Doctrine fiscale : précisions importantes sur le régime de TVA applicable à certaines indemnités en matière de baux commerciaux

Alexandre BOULICAUT
Alexandre BOULICAUT - Juriste

A la suite d’une consultation publique initiée le 11 mai 2022 et qui s’est achevée le 31 juillet 2022, l’Administration fiscale est venue apporter des précisions doctrinales importantes et bienvenues, sur le régime de TVA applicable aux subventions et indemnités, dont certaines intéressent directement la matière des baux commerciaux. Tour d’horizon dans le présent commentaire.

SOURCE : BOI-TVA-BASE-10-10-50

La quintessence de la position doctrinale de l’Administration fiscale est à chercher dans ses publications au sein du Bulletin Officiel des Finances publiques (BOFiP – ex Bulletin Officiel des Impôts), qui constitue une base documentaire unique à la disposition des contribuables. Depuis le 12 septembre 2012, cette base constitue le support de diffusion dématérialisé de l’ensemble de la doctrine fiscale opposable par le contribuable à l’Administration, et se substitue aux Bulletins Officiels des Impôts (BOI).

Sur ce point, le Bulletin d’information BOI-TVA-BASE-10-10-50-28/12/2022 en date du 28 décembre 2022, apporte des précisions très intéressantes et bienvenues sur le régime de TVA applicable à l’indemnité de résiliation anticipée d’un bail commercial (I), àl’indemnité de remise en état et à l’indemnité d’immobilisation du bien objet du bail pour la période des travaux (II), à l’indemnité d’éviction (III), à l’indemnité d’occupation illégale fixée par une clause pénale (IV) et à l’indemnité fixée par le juge au titre d’une indemnité d’occupation (V).

I – Indemnité de résiliation anticipée d’un bail commercial versée par l’une ou l’autre des parties

La position du Conseil d’État en matière d’assujettissement ou non de l’indemnité de résiliation anticipée d’un bail commercial est la suivante : lorsque le versement de l’indemnité a pour contrepartie la libération des locaux permettant au bailleur de recouvrer la disposition de son bien, le preneur doit être regardé comme rendant un service au bailleur, présentant un lien direct avec le versement de l’indemnité, et l’indemnité est soumise à TVA[1].

Il s’agit de la stricte application des dispositions de l’article 256 du Code général des impôts, au visa desquelles :

« I. – Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel.

(…) ;

IV. – 1° Les opérations autres que celles qui sont définies au II, notamment la cession ou la concession de biens meubles incorporels, le fait de s’obliger à ne pas faire ou à tolérer un acte ou une situation, les opérations de façon, les travaux immobiliers et l’exécution des obligations du fiduciaire, sont considérés comme des prestations de services ;

(…) ».

Nuance toutefois : ne serait pas assujetti à la TVA, le versement d’une indemnité qui aurait pour seul objet, eu regard notamment aux modalités dont les parties étaient convenues pour assurer l’équilibre économique du contrat de compenser le préjudice lorsqu’il est mis fin unilatéralement par le preneur au service de location[2].

La nuance est fine, mais elle a le mérite d’exister et doit être précisée.

A rebours de la jurisprudence administrative du Conseil d’État précédemment décrite, l’Administration fiscale fait sienne la position doctrinale de la Cour de justice de l’Union Européenne dégagée dans son arrêt du 15 décembre 1993[3] saisie à titre préjudiciel sur l’interprétation d’un article d’une directive européenne du 17 mai 1977 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires.

Plus particulièrement, la Cour était saisie dans le cadre d’un litige opposant une firme d’experts-comptables à l’administration fiscale britannique au sujet de l’assujettissement à la TVA d’une indemnité perçue par la firme d’experts-comptables à l’occasion de la résiliation anticipée d’un bail commercial.

La Cour avait jugé dans son arrêt du 15 décembre 1993 que les dispositions de l’article litigieux permettant aux États membres de prévoir des exclusions supplémentaires du champ de l’exonération établie pour la location de biens immeubles, ne les habilitaient pas à taxer l’indemnité versée par l’une des parties à l’autre, à l’occasion de la résiliation conventionnelle, alors que les loyers versés en exécution du bail étaient exonérés de la TVA.

L’objectif poursuivi par la Cour consistait à harmoniser et aligner le régime de l’exonération des indemnités de résiliation assujetties à TVA sur celui des loyers, afin de ne pas pénaliser le bailleur qui avait décidé de ne pas opter pour la TVA et ne pouvait donc déduire la TVA grevant ladite indemnité.

Dans son Bulletin d’information en date du 28 décembre 2022, l’Administration fiscale précise dans un premier temps, que les indemnités de résiliation anticipée des baux commerciaux constituent la contrepartie d’un service dès lors qu’elles rémunèrent la renonciation de l’une ou l’autre des parties à son droit d’occuper le bien (preneur) ou de percevoir le loyer (bailleur). On retrouve ici la position du Conseil d’État dégagée dans son arrêt, certes inédit, du 3 juillet 2019.

Dans un second temps, et  à l’aune de l’apport doctrinal de l’arrêt du 15 décembre 1993 précité, l’Administration fiscale apporte les précisions suivantes qui constituent la quintessence de son apport doctrinal :

  • Envisagée du côté preneur : l’indemnité de résiliation anticipée du bail versée au locataire, est exonérée de TVA lorsque les loyers ne sont pas soumis à TVA, ou le preneur est non assujetti à la TVA et même si le loyer est taxable à la TVA. A l’inverse, l’indemnité versée au preneur est soumise à TVA si le loyer est soumis à TVA et pour autant que le preneur soit lui-même effectivement assujetti à TVA.
  • Envisagée du côté bailleur : Seule entrerait dans le champ d’application de la TVA, la somme dont le paiement prévu en cas de résiliation anticipée du contrat de bail aurait pour finalité d’assurer l’équilibre économique du contrat, pour autant que le loyer soit soumis à TVA. En dehors de cette hypothèse, l’indemnité versée au bailleur serait exonérée de TVA.

Cette position doctrinale mériterait d’être confrontée avec le droit prétorien de la Haute juridiction administrative.

II – L’indemnité de remise en état des locaux – et d’immobilisation du bien pendant la période des travaux de remise en état

Il s’agit de l’hypothèse dans laquelle le preneur est tenu contractuellement de restituer les locaux objets du bail dans leur état primitif. L’administration fiscale considère que les sommes perçues par le bailleur en contrepartie accordée au preneur de se libérer de son obligation de remise en état des locaux, dont la finalité est de libérer le preneur de son obligation contractuelle, doit s’analyser comme une prestation de services qui consiste pour le bailleur à se substituer au preneur pour la réalisation de ces travaux. Dès lors, cette indemnité est taxable, que le loyer soit ou non soumis à TVA et peu importe que les travaux soient ou non réalisés.

L’Administration précise également que l’indemnité d’immobilisation du bien objet du bail pendant la période des travaux et intégrée par le bailleur dans le calcul de l’indemnité de remise en état, suit le même régime au regard de la TVA.

III – L’indemnité d’éviction

L’administration fiscale conclut à l’exonération de l’indemnité d’éviction prévue à l’article L145-14 du Code de commerce, au regard de la TVA.

IV – L’indemnité fixée par une clause pénale

L’indemnité d’occupation illégale fixée par une clause pénale du bail dans les hypothèses où l’occupant sans droit ni titre ne se conforme pas à son obligation de quitter les lieux, lorsque, compte-tenu des circonstances de l’affaire, aucune prestation de service ou de livraison du bien ne constitue leur contrepartie, n’est pas soumise à TVA.

V – L’indemnité fixée par le juge judiciaire et versée à titre d’occupation illégale

Les indemnités d’occupation dues en cas de maintien dans les lieux sans droit ni titre, qui visent seulement à compenser le préjudice causé au propriétaire des locaux, ne constituent pas la contrepartie d’une prestation de services à titre onéreux passible de la TVA[4]


[1] En ce sens, CE 27 février 2015, req n°368661

[2] En ce sens, CE 20 mars 2013, n°346990

[3] CJUE, 15 décembre 1993, Aff C-63/92, Lubbock Fine & Co

[4] En ce sens, CE 30 mai 2018, req n°402447

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