Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 9 octobre 2025, 23-20.446, Publié au bulletin
Le délai de la garantie décennale, tel que prévu par l’article 1792-4-1 du code civil, constitue un délai de forclusion et non un délai de prescription classique (Cass. 3e civ., 17 oct. 2024, n° 23-13.305). Contrairement à l’ancien régime, sous l’empire de l’article 2270 du code civil, la reconnaissance non équivoque de responsabilité par le constructeur ou l’exécution de travaux de reprise pouvait interrompre le délai décennal (Cass. 3e civ., 4 déc. 1991, n° 90-13.461 ; Cass. 3e civ., 12 juill. 1995, n° 93-13.334 ; Cass. 3e civ., 10 juill. 2002, n° 01-02.243).
Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, la combinaison des articles 2220 et 2240 du code civil exclut toute interruption du délai de forclusion par une reconnaissance de responsabilité, même si le sinistre se manifeste avant la réforme et que la reprise des désordres intervient après le 19 juin 2008 (Cass. 3e civ., 10 juin 2021, n° 20-16.837 ; Cass. 3e civ., 17 oct. 2024, n° 23-13.305).
Faits
Un maître de l’ouvrage confie, en 2005, la construction d’une fosse à lisier en béton surmontée de caillebotis et de logettes pour bovins. Les travaux sont réceptionnés et réglés la même année. En 2012, le constructeur intervient pour reprise des désordres, posant une bordurette en béton afin de stabiliser les dalles.
En 2018, un effondrement du mur porteur survient, entraînant la chute des logettes et caillebotis dans la fosse et la perte de partie du cheptel. Le maître de l’ouvrage assigne alors le constructeur et son assureur en indemnisation.
Procédure et solution
La cour d’appel déclare l’action forclose, estimant que la reprise de 2012 ne constitue pas une reconnaissance interrompant le délai décennal. Le point de départ du délai reste fixé à la réception des travaux initiaux de 2005. L’assignation en 2018 intervient donc après l’expiration du délai de dix ans.
Le maître de l’ouvrage soutient que la loi du 17 juin 2008, notamment son article 26, ne visait que la modification de la durée des délais de prescription et ne remettrait pas en cause l’interruption par reconnaissance de responsabilité pour les situations antérieures. Il reproche également à la cour d’appel de ne pas avoir examiné si la reprise des désordres en 2012 pouvait être assimilée à une telle reconnaissance.
La Cour de cassation rejette le pourvoi, rappelant que :
- depuis la réforme de 2008, le délai décennal de forclusion ne peut plus être interrompu par une reconnaissance de responsabilité ou des travaux de reprise, sauf disposition expresse contraire (Cass. 3e civ., 10 juin 2021, n° 20-16.837) ;
- l’article 26 de la loi de 2008 ne concerne que la modification de la durée des délais et non les causes d’interruption ou de suspension ;
- l’application immédiate de la loi nouvelle est conforme au principe de non-rétroactivité (Cass. ch. mixte, 13 mars 1981, n° 80-12.125).
En conséquence, même si la reprise des désordres est intervenue après l’entrée en vigueur de la réforme, le délai décennal commencé avant 2008 n’est pas interrompu et l’action introduite après dix ans est irrecevable.
Observations jurisprudentielles
- Avant 2008 : la Cour de cassation considérait que toute reconnaissance claire de responsabilité du constructeur, ou tout engagement à réparer les désordres, interrompait le délai décennal (Cass. 3e civ., 4 déc. 1991 ; 12 juill. 1995 ; 10 juill. 2002).
- Après 2008 : la Haute juridiction distingue désormais la prescription civile classique de la forclusion décennale et exclut toute interruption par des actes de reconnaissance ou travaux de reprise (Cass. 3e civ., 10 juin 2021 ; 17 oct. 2024).
- Difficultés transitoires : la jurisprudence précise que l’application immédiate de la loi s’impose même lorsque les travaux ont été exécutés avant la réforme et repris après, afin de garantir la sécurité juridique et éviter un effet rétroactif sur les droits acquis (Cass. ch. mixte, 13 mars 1981).
Cette décision confirme que la reprise des désordres par le constructeur n’a plus d’effet interruptif sur le délai décennal, ce qui marque un renforcement de la sécurité des délais et une distinction nette avec l’ancien régime.

