Il résulte de la combinaison de l’article L145-60 du Code de commerce et du principe selon lequel la fraude corrompt tout, que la fraude suspend le délai de prescription biennale applicables aux actions au titre d’un bail commercial.
SOURCE : Cass. civ 3ème, 30 mai 2024, n°23-10184, FS – B
Aux termes d’un arrêt en date du 30 mai 2024, la Cour de cassation avait à trancher la demande de reconnaissance d’un bail commercial de preneurs, et à la suspension du délai de prescription biennal y attaché.
En l’espèce, trois baux dérogatoires successifs ont été conclus respectivement avec une personne physique, puis deux personnes morales détenues et représentées par la personne physique. A l’expiration du dernier bail, un congé aux fins de quitter les locaux a été délivré, puis une sommation de déguerpir, puis une assignation aux fins d’expulsion.
Typiquement, les baux successifs ont été conclus pour le même local et entre les mêmes parties, l’identité du preneur étant en réalité la même, ce que le texte de l’article L.145-5 du Code de commerce, applicable au litige, prohibait formellement (cf infra).
Invoquant une fraude des bailleurs, les preneurs les ont assignés en reconnaissance d’un bail commercial au profit du preneur personne physique, et en indemnisation des préjudices.
La Cour d’appel avait déclaré prescrites les demandes de requalification des deux premiers baux en baux commerciaux, au motif que l’assignation des preneurs était intervenue « plus de cinq ans » après la conclusion des deux premiers baux.
A tort lui répond la troisième chambre civile, au visa des articles L.145-5 (ancien) et L.145-60 du Code de commerce, dont il est rappelé les dispositions :
L.145-5 du Code de commerce (ancien)
« Les parties peuvent, lors de l’entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à deux ans.
Si, à l’expiration de cette durée, le preneur reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail dont l’effet est réglé par les dispositions du présent chapitre.
(…) »
L.145-60 du Code de commerce :
« Toutes les actions exercées en vertu du présent chapitre se prescrivent par deux ans ».
La Cour applique au litige, le principe selon lequel « la fraude corrompt tout », et juge que la fraude suspend le délai de prescription biennale applicable au titre d’un bail commercial.
Dans les relations bailleur/preneur, la sanction attachée à la fraude, vise principalement à préserver les droits du preneur, notamment ceux qui découlent du statut des baux commerciaux, dont pour mémoire certaines de ses dispositions sont impératives.
Ainsi, dans un arrêt du 8 avril 2010[1], la troisième chambre civile a jugé que la fraude commise lors de la conclusions de baux dérogatoires successifs, interdisait au bailleur de se prévaloir de la renonciation du preneur à la propriété commercial, et suspendait le délai de prescription de l’action de ce dernier tendant à voir reconnaitre le bénéfice du statut des baux commerciaux.
Dans l’arrêt rapporté, la Cour avait relevé que le bailleur avait agi en fraude des droits du preneur, en signant un deuxième bail dérogatoire avec un prête-nom, en l’occurrence avec l’associée majoritaire de la société initialement preneuse à bail, par ailleurs non immatriculée au RCS, et pour un même commerce et une même enseigne.
A également été jugée comme relevant de la fraude, la conclusion de quarante baux successifs pendant une durée de plus de trois ans, portant sur des locaux commerciaux qualifiés faussement « d’emplacements »[2].
[1] Cass. civ 3ème, 8 avril 2010, n°08-70338, FS – PB
[2] Cass. civ 3ème, 24 janvier 1996, n°94-10322, FS – PB