Dans un arrêt du 12 février 2025, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle qu’en l’absence de stipulations ou dispositions particulières, toute action de même valeur nominale donne droit à un montant de dividendes identique. Cet arrêt permet de rappeler le principe d’égalité des actionnaires issu de l’alinéa 1 de l’article 1844-1 du Code civil, et son exception, les dispositions et stipulations particulières, inscrite à l’alinéa 2 dudit article.

Source : Cass. Com., 12 février 2025, 23-16.179, Publié au bulletin

I – Faits et procédure

Le 3 février 2014, le demandeur au pourvoi, la société ABC arbitrage (ci-après « ABC ») devient titulaire d’actions de la société Schneider Electric SE (ci-après « Schneider »), société dont les titres sont admis aux négociations sur Euronext Paris. Les titres en question étaient issus de levées d’option sur titres consenties par Schneider à certains de ses salariés.

Le 6 mai de la même année est décidée une distribution de dividendes par l’assemblée générale mixte de Schneider, soit 1,87 € par action au titre de l’exercice 2023. Schneider refuse de verser les dividendes à ABC. Il faut ici préciser que le dividende distribué était prélevé sur un report à nouveau et sur des primes d’émission.

ABC assigne Schneider en réparation de son préjudice financier d’un montant qu’elle évalue à la somme de 309.059,39 €.

La Cour d’appel de Versailles, dans son arrêt du 14 mars 2023, rejette la demande d’ABC. Mais dans l’arrêt à l’étude, la Haute Cour casse l’arrêt au visa de l’article 1844-1 du Code civil et du principe selon lequel chaque action d’une valeur nominale identique d’une société anonyme donne droit au même montant de dividendes.

II – Pas de privation du droit à dividendes sans stipulation ou disposition particulière

Pour rejeter la demande d’ABC, qui invoquait notamment le principe d’égalité des actionnaires issus des articles 1832 et 1844-1 du Code civil, la cour d’appel retenait que les actions nouvelles en possession d’ABC étaient différentes des titres ordinaires et n’ouvraient pas les mêmes droits car elle relevait une différence de ligne de cotation et établissait l’absence de droit aux réserves en raison du prix auquel se négociaient les actions nouvelles.

En d’autres termes, la Cour d’appel de Versailles relevait que les titres détenus par ABC :

  • Etaient inscrits sur une ligne de cotation différente des titres ordinaires, avec un code ISIN distinct ;
  • Se négociaient à un prix moindre que les titres ordinaires (en l’espèce sur la période d’avril et mai 2014) ;
  • Provenaient de stock-options, soit d’une option d’achat d’actions dont les bénéficiaires étaient les salariés.

Dès lors, elle en déduisait que les titulaires de ces actions nouvelles détenues par ABC étaient privés de leur droit de bénéficier des distributions de réserve et des primes d’émission et que devait s’établir une distinction entre les titres détenus par ABC et les titres Schneider ordinaires et un droit aux dividendes différent.

La Cour de cassation ne suit pas ce raisonnement. Comme le relève cette dernière, seule l’existence de dispositions ou de stipulations permettrait de priver les titulaires d’une action de leur droit au dividende décidé par l’assemblée générale mixte. En l’espèce, la cour d’appel n’établit pas de telles dispositions ou stipulations et prive donc de base légale sa décision de rejeter la demande d’ABC de se voir réparer le préjudice financier, cette dernière aurait dû percevoir un dividende identique à celui perçu par les titulaires de titres Schneider ordinaires.

III – Pour aller plus loin

Selon l’article 1844-1 du Code civil : « La part de chaque associé dans les bénéfices et sa contribution aux pertes se déterminent à proportion de sa part dans le capital social et la part de l’associé qui n’a apporté que son industrie est égale à celle de l’associé qui a le moins apporté, le tout sauf clause contraire.

Toutefois, la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l’exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes sont réputées non écrites. »

Il est donc possible de prévoir que certaines actions donnent droit à la perception de dividendes plus importants, on pense ici plus particulièrement aux actions de préférence qui peuvent conférer à leurs titulaires de bénéficier de prérogatives patrimoniales, telles que des avantages relatifs à la perception des dividendes, et des prérogatives extra-patrimoniales telles que des droits de vote différents (pas de droit de vote du tout ou un droit de vote supérieur).

Cependant, conformément à l’alinéa 2 de l’article précité, il ne sera pas possible d’attribuer au titulaire d’actions la perception de la totalité des dividendes ni de l’empêcher de percevoir tout bénéfice. Est ainsi née la pratique d’une attribution de la quasi-totalité des bénéfices pour un unique associé et le débat sur le caractère léonin d’une clause attribuant à celui-ci 99 % des produits sociaux, on pense ici à la financiarisation des professions réglementées dont le sujet pourrait faire l’objet d’un article Chronos autonome.

Enfin, il est intéressant de noter qu’en l’espèce, la distribution a été votée lors d’une assemblée générale mixte, c’est-à-dire une assemblée générale ordinaire et exceptionnelle, et concernait des dividendes prélevés sur un report à nouveau et sur des primes d’émission, soit des distributions exceptionnelles.

Sur ce sujet de la décision de distributions exceptionnelles des dividendes, de récents arrêts de la Cour d’appel de Paris et de la Cour de cassation se sont opposés quant à l’assemblée générale disposant du pouvoir de décider leur distribution.

Pour la Cour d’appel de Paris dans son arrêt du 30 janvier 2025[1], la distribution de dividendes prélevés sur les comptes de report à nouveau et réserves est possible par n’importe quelle assemblée générale ultérieure à celle d’approbation des comptes concernés. La Cour de cassation va la contredire moins de deux semaines plus tard, le même jour que l’arrêt ici à l’étude soit le 12 février 2025[2] : seule l’assemblée d’approbation des comptes du dernier exercice clos, l’AGOA, a la faculté de décider la distribution de dividendes prélevés sur le compte de report à nouveau, mais ici l’arrêt ne concernait que les reports à nouveau et non les primes. Il y a cependant fort à parier que le sort des primes soit identique. Dans tous les cas, il sera conseillé de procéder aux éventuelles distributions de dividendes prélevés sur les comptes de report à nouveau et de primes d’émission lors de l’assemblée générale d’approbation des comptes.


[1] Cour d’appel de Paris, 30 janvier 2025, n° 22/17478

[2]  Cass. Com., 12 févr. 2025, n° 23-11.410

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