Après l’annonce de l’augmentation des tarifs réglementés de l’électricité à compter du 1er août 2023, la newsletter CHRONOS propose à ses lecteurs un article « zoom » consacré spécifiquement aux clauses de refacturation des consommations d’électricité du locataire commercial, du bailleur sur le preneur, et à leur licéité au regard du principe dit de monopole de la distribution publique d’électricité.
SOURCES : Articles L331-1, L333-1, L345-1, L345-2, L345-3 et L345-4 du Code de l’énergie – Article L145-40-2 du Code de commerce
L’augmentation des tarifs réglementés de l’électricité (10% à compter du 1er août 2023), principalement liée à l’augmentation du prix et du risque d’un arrêt des importations de gaz russe, ainsi qu’à la production réduite d’énergie nucléaire, constitue une nouvelle aggravation des charges d’exploitation qui pèsent sur les locataires commerciaux. A cet égard, la newsletter CHRONOS se propose de réserver un article dédié aux clauses de refacturation d’électricité, susceptibles de faire naître des conflits entre bailleurs et preneurs commerciaux.
I – Le cadre légal de la refacturation d’électricité
Lecteurs Chronos, à vos baux ! En matière de clauses de refacturation, certains baux commerciaux organisent contractuellement un remboursement au bailleur, par le locataire, du coût de sa propre consommation d’électricité afférente à son lot consenti à bail. Lorsque l’immeuble dont partie donné à bail en en copropriété, les baux prévoient également de manière classique, la refacturation des consommations électriques afférentes aux parties communes sous la forme d’une quote-part.
En dehors de l’hypothèse des parties communes, les consommations afférentes aux parties privatives peuvent être refacturées selon deux modalités différentes : au réel (hypothèse d’un compteur propre) ou au forfait (application d’un pourcentage lié à la surface privative dont le locataire a la jouissance).
La licéité de ce type de clause, est en réalité soumise à un cadre légal extrêmement cadré tant par les textes que par la jurisprudence, dont il faut en apprécier la portée.
La rétrocession, quésaco ? Il y a nécessairement rétrocession dès lors qu’une personne ne peut avoir directement accès au réseau public d’électricité, mais est obligée de se fournir auprès d’un client du réseau qui cède l’énergie qu’il a ainsi payée et lui facture cette prestation, y compris par le biais d’un forfait.
Cette rétrocession imposée au consommateur final (en l’espèce le locataire) lui cause un préjudice : Le plus souvent, le forfait dont il est réclamé le paiement, excède ce qu’il aurait payé au fournisseur agréé sur la base de sa consommation réelle. D’autre part et surtout, la rétrocession fait obstacle à son droit de choisir librement son fournisseur, pour sa propre consommation, ainsi qu’il résulte des dispositions de l’article L331-1 du Code de l’énergie :
« Tout client qui achète de l’électricité pour sa propre consommation ou qui achète de l’électricité pour la revendre a le droit de choisir son fournisseur d’électricité ».
Si la revente d’électricité achetée à un prix de marché à un fournisseur librement choisi est autorisée, toute personne qui achète de l’électricité pour la revendre à un consommateur final (c’est-à-dire celui qui la consomme lui-même) doit être titulaire d’une autorisation d’achat pour revente définie à l’article L333-1 du Code de l’énergie.
A l’inverse, la revente d’électricité achetée à un tarif réglementé est formellement prohibée.
Il résulte de ce qui précède, que le consommateur final est en droit d’exiger un comptage individuel de sa consommation, a minima par la pose d’un sous-compteur si la configuration du site ne se prête pas au raccordement direct d’un compteur au réseau.
Tout cela s’inscrit dans un principe dite de monopole de la distribution publique illustré par un arrêt dite Valsophia[1], qui prohibe purement et simplement le raccordement indirect du consommateur final, c’est-à-dire le raccordement des derniers consommateurs (locataires) aux réseaux publics de distribution via les installations privatives d’un tiers (bailleur).
D’un point de vue sémantique, il y a lieu de distinguer au sens de l’article 1er de la directive européenne 2009/72/CE :
- La distribution d’électricité qui concerne le transport d’électricité sur des réseaux de distribution à haute, à moyenne et à basse tension aux fins de fourniture à ses clients, mais ne comprenant pas la fourniture ;
- La fourniture d’électricité, c’est-à-dire la vente, y compris la revente, à des clients :
- Client grossiste : personne physique ou morale qui achète de l’électricité pour la revendre à l’intérieur ou à l’extérieur du réseau où elle est installée ;
- Client final : client qui achète de l’électricité pour sa consommation propre.
La distribution d’électricité est un monopole légal. Autrement dit, un client ne saurait en principe gérer un réseau de distribution, car il violerait les droits exclusifs dont bénéficie le concessionnaire dans la zone de desserte.
A cet égard, chaque consommateur final doit disposer de son propre raccordement en réseau public de distribution, c’est-à-dire son propre compteur d’électricité posé par le gestionnaire de réseau de distribution électricité constituant un bien de retour de la concession qui lui permet de choisir son propre fournisseur d’électricité conformément à l’article L331-1 du Code de l’énergie.
II – Les exceptions
Il n’aura certainement pas échappé aux lecteurs avertis, que les textes et la jurisprudence précités, contrarient les dispositions de l’article L145-40-2 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi dite « Pinel » qui autorise l’inclusion de la refacturation de charges communes d’électricité.
Cependant, et comme son nom l’indique, il s’agit de charges récupérables affectées à l’utilisation des parties communes qui induit nécessairement, un point de livraison unique au bénéfice de l’ensemble des consommateurs.
La solution est bien entendue différente s’agissant d’une fourniture d’électricité pour les parties privatives, lesquelles doivent pouvoir bénéficier des articles L.345-3 et L.345-4 du Code de l’Energie citées pour extrait :
« (…) le raccordement d’un utilisateur à un réseau intérieur d’un bâtiment ne peut faire obstacle à l’exercice par un consommateur des droits relatifs au libre choix de son fournisseur (…) ».
A cet égard, la loi du 30 décembre 2017[2] a créé les réseaux intérieurs des bâtiments définis à l’article L345-1 du Code de l’énergie comme des : « (…) installations intérieures d’électricité à haute et basse tension des bâtiments (…) », lesquelles ne peuvent être installées selon les dispositions de l’article L345-2 du même Code uniquement : « Dans les immeubles à usage principal de bureaux qui appartiennent à un propriétaire unique ».
L’article précise également que :
« Ne peuvent être qualifiées de réseaux intérieurs les installations électriques alimentant :
– Un ou plusieurs logements ;
– Plusieurs bâtiments non contigus ou parties distinctes non contiguës d’un même bâtiment ;
– Un bâtiment appartenant à plusieurs propriétaires ».
Dans l’hypothèse d’un réseau intérieur d’électricité, un dispositif de décompte de la consommation ou de la production d’électricité doit être installé par le gestionnaire du réseau public permettant ainsi au consommateur final de choisir librement son fournisseur d’électricité.
Pour les lots se prêtant difficilement à un comptage individualisé de la consommation (hypothèses exclues du champ d’application des réseaux intérieurs), il appartiendra aux juridictions de se positionner clairement sur la recevabilité des clauses de rétrocession d’électricité, à défaut de décision à notre connaissance.
[1] Cass. com, 4 septembre 2018, n°17-13015, Inédit
[2] Loi n°2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement