ARRET UBER : Le prestataire qui n’a pas l’obligation de travailler peut-être considérer comme étant lié à la plateforme par un contrat de travail.

Thomas T’JAMPENS
Thomas T’JAMPENS

SOURCE : Arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 4 mars 2020, n° 19-13.316, FP.P+B+R+I

 

I – La qualification d’une prestation salariée

 

Il convient de rappeler que l’existence d’une relation salariée ne dépend pas de la dénomination qui en serait donnée dans le contrat, mais bien, des conditions de fait, donc, dans lesquelles est exercée l’activité professionnelle[1].

 

Pour cela, la caractérisation d’un lien de subordination dans une relation est une condition essentielle à l’existence d’un contrat de travail.

 

Ce lien de subordination est défini depuis l’arrêt « Société Générale »[2] comme l’exécution d’un travail, sous l’autorité d’un employeur qui a :

 

  Le pouvoir de donner des ordres et des directives ;

 

  Le pouvoir d’en contrôler l’exécution et ;

 

  Le pouvoir de sanctionner les manquements aux instructions données.

 

A contrario, le travailleur indépendant, est libre de se constituer sa propre clientèle, de fixer ses tarifs ainsi que les conditions d’exécution de sa prestation.

 

Le contrat de travail est contrat synallagmatique à exécution successive ; la rémunération a pour contrepartie une prestation de travail que l’employeur est obligé de fournir.

 

La notion de dépendance économique[3] du collaborateur a toujours été exclue comme unique critère de qualification d’une subordination juridique, elle peut tout au plus constituer un indice.

 

L’ensemble de ses critères toujours rigoureusement appliqué par la Chambre Sociale a permis de s’adapter aux « nouvelles formes » de travail, comme les candidats de télé-réalité[4] par exemple.

 

II – La situation du livreur à vélo par l’arrêt « Take Eat Easy »

 

Dans l’arrêt « Take Eat Easy »[5], la Cour de cassation statuait pour la première fois sur la qualification d’un contrat liant un livreur à une plateforme numérique.

 

Si la Cour d’appel avait relevé l’existence d’un système de gratification/sanction à l’égard du livreur, il ne saurait en résulter l’existence d’un lien de subordination, d’autant que le « coursier » n’était tenu à la plateforme numérique par aucun lien d’exclusivité ou de non-concurrence et qu’il demeurait donc libre de déterminer ses plages horaires de travail, qui caractérisait sa liberté totale de travailler ou non, selon son souhait.

 

La Cour de cassation, avait toutefois censuré ce raisonnement, puisque dans la mesure où il était constaté que la plateforme pouvait à l’aide d’un système de géolocalisation :

 

1. Suivre le travailleur en temps réel ;

 

2. Comptabiliser le nombre de kilomètres parcourus ;

 

3. Sanctionner ou gratifier le courrier ne fonction de ces paramètres.

 

De tels indices étaient de nature à permettre la détermination de l’existence d’un pouvoir de direction et de contrôle de l’exécution de la prestation du travailleur, caractérisant un lien de subordination justifiant une requalification de la relation de travail en contrat de travail.

 

Il fallait déduire de cette décision que la liberté du travailleur n’était qu’illusoire en raison du système de sanction mis en place par la plateforme, pouvant conduire à la déconnection, synonyme de licenciement.

 

Cet arrêt a permis de démarquer plus précisément le statut de travailleur indépendant de celui de travailleur salarié, notamment dans une relation triangulaire où la plateforme est plus qu’un simple intermédiaire.

 

Le juge procède donc à une double qualification : l’intermédiaire devient l’employeur et le travailleur indépendant devient salarié de la société gérant la plateforme.

 

III – L’arrêt UBER

 

Dans l’arrêt commenté, un chauffeur indépendant a saisi la juridiction prud’homale d’une action en requalification de la relation qu’il entretenait avec plateforme UBER, en contrat de travail suite à la désactivation de son compte.

 

L’employeur faisait valoir plusieurs arguments selon lequel un contrat de travail ne pouvait exister ne l’absence de lien de subordination juridique entre le chauffeur et la plateforme, celle-ci n’étant qu’un outil mis à sa disposition.

 

En effet, le chauffeur utilisant l’application pour être mis en relation avec des clients potentiels réalisait une prestation de transport en échange de frais de service.

 

Dans de telles conditions, le chauffeur demeurait libre d’organiser ses courses, puisqu’il n’avait aucune obligation de connexion et d’activité.

 

Le chauffeur n’était par ailleurs soumis à aucune obligation d’exclusivité.

 

Enfin la société considérait qu’il était nécessaire pour garantir la fiabilité du système et notamment de l’algorithme, le respect des règles en matière de sécurité et de qualité, justifiant ainsi les mécanismes de déconnexion temporaire ou d’exclusion de l’application, sans pour autant que soit caractérisé un quelconque pouvoir disciplinaire.

 

Par ailleurs, le chauffeur était auto-entrepreneur et bénéficiait d’une présomption de non salariat, laquelle ne peut être renversée que par la démonstration d’un lien de subordination juridique permanente.

 

Après analyse des éléments de faits lui étant soumis, la cour d’appel constatait dans un premier temps l’impossibilité pour le travailleur d’être indépendant puisque :

 

1. Le chauffeur en intégrant un service de prestation de transport par la signature d’un formulaire d’enregistrement et de partenariat ;

 

2. Ce service entièrement organisé par la société gérante de la plateforme, n’existe que grâce à elle ;

 

3. Son utilisation ne permet pas de constituer sa propre clientèle, de fixer librement ses tarifs et les conditions d’exercice de sa prestation de transport.

 

Dans un second temps, s’agissant des conditions d’exercice de la prestation, le chauffeur :

 

1. Se voyait imposer un itinéraire particulier dont il n’avait pas le choix, sauf à se voir appliquer des corrections tarifaires ;

 

2. Ne pouvait librement choisir la destination finale de la course, qu’il ne connaissait pas toujours, devant respecter les directives de la plateforme.

 

Enfin, la société se réservait le droit de déconnecter temporairement ou définitivement le chauffeur du lien avec la plateforme en cas de refus/annulation de course et d’un taux élevé de signalements pour « comportements problématiques ».

 

Ces méthodes ayant pour effet d’inciter les chauffeurs à rester connectés et donc à se tenir constamment pendant la durée de la connexion à la disposition de l’application, sans pouvoir selon la formule consacrer « vaquer librement à ses occupations », sous peine d’être déconnecté.

 

Il résultait de l’ensemble de ses éléments que le statut du chauffeur indépendant était fictif puisque l’exécution de son travail se faisait sous l’autorité d’un employeur, lequel avait e pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements.

 

La Cour de cassation approuve le raisonnement de la Cour d’appel rejetant les arguments de UBER.

 

Elle précise en outre que les personnes physiques dont l’exécution de l’activité donne lieu à immatriculation sur les registres ou répertoires, peuvent être placées dans un état de subordination juridique, dès lors qu’elles sont contraintes de procéder à cette inscription pour pouvoir devenir partenaire.

 

La liberté pour le chauffeur de choisir ses horaires ne permet pas d’exclure ce lien de subordination, puisque dès qu’il en fait le choix, il doit se conformer aux directives du service qu’il intègre.

 

L’existence d’un lien de subordination est donc reconnue entre la plateforme et ses partenaires, le droit français ne reconnaissant que deux statuts, celui de salarié et celui d’indépendant, à contrario de certains pays européens qui disposent d’un régime intermédiaire.

 

[1] Cass. soc., 17 avril 1991, n° 88-40.121.

 

[2] Soc. 13 nov. 1996, n° 94-13.187

 

[3] Défini comme l’état dans lequel un agent économique a noué l’essentiel de ses relations d’affaires avec une seule entreprise et qui ne dispose pas, en droit ou en fait, de solutions alternatives sur un marché

 

[4] Cass. soc., 3 juin 2009, n°08-40981

 

[5] Soc. 28 novembre 2018, n°17-20.079

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