Dans les rapports entre les parties, la somme versée par le preneur à l’occasion de la signature d’un bail, autrement dénommée « droit d’entrée » ou « pas de porte », sera qualifiée par le juge judiciaire « d’indemnité » ou de « supplément de loyer » selon les stipulations insérées au bail, appréciées souverainement par les juges du fond[1].
Il en ira différemment pour les parties dans leurs rapports avec l’administration fiscale qui n’est pas liée par la qualification fiscale du droit d’entrée stipulée au bail[2].
Le pas de porte « indemnitaire » d’un bail conservera sa qualification devant le juge judiciaire, mais pourra être aisément requalifié en supplément de loyer par le juge administratif.
La qualification fiscale d’un pas de porte sera à cet égard différente qu’il s’agisse du traitement fiscal de l’indemnité versé par le preneur ou perçu par le bailleur.
Coté bailleur,
Deux qualifications sont possibles : le supplément de loyer, traité comme tel, c’est à dire comme un revenu foncier, et la dépréciation d’un élément du patrimoine du bailleur, soumis au régime des plus values à long terme.
Le Conseil d’Etat considère qu’en principe l’indemnité versée en contre partie d’avantages accordés au locataire du fait de la location de l’immeuble est un supplément de loyer[3]. Par exception, le droit d’entrée ne sera pas taxé si le bailleur justifie de circonstances particulières se traduisant par l’abandon ou la dépréciation d’un élément de son patrimoine. Cette qualification s’inscrit quasi exclusivement dans un contexte de bail consenti par un propriétaire-exploitant venant de cesser son activité dans les lieux[4].
Coté preneur,
Suivant les situations, les sommes versées par le preneur seront qualifiées de charges déductibles ou d’éléments du coût de revient d’un élément incorporel de l’actif immobilisé.
Il résulte d’une jurisprudence bien établie et de la doctrine administrative que pour qualifier les versements de droits d’entrée comme une charge ou comme le coût de revient d’un élément de l’actif immobilisé, il convient de se fonder essentiellement sur le caractère normal ou anormal du loyer, apprécié par rapport à la valeur locative réelle de l’immeuble, connaissance prise des stipulations du bail.
A ainsi été qualifiée de supplément de loyer, déductible des résultats de l’entreprise par fractions égales sur la durée du bail
– la somme versée par une société lors de l’entrée dans des locaux industriels pris à bail pour une durée de neuf ans, dès lors que la valeur locative réelle des locaux n’est pas inférieure à la somme du loyer annuel effectivement versé majorée du neuvième de l’indemnité stipulée et que, d’ailleurs, celle-ci trouve sa justification dans la circonstance que la société bailleresse a pris à sa charge le coût des installations particulières nécessaires à l’exploitation de l’usine par la société locataire[5] ;
Ont en revanche été qualifiées d’élément de l’actif immobilisé :
– l’indemnité versée par une entreprise au bailleur des locaux lors de la conclusion du bail, dès lors que le loyer doit être regardé comme normal eu égard à la nature du fonds de commerce, à la superficie et à l’emplacement du local donné à bail, ainsi qu’à la nécessité dans laquelle s’est trouvée l’entreprise locataire d’effectuer d’importants travaux dans ce local qui lui a été loué dépourvu de tout aménagement[6] ;
– L’indemnité versée par un pharmacien qui prend à bail un local situé dans un centre commercial dans le cadre d’un contrat stipulant que l’indemnité d’entrée ne constituait pas un « supplément de loyer comptant pour la durée du bail » mais la « contrepartie d’avantages commerciaux sans rapport avec le loyer » dès lors que le montant du loyer est normal, compte tenu de la circonstance que le preneur devait assumer les frais d’aménagement du local : la société bailleresse a conféré à l’intéressé le droit au renouvellement d’un bail commercial en un lieu particulièrement achalandé et, compte tenu de l’organisation du centre, largement protégé contre la concurrence[7] ;
– L’indemnité versée par une société à son associé et ancien PDG qui lui donne en location des locaux commerciaux ne peut être considérée comme un supplément de loyer déductible des résultats dès lors que le contrat de bail la désigne expressément comme une contrepartie de la propriété commerciale et que le montant du loyer n’est pas anormalement bas[8] ;
– L’« indemnité de loyer » que le locataire verse au bailleur à l’occasion de la conclusion d’un bail commercial, dès lors que l’intéressé l’a inscrite à l’actif de son bilan à un compte d’immobilisation et qu’il ne se prévaut pas sur ce point d’une erreur comptable[9] ;
Lorsque le droit d’entrée constitue le prix de revient d’un élément incorporel, l’entreprise locataire ne peut pas le déduire.
Ainsi généralement, lorsque le montant du loyer n’est pas abordé, l’administration fiscale considère que l’indemnité est, pour le preneur, un élément d’actif[10]. Elle considère également classiquement qu’il n’y a pas nécessairement de symétrie dans la qualification et la taxation de l’indemnité coté bailleur et coté preneur puisque les critères de qualification ne sont pas les mêmes : le montant du loyer pour le preneur, l’abandon ou la dépréciation d’un élément de son patrimoine pour le bailleur.
Un arrêt du 15 février 2019 semble revenir sur cette position classique, en liant la nature fiscale du pas de porte coté preneur, à celle du bailleur.
Dans cette affaire, l’administration a remis en cause la déduction de la TVA opérée par un preneur au titre du règlement du droit d’entrée, position confirmée par les juges du fond à double titre :
1) Le bail stipulait que l’indemnité restera définitivement acquise au bailleur en contre partie des avantages de la propriété commerciale conférée au preneur ;
2) La valeur hors taxes du droit au bail avait été portée en immobilisation.
Ainsi, il ne pouvait s’agir d’un supplément de loyer générant une TVA déductible, mais d’un élément d’actif.
Le Conseil d’Etat relève quand à lui que le droit d’entrée ne peut être considéré, pour le bailleur, comme une « contrepartie de la cession d’un élément de fonds de commerce qui serait distinct, au plan économique, du droit au renouvellement du bail, ni comme une indemnité destinée à dédommager le bailleur d’un préjudice résultant de la dépréciation de son patrimoine. »
Supplément de loyer pour le bailleur, le droit d’entrée l’est en conséquence également pour le preneur, sans qu’il y ait lieu, manifestement, de s’attacher au montant du loyer convenu, ce qui constitue en soit une évolution de la jurisprudence du Conseil d’Etat.
En conséquence :
« le droit d’entrée est, (…) un supplément de loyer qui constitue, avec le loyer lui-même, la contrepartie d’une opération unique de location, et qui est soumis à la taxe sur la valeur ajoutée au même titre que celui-ci ».
Les décisions des juges du fond sont en conséquence annulées, et le preneur déchargé du rappel de TVA.
[1] Cass. Com., 14 novembre 1962, n°59-10.206, Publié au Bulletin
[2] CE 17-3-1982 n° 22738, 8e et 9e s.-s. : RJF 5/82 n° 458 ; CAA NANCY, 13 mars 1997, n°94-1512
[3] CE, 7ème Sous section, 26 juin 1968, n°70030
[4]CE 23-1-1980 n° 17060, 8e et 9e s.-s. : CE 29-9-1989 n° 68212, 7e et 9e s.-s. : RJF 11/89 n° 1230; CAA Bordeaux 20-11-1990 n° 1596 : RJF 3/91 n° 304.
[5] CE 25-7-1980 n° 18189, 8e et 9e s.-s. : RJF 11/80 n° 862.
[6]CE 19-11-1976 n° 98701, 7e et 9e s.-s. : RJF 1/77 n° 9.
[7]CE 17-3-1982 n° 22738, 8e et 9e s.-s. : RJF 5/82 n° 458.
[8]CE 23-6-1986 n° 48465, 7e et 8e s.-s. : RJF 10/86 n° 866.
[9]CE 28-12-1988 n° 57390, 9e et 8e s.-s. : RJF 3/89 n° 260.
[10] CE, 9ème – 10ème chambres réunies, 15/04/2016, 375796, Inédit au recueil Lebon