Bail commercial, état des risques et pollutions, diagnostic de performance énergétique et défaut de communication : pas de préjudice, pas de résolution du bail !

Alexandre BOULICAUT
Alexandre BOULICAUT - Juriste

Si certaines juridictions d’appel sont entrées frontalement en résistance avec la doctrine de la Cour de cassation (Cour d’appel de PARIS),la Cour d’appel de MONTPELLIER juge aux termes d’un arrêt du 19 mars 2024, que la résolution judiciaire d’un bail commercial pour absence de communication lors de sa signature d’un ERP et d’un DPE, ne peut être poursuivie que si elle cause un préjudice « d’une gravité suffisante » au locataire.

Source : CA MONTPELLIER, ch. 05, 19 mars 2024, n°21/03395

I – L’arrêt commenté

Dans son arrêt du 19 mars 2024, la Cour d’appel de MONTPELLIER avait à trancher l’obligation contractuelle du bailleur confronté à la revendication d’un preneur, qui sollicitait la résolution d’un contrat de bail pour absence de remise lors de sa signature, d’un état des risques technologiques (ERP) et d’un diagnostic de performance énergétique (DPE).

La juridiction du premier degré avait débouté la société requérante de sa demande tendant à la résolution du bail, en raison de l’absence d’un préjudice, société qui avait alors interjeté appel en arguant l’ajout d’une nouvelle condition non prévue par les textes, textes par ailleurs d’ordre public puisqu’institués dans un but de protection du climat et de l’environnement.

Nouvel échec du locataire devant la Cour d’appel de MONTPELLIER, qui confirme à ce titre le jugement comme suit :

D’une part, la possibilité de poursuivre la résolution du bail pour défaut de communication d’un ERP (daté de moins de 6 mois) lors de sa signature, ne s’applique pas de plein droit, seule la gravité du comportement d’une partie pouvant justifier le prononcé par le juge de la résolution. La Cour rappelle qu’il incombe également au demandeur de caractériser la gravité du manquement dénoncé.

En l’espèce, l’ERP produit en cours de bail par le bailleur faisait état d’un plan de prévention des risques avec un niveau de sismicité faible, et un plan de prévention des risques Radon de niveau 1, sans autres plans de prévention sur la commune.

Le défaut de communication de l’ERP ne revêtant pas une gravité suffisante (cf infra), la Cour déboute le locataire de sa demande.

D’autre part, la possibilité de poursuivre la résolution du contrat pour défaut de communication d’un DPE, reste soumise à la démonstration d’un préjudice lié à ce manquement, qui n’est d’ailleurs pas sanctionné expressément par les textes en vigueur.

II – L’État des Risques et Pollutions (ERP)

         II – 1.

Conformément à une tendance générale du droit immobilier, il faut prendre garde au renforcement des obligations d’information du bailleur commercial, principalement par la Loi portant engagement national pour l’environnement du 12 juillet 2010, dite loi Grenelle 2 : la loi impose au bailleur de fournir au locataire lors de la conclusion du bail, et donc lors du renouvellement, un certain nombre de renseignements sur l’état de l’immeuble, principalement d’ordre environnemental, comme l’état des risques naturels, miniers et technologiques.

Il s’agit d’un pré-imprimé-type qui mentionne le classement de l’immeuble par rapport à des risques tels que la sismicité, les inondations les mouvements de terrain, les sites SEVESO, etc…

L’article L125-5 du Code de l’environnement a intégré expressément le bail commercial dans le domaine de cette obligation d’information :

« (…)

En cas de mise en location de l’immeuble, l’état des risques naturels et technologiques est fourni au nouveau locataire dans les conditions et selon les modalités prévues à l’article 3-3 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986.

L’état des risques naturels et technologiques, fourni par le bailleur, est joint aux baux commerciaux mentionnés aux articles L. 145-1 et L. 145-2 du code de commerce.

En cas de non-respect des dispositions du présent article, l’acquéreur ou le locataire peut poursuivre la résolution du contrat ou demander au juge une diminution du prix.

(…) ».

L’article R125-6 du même Code dispose que cet état doit être établi moins de six mois avant la conclusion du contrat de bail écrit auquel il est annexé.

II – 2.

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de MONTPELLIER s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence de la Haute Cour (à rapprocher de Cass. civ 3ème, 10 septembre 2020, n°19-13760, et Cass. civ 3ème, 21 septembre 2023, n°22-15850) qui juge que l’absence de communication d’un ERP n’est susceptible de justifier la résolution du bail que si le manquement imputé au bailleur est d’une gravité suffisante[1].

III – Le Diagnostic de Performance Énergétique (DPE)

Étendu au bail commercial par la loi Grenelle 2, le DPE fournit des renseignements sur le niveau de consommation énergétique de l’immeuble, et sa classification par rapport à d’autres immeubles. Il doit avoir été établi moins de dix ans avant la conclusion du bail. Cette durée de validité a été réduite pour les DPE réalisés avant le 1er juillet 2021 comme suit : DPE réalisés entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2017 : validité jusqu’au 31 décembre 2022 / DPE réalisés entre le 1er janvier 2018 et le 30 juin 2021 : validité jusqu’au 31 décembre 2024.

Jusqu’au 30 juin 2021, ces informations ne donnaient aucun droit contre le bailleur, et le défaut d’information n’était pas sanctionné par la loi. Cependant, l’article 179 de la loi ELAN du 23 novembre 2018 est venue rendre le DPE « opposable », y compris par le locataire, à compter du 1er juillet 2021 : le preneur peut désormais se prévaloir des informations données par le DPE, mais il n’y a toujours pas de sanction prévue.

En outre, le DPE inclut désormais des recommandations, mais seulement à valeur informatives (article L.126-29 du Code de la construction et de l’habitation).

IV – Sur l’obligation d’information « environnementale » du bailleur commercial

Sur un plan pratique, les bailleurs doivent prendre garde à la plus grande exhaustivité au titre d’une obligation d’information que l’on pourrait qualifier d’« environnementale », laquelle se trouve de plus en plus renforcée à plus d’un titre :

D’une part, la promulgation le 5 octobre 2022 du décret du 1er octobre 2022 relatif à l’information des acquéreurs et des locataires sur les risques, lequel a imposé à compter du 1er janvier 2023 la communication d’un ERP obligatoirement annexé au bail commercial, et même mis à jour au besoin[2].

D’autre part, l’instauration d’un DPE dès la conclusion du bail commercial qui s’inscrirait dans le cadre de la prise en compte des données environnementales liées à la règlementation du Décret Tertiaire du 23 juillet 2019 (décret n°2019-771 du 23 juillet 2019 relatif aux obligations d’actions de réduction de la consommation d’énergie finale dans les bâtiments à usage tertiaire), qui pour mémoire engage tous les acteurs du tertiaire vers la sobriété énergétique en imposant une réduction progressive de la consommation d’énergie dans les bâtiments à usage tertiaire.


[1] https://vivaldi-chronos.com/bail-commercial-absence-detat-des-risques-et-pollutions-pas-de-resolution-sans-gravite-suffisante/

[2] https://vivaldi-chronos.com/bail-commercial-obligation-dinformation-du-bailleur-etat-des-risques-et-pollutions/

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