Bail commercial, manquement du bailleur à son obligation de délivrance et exception d’inexécution

Alexandre BOULICAUT
Alexandre BOULICAUT - Juriste

La présence d’infiltrations affectant les locaux dans lequel est exploité un fonds de commerce, n’est pas suffisante au regard de l’obligation fondamentale de délivrance du bailleur, pour justifier l’exception d’inexécution et la consignation des loyers commerciaux, sauf si le manquement allégué du bailleur rend les locaux loués impropres à l’usage auquel ils étaient destinés.

SOURCE : Cass. civ 3ème, 6 juillet 2023, n°22-15923, FS – B

A la base de ce contentieux soumis à la censure de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, une assignation en résiliation de bail commercial délivrée à la requête d’un bailleur, sur le fondement de divers manquements du locataire à ses obligations contractuelles.

Reconventionnellement, le locataire oppose au demandeur l’inexécution de son obligation de délivrance à raison d’infiltrations d’eau dans les lieux, conclut au rejet des demandes adverses et sollicite dans ses écritures l’autorisation de procéder à la consignation des loyers.

En cause d’appel, la Cour fait droit à l’ensemble des demandes du locataire.

Le bailleur se pourvoit en cassation.

Pour le bailleur demandeur au pourvoi, seul un manquement du bailleur à ses obligations essentielles rendant impossible la jouissance des lieux, pourrait justifier l’exception d’inexécution du locataire et la consignation des loyers. En l’espèce, les infiltrations litigieuses ne rendaient pas impossible en totalité la jouissance des locaux.

L’arrêt d’appel avait jugé que, peu important que l’exploitation ne soit pas totalement impossible, l’exception d’inexécution était justifiée par le manquement du bailleur à son obligation essentielle de délivrance.

La Haute juridiction accueille favorablement le pourvoi du bailleur et censure l’arrêt d’appel au visa des articles 1184 alinéa 1er (ancien) et 1719 du Code civil aux motifs qu’il aurait appartenu à la Cour d’appel de rechercher, comme elle y était invitée, si les locaux loués avaient été rendus impropres à l’usage auquel ils étaient destinés.

Parmi les moyens susceptibles d’être opposés aux bailleurs par les locataires commerciaux afin de légitimer le non-paiement (ou encore la consignation) des loyers, l’exception d’inexécution fait figure de choix.

Ce moyen de défense trouve son fondement textuel à l’article 1219 du Code civil, issu de l’ordonnance du 10 février 2016, lequel dispose :

« Une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave ».

Les lecteurs auront noté que le manquement allégué par le locataire doit revêtir un caractère suffisamment grave.

En matière de baux commerciaux, l’appréciation du caractère « suffisamment grave » du trouble relève avant tout de la casuistique, même si la jurisprudence au fil de ses décisions avait dégagé dès 1987, quelques principes directeurs.

Ainsi, la troisième chambre civile a jugé dans un arrêt publié du 21 décembre 1987[1], que le locataire devait se trouver dans l’impossibilité totale d’exercer son commerce dans les lieux après sa prise de possession, et ce conformément à la destination contractuelle prévue au bail.

Aux termes d’un arrêt également publié en date du 21 novembre 1990[2], la troisième chambre avait nuancé sa position en censurant un arrêt d’une Cour d’appel qui, pour constater la résiliation d’un bail commercial pour défaut de paiement des loyers, avait retenu l’absence d’impossibilité totale d’utiliser les lieux loués, le magasin de vente au détail et l’appartement de l’immeuble dans lequel était exploité le fonds à usage de boulangerie-pâtisserie n’ayant pas été détruits, tout en relevant que le fournil était sinistré ce qui impliquait l’impossibilité d’user les lieux loués conformément à la destination prévue au bail.

De manière plus contemporaine, un arrêt de la troisième chambre civile en date du 15 décembre 1993[3], avait admis la suspension du paiement des loyers, aux motifs que le bailleur était tenu contractuellement de faire son affaire personnelle du gardiennage et de l’ouverture sans interruption de la galerie commerciale de 9 heures à 21 heures, ce qui n’avait pas permis à la société locataire depuis l’origine, d’exploiter les locaux conformément aux stipulations du bail .

Plus récemment encore, la troisième chambre a rejeté l’argument tiré de l’exception d’inexécution afin de légitimer le non-paiement des loyers Covid, dans le cadre des mesures administratives  prises afin de limiter les effets de la crise sanitaire[4].

En synthèse de ce qui précède et à notre sens, sans négliger l’aléa judiciaire inhérent à toute procédure contentieuse, l’exception d’inexécution ne peut être invoquée par le preneur pour s’exonérer du paiement du loyer que lorsque l’exploitation est rendue totalement impossible, et ce conformément à la destination prévue au bail commercial.


[1] Cass. civ 3ème, 21 décembre 1987, n°86-13861, FS – PB

[2] Cass. civ 3ème, 21 novembre 1990, n°89-16189, FS – PB

[3] Cass. civil 3ème, 15 décembre 1993, n°92-12324, FS – PB

[4] En ce sens Cass. civ 3ème, 30 juin 2022, n°21-20127, n°21-20190, FS – B

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