Décret Tertiaire du 23 juillet 2019 : Quels sont les bâtiments concernés ?

Equipe VIVALDI
Equipe VIVALDI

SOURCES : Décret n°2019-771 du 23 juillet 2019 relatif aux obligations d’actions de réduction de la consommation d’énergie dans des bâtiments à usage tertiaire et l’Article L.174-1 nouveau du code de la construction et de l’habitation

 

Plus précisément, l’article L.174-1 dudit code prévoit en son I- que sont concernés les bâtiments « existant à la date de publication de [La loi Elan] ». Très bien dirons certaines personnes avisées et averties, mais qu’est-ce qu’un « bâtiment existant » diront d’autres ? Le problème est qu’aucun texte normatif ne définit cette notion. Nous allons tenter d’y apporter quelques éclaircissements.

 

I – Le Décret Tertiaire : Késako ?

 

Nous avons tous et toutes en tête la phrase du Président Chirac prononcée en ouverture de son discours devant l’assemblée plénière du IVème Sommet de la Terre du 2 septembre 2002 en Afrique du Sud : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ».

 

Cette phrase trouve un écho encore plus fort depuis le début de XXIème siècle tant la question climatique devient urgente et préoccupante.

 

En France, la loi 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, dite « loi Grenelle I », a fixé des objectifs nationaux en matière de politique environnementale, en définissant notamment un calendrier et les objectifs de la réduction des consommations d’énergie dans le secteur du bâtiment. Déjà à l’époque, l’Etat incitait les bailleurs et les locataires à engager une concertation afin de déterminer notamment les modalités de partage des économies d’énergie réalisées grâce à des travaux permettant de réaliser des économies.

 

Conscient que le secteur tertiaire a un rôle prépondérant à jouer dans l’atteinte des objectifs fixés par la loi Grenelle I, le législateur a modifié certains articles du code de la construction et de l’habitation, de manière à imposer à certains bâtiments du secteur tertiaire des objectifs de réduction de consommation d’énergie.

 

Pris en application de l’article L.111-10-3 ancien du code de la construction et de l’habitation, aujourd’hui devenu l’article L.174-1 du même code, un décret en Conseil d’Etat du 23 juillet 2019[1], dit Décret Tertiaire, détermine les objectifs de consommation énergétique dans les années à venir.

 

Les objectifs de consommation d’énergie à respecter par décennie sont les suivants : un objectif de réduction de 40% d’ici 2030, 50% d’ici 2040 et 60% d’ici 2050, le tout par rapport à une consommation énergétique de référence ne pouvant être antérieure à 2010, soit en fonction d’autres normes réglementaires[2].

 

Ambitieux dans ses objectifs, le législateur a souhaité instituer une obligation d‘informations réciproques entre preneur et bailleur : « Les propriétaires et les preneurs à bail se communiquent mutuellement les consommations annuelles énergétiques réelles de l’ensemble des équipements et des systèmes dont ils assurent respectivement l’exploitation »[3]. Cette disposition est à mettre en parallèle avec celle du code de l’environnement selon laquelle bailleur et preneur se communiquent « mutuellement toutes informations utiles relatives aux consommations énergétiques des locaux loués »[4].

 

Cette obligation de collaboration se matérialise dans l’obligation faite au bailleur, et le cas échéant au preneur de déclarer, chaque année à partir de 2022, et au plus tard le 30 septembre, à la plateforme informatique OPERAT gérée par l’ADEME, les données de consommation permettant d’assurer le suivi de l’obligation de réduction des dépenses énergétiques. A titre non exhaustif, les données pourront porter sur l’activité ou les activités tertiaires exercées, la surface des locaux, les consommations annuelles par type d’énergie…Ce sont ces données qui vont permettre l’exploitation, sous la forme d’une restitution et d’une analyse comparative, de la performance énergétique du ou des bâtiments.

 

Toutefois, à travers cette communication d’informations du preneur vers le bailleur, transparaît la problématique de la collecte des données, propriété du preneur. CHRONOS conseille, en cas de rédaction d’une clause environnementale, de mentionner que le bailleur « s’interdit de les utiliser à des fins autres que le renseignement de la plateforme OPERAT, ou de toute plateforme qui pourrait être substituée, et l’établissement d’actions communes ».

 

II – Qui finance les éventuels travaux de réduction de la consommation énergétique ?

 

Dans le but d’atteindre les objectifs précités, le preneur peut être contraint de réaliser des travaux. Se pose alors, inévitablement, la question de la charge des travaux : A qui incomberont lesdits travaux ?

 

Selon CHRONOS, il n’est pas possible, en l’état du droit positif de transférer la totalité de la charge sur le preneur, et pour plusieurs raisons :

 

  En premier lieu, les dispositions de l’article R.145-35 du code de commerce qui laissent à la charge du bailleur les gros travaux liés au changement de la réglementation ;

 

  En second lieu, le droit prétorien, illustré par deux arrêts de la troisième chambre civile de la Cour de cassation rendus respectivement le 9 juillet 2008[5] et le 20 janvier 2009[6] qui déclarent inopposables au preneur les clauses opérant un transfert total des frais de mise aux normes des locaux du bailleur.

 

Au regard de ce qui précède, CHRONOS estime que les travaux devront être ventilés entre ceux qualifiés de gros travaux et les autres :

 

  S’agissant des gros travaux, depuis la loi Pinel du 14 juin 2014, le code de commerce interdit expressément au bailleur de laisser à la charge du locataire les dépenses relatives aux grosses réparations de l’article 606 du code civil[7];

 

  S’’agissant de travaux à la charge du preneur, seuls pourraient rester à charge les travaux liés à son activité (changement de toutes les lampes à incandescence par des leds, un changement de ses machines les plus énergivores etc), puisque sommes toutes, la consommation tient au fait de l’immeuble mais également à l’activité du preneur.

 

Notre développement précédant s’applique à tout local en monopropriété. Toutefois, dans le cadre d’une copropriété, lorsque les travaux concernent les parties communes, CHRONOS considère que bailleur devra demander à ce que soit inscrit à l’ordre du jour tout projet de travaux. C’est le cas de travaux affectant le parc de stationnement, le système de chaufferie etc.. D’un point de vue opérationnel, on pourrait imaginer que le syndic renseigne la plateforme OPERAT les données sur le bâtiment (référence des points de livraison des réseaux de distribution d’énergie) alors que le bailleur, et le cas échéant le preneur, renseigne quant à lui les consommations énergétiques correspondantes.

 

III – Quels sont les bâtiments concernés ?

 

Tout d’abord, le décret s’applique :

 

  Aux activités tertiaires, c’est-à-dire aux activités économiques qui ne relèvent pas du secteur primaire ou du secteur secondaire. Cela peut être des activités de bureaux professionnels, des commerces, des établissements d’enseignements, des établissements de santé, des locaux sportifs, des entrepôts etc …

 

  Aux Activités marchandes ou non marchandes

 

En second lieu, sont également assujettis au Décret Tertiaire [8]:

 

  Tout bâtiment hébergeant exclusivement des activités tertiaires sur une surface de plancher supérieure ou égale à 1 000 m2 ; les surfaces de plancher consacrées, le cas échéant, à des activités non tertiaires accessoires aux activités tertiaires sont prises en compte pour l’assujettissement à l’obligation ;

 

  Toutes parties d’un bâtiment à usage mixte qui hébergent des activités tertiaires sur une surface de plancher cumulée supérieure ou égale à 1 000 m2 ;

 

  Tout ensemble de bâtiments situés sur une même unité foncière ou sur un même site dès lors que ces bâtiments hébergent des activités tertiaires sur une surface de plancher cumulée supérieure ou égale à 1 000 m2.

 

Sont en revanche exclus :

 

  Les constructions ayant donné lieu à un permis de construire à titre précaire mentionné à l’article R. * 433-1 du code de l’urbanisme ;

 

  Les bâtiments, parties de bâtiments ou ensembles de bâtiments destinés au culte ;

 

  Les bâtiments, parties de bâtiments ou ensembles de bâtiments dans lesquels est exercée une activité opérationnelle à des fins de défense, de sécurité civile ou de sûreté intérieure du territoire.

 

En revanche, et c’est là l’objet de cet article CHRONOS, l’article L.174-1 du code de la construction et de l’habitation prévoit en son I- que sont concernés les bâtiments « existant à la date de publication de [La loi Elan] ».

 

Toute la difficulté est que ni l’article L.111-10-3 ancien du code de la construction et de l’habitation, ni l’article L.174-1 qui le remplace ne définissent ce qu’est un bâtiment existant, notion qui est également absente dans le code civil, puisque l’article 517 classe dans les immeubles par nature les bâtiment sans aborder leur notion d’existence, ou même dans le code de l’environnement ou le code de l’urbanisme.

 

En l’absence de définition légale ou réglementaire, cette définition incombera au juge du fond d’abord, puis la Cour de cassation ensuite, de sorte qu’il n’est possible en l’état que de procéder à une approche normative qui devra être nécessairement confrontée avec le droit prétorien.

 

La seule piste susceptible d’être suivie est celle de l’article 257 du code général des impôt qui assimile à un ouvrage neuf, les constructions nouvelles ou les travaux portant sur des immeubles existants. Encore que la référence est une fois de plus malheureuse puisqu’un immeuble caractérise aussi bien un terrain, un immeuble par destination ou un bâtiment. Il est évident au cas qui nous préoccupe que le texte faisait référence plus spécialement au bâtiment existant.

 

Cette distinction entrainant ou pas l’application de la TVA, il n’est pas étonnant que les juridictions administratives ont été amenées à se prononcer sur la définition de bâtiment existant. Ainsi, la Cour administrative d’appel de Marseille[9] a-t-elle jugée que constituait un bâtiment existant un ouvrage muni des éléments essentiels du gros œuvre, à savoir murs extérieurs, murs porteurs, charpente, toiture.

 

Plus précis, le Conseil d’Etat dans une décision du 20 mars 2013[10] a considéré qu’un bâtiment existant se caractérisant par la constatation d’un clos et d’un couvert.

 

Il s’infère de ce qui précède que l’application ou non du décret tertiaire ne dépendra pas, selon CHRONOS, de la date de livraison du bâtiment mais de la date à laquelle celui-ci a été considéré comme clos et couvert lors des opérations de construction.

 

Bien entendu, à ce stade de notre article, nous souhaitons rappeler que ce raisonnement est issu des juridictions administratives auxquelles les juridictions judiciaires ne sont absolument pas liées.

 

Nous sommes donc dans l’attente d’une définition prétorienne issue des juridictions judiciaires qui, pour l’heure, se fait attendre.

 

[1] Décret n°2019-771 du 23 juillet 2019 relatif aux obligations d’actions de réduction de la consommation d’énergie dans des bâtiments à usage tertiaire

 

[2] Article L.174-1 du code de la construction et de l’habitation

 

[3] Ancien article R.131-41-1 du code de la construction et de l’habitation, nouvel article R.174-28 du même code

 

[4] Article L.125-9 du code de l’environnement

 

[5] Cass. civ 3ème , 9 juillet 2008, n°07-14.631 FS-P+B+R+I

 

[6] Cass. civ 3ème,  20 janvier 2009, n°07-20.854

 

[7] Article R.145-35, 1° du code de commerce

 

[8] Ancien article R.131-38 du code de la construction et de l’habitation, article R.174-22

 

[9] CAA de Marseille, chambre 1ère, 10 décembre 1998, n°97MA00527

[10] CE, 1ère / 6ème SSR, 20/03/2013, n°350209

 

Alexandre Boulicaut

 

Vivaldi-Avocats

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