l’expert.

Le bailleur se pourvoit en cassation.

II – Le raisonnement de la Haute juridiction

La Cour de cassation dans son dispositif, rappelle tout d’abord les dispositions de l’article 233 du Code de procédure civile au visa duquel le technicien, investi de ses pouvoirs par le juge en raison de sa qualification doit remplir personnellement sa mission qui lui est confiée.

La Cour rappelle dans un second temps à bon droit, qu’en vertu de l’article 175 du Code de procédure civile :

«  La nullité des décisions et actes d’exécution relatifs aux mesures d’instruction est soumise aux dispositions qui régissent la nullité des actes de procédure ».

Dont le rapport d’expertise judiciaire….

Comme le précise à juste titre la troisième chambre civile, les irrégularités affectant le déroulement d’une opération d’expertise sont sanctionnées suivant les dispositions de l’article 114 du Code de procédure civile qui dispose qu’ :

« Aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’est pas expressément prévue par la loi, sans en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public ».

Il ressort de cet article trois conditions cumulatives :

  • Il faut que la nullité soit prévue par un texte ou qu’il s’agisse d’une formalité substantielle ou d’ordre public

Pas de difficulté pour reconnaître la condition liée à la formalité substantielle ou d’ordre public, le technicien étant tenu de réaliser la mission qui lui a été confiée par le juge au visa de l’article 233 du Code de procédure civile.

  • Il faut que l’acte irrégulier n’ait pas été régularisée.
  • Il faut que le vice de forme ait causé un grief à la partie adverse

Il est précisé que le grief consiste dans l’impossibilité pour le défendeur d’exercer correctement sa défense. La jurisprudence est très exigeante. En pratique, l’existence d’un grief est peu souvent admise.

En l’espèce, la Cour relève que lors de la réunion d’expertise sur les lieux, il n’avait pas été possible de monter sur le toit de l’immeuble affecté par les désordres en raison de la météorologie et l’expert avait examiné avec les parties, les document photographiques annexés au rapport d’expertise amiable. La Cour de cassation relève également que le bailleur n’avait pas contesté dans son dire, la réalité des désordres, mais qu’il avait soutenu qu’ils pouvaient avoir une autre origine que celle retenue par l’expert, ce à quoi ce dernier avait répondu. Dans ces conditions, le bailleur ne rapporte pas le preuve de l’existence d’un grief.

Le pourvoi est donc rejeté de ce chef.

La décision est logique pour CHRONOS. La Cour de cassation dans un arrêt du 28 septembre 2012[1] a jugé dans ses titrages et résumés littéralement repris que :

« Les parties à une instance au cours de laquelle une expertise judiciaire a été ordonnée ne peuvent invoquer l’inopposabilité du rapport d’expertise en raison d’irrégularités affectant le déroulement des opérations d’expertise, lesquelles sont sanctionnées selon les dispositions de l’article 175 du code de procédure civile qui renvoient aux règles régissant les nullités des actes de procédure ».


[1] Cass. ch mixte, 28 septembre 2012, n°11-11381, FS – B

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