Bail commercial, droit de préemption: Pas de fait du prince de l’Administration

Alexandre BOULICAUT
Alexandre BOULICAUT - Juriste

Dans son arrêt du 15 décembre 2023, le Conseil d’État transpose au droit de préemption institué en matière d’aliénations à titre onéreux des fonds artisanaux, des fonds de commerce ou des baux commerciaux, les critères jurisprudentiels appliqués au droit de préemption urbain (DPU), et juge qu’une commune ne peut légalement exercer son droit de préemption en l’absence de justification de la réalité du projet poursuivi (i), et si ce dernier ne répond pas à un intérêt général suffisant (ii).

SOURCE : CE, 15 décembre 2023, n°470167, Société NM Market, Mentionné dans les tables du recueil Lebon

Les faits de l’espèce peuvent être résumés comme suit : une boucherie attenante à une auto-école se positionne sur la vente du droit au bail commercial servant à l’exploitation du fonds de commerce à usage d’auto-école, en vue d’agrandir son commerce.

La commune du lieu de situation des locaux litigieux, décide de préempter le droit au bail, se référant à une délibération du conseil municipal ayant institué un périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité.

L’acquéreur évincé attaque devant le Conseil d’État, la décision du juge des référés ayant rejeté sa demande de suspension de l’exécution de la décision de préemption par la commune.

Dans sa décision du 15 décembre 2023, le Conseil d’État annule l’ordonnance du juge des référés querellée, et suspend la décision de préemption, selon la motivation reprise comme suit :

Après avoir rappelé les fondements textuels à l’origine de sa décision (articles L.210-1, L.214-1 et L.214-2, L.300-1 du Code de l’urbanisme), la Haute juridiction administrative transpose au droit de préemption exercé en matière d’aliénations aliénations à titre onéreux des fonds artisanaux, des fonds de commerce ou des baux commerciaux, les critères dégagés par la jurisprudence administrative et appliqués au droit de préemption urbain.

Ainsi, doivent être caractérisés :

  • La réalité, à la date à laquelle la collectivité exerce ce droit, d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L300-1 du Code de l’urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date[1] ;
  • La mention de la nature du projet dans la décision de préemption[2] ;
  • La justification de la poursuite d’un intérêt général suffisant, eu égard notamment aux caractéristiques du bien (fonds artisanal, fonds commercial ou bail commercial), faisant l’objet de l’opération ou au coût prévisible de cette dernière[3].

En l’espèce, après avoir relevé que la décision de préempter dans des secteurs de la commune « où des menaces pèsent sur la diversité commerciale et artisanale », se bornait à indiquer que l’extension d’un commerce déjà existant allait à l’encontre de l’objectif poursuivi, sans apporter de précision quant à la nature du projet poursuivi, notamment la ou les activités commerciales ou artisanales dont l’installation ou le développement seraient organisés dans le périmètre délimité, le Conseil d’État fait droit à la demande du requérant d’annulation de l’ordonnance querellée.

En d’autres termes, la simple référence au périmètre de sauvegarde ne suffit pas à établir la réalité du projet justifiant la préemption, à moins que l’autorité délibérante n’ait pris le soin d’indiquer la ou les activités qu’elle souhaite promouvoir dans le périmètre.


[1] CE, 7 mars 2008, n°288371, Commune de Meung-sur-Loire et CE, 20 novembre 2009, n°316961, Commune de Noisy-le-Grand

[2] CE, 7 mars 2008, n°288371, Commune de Meung-sur-Loire et CE, 20 novembre 2009, n°316961, Commune de Noisy-le-Grand

[3] CE, 6 juin 2012, n°342328, Société RD Machines outils

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