Loi du 14 novembre 2020 – « impunité » pour non-paiement des loyers et charges en période de fermeture administrative

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

SOURCES :

 

LOI n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire, article 14.

 

Absentes du projet de loi du 21 octobre 2020 consacré à la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et à la gestion de la crise sanitaire (donc tant de l’étude d’impact[1] que de l’avis du Conseil d’Etat[2]), les mesures tendant à protéger le locataire professionnel des conséquences du non-paiement des loyers et charges du bail, ont été introduites par un amendement n°119 du Gouvernement, avant d’être consacrées à l’article 6 du projet de loi, puis 14 de la Loi du 14 novembre 2020.

 

Ce nouveau dispositif rappelle le décret n°2020 – 316 du 25 mars 2020 (d’abord consacré aux TPE – PME avant d’être étendu à la majorité des entreprises par décret n°2020-757 du 20 juin 2020 commenté le 2 juillet dernier dans votre newletter Vivaldi-chronos[3] ), dont il s’inspire tout en tentant de combler les failles et de répondre aux critiques alors proférées.

 

L’ambition du texte serait, selon les débats parlementaires, de parvenir à un équilibre des intérêts des parties, c’est-à-dire évidement protéger ceux du preneur « tout en préservant les intérêts des bailleurs », les preneur étant notamment informellement invités à utiliser le fonds de solidarité, porté à 10.000 € pour « honorer au moins une partie de leurs loyers »[4].

 

I – Bénéficiaires du dispositif

 

Ce nouveau dispositif concerne toujours (§ I) les personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique affectée par une mesure de police administrative (fermeture totale ou ouverture règlementée par une mesure de police administrative[5]) remplissant trois critères d’éligibilité à définir par décret portant sur :

 

1. Un seuil maximum d’effectif (il était de 10 salariés sous le précédent dispositif, avant d’être supprimé) ;

 

2. Un seuil maximum de chiffre d’affaires (il était d’un million d’euros sous le précédent dispositif, avant d’être également supprimé) ;

 

3. Un seuil minimum de perte de chiffre d’affaires constatée du fait de la mesure de police administrative (il était de 70% puis 50 % sous le précédent dispositif).

 

II – Portée du dispositif

 

II – 1. Non-règlement des loyers et charges

 

Le dispositif porte sur le retard ou le non-paiement (les parlementaires ayant laissé au droit prétorien [6] le soin de trancher la question du caractère dû, ou non, du loyeru>[7] ) tant du loyer que des charges locatives.

 

Il s’agit cependant des loyers et charges dues à compter du 17 octobre 2020 (§ VII) et pendant toute la période au cours de laquelle l’activité de l’entreprise est affectée par une mesure de police.

 

Corrélativement, contrairement au premier dispositif, les loyers et charges correspondant à une période postérieure à la date de réouverture au public du commerce ne font l’objet d’aucune protection : la quote-part correspondant à la période postérieure est immédiatement exigible. A titre d’illustration, une réouverture d’un commerce au public, sans contrainte au sens de la Loi et du décret d’application à intervenir, au 27 novembre devrait entrainer l’obligation pour le preneur de s’acquitter sans délai de la quote-part mensuelle du 27 au 30 novembre 2020.

 

II – 2. Impunité en cas de retard ou de non-paiement du « prix » du bail

 

A l’instar du décret du 25 mars, la Loi du 14 novembre protège le bénéficiaire du dispositif de tous intérêts, pénalités ou toute mesure financière ou toute action, sanction, résiliation ; déchéance, utilisation des cautions et garanties (GAPD notamment).

 

Ce dispositif a vocation à assurer une protection maximale du preneur, et à cet égard, contrairement au premier dispositif, l’article 14 de la loi du 14 novembre 2020 englobe également les saisies, qu’elles soient attributives ou même simplement conservatoires, que le Sénat voulait, pour ces dernières, préserver sur autorisation du Juge.

 

Enfin, pour se conformer au droit prétorien (TJ PARIS, 10.07.2020, n°20/04516 notamment), le § III admet que le bailleur peut compenser les sommes qu’il doit au Preneur avec les loyers et charges objets du dispositif.

 

III – Durée de protection du dispositif

 

Les loyers et charges objets du dispositif doivent être acquittés sous deux mois de la date de réouverture sans contrainte au sens de la Loi et des décrets d’application, du commerce ou de l’établissement.

 

Après cette date, les intérêts ou pénalités financières reprennent leur cours, de la même manière que l’ensemble des sanctions du bail.

 

IV – Gel des procédures judiciaires

 

Les procédures d’exécution qui auraient été engagées par le bailleur à l’encontre du locataire pour non-paiement de loyers ou de charges locatives exigibles sont suspendues jusqu’au deuxième mois suivant la date de réouverture sans contrainte au sens de la Loi et des décrets d’application, du commerce ou de l’établissement.

 

Ce “gel” est cependant peu précis dans son assiette, de sorte que l’on peut se demander s’il concerne :

 

– Les procédures au titre du non-paiement des loyers et charges à compter du 17 octobre 2020 jusqu’à la date de publication au JO de la Loi ;

 

– Les procédures concernant le non-paiement des loyers et charges portant sur une période antérieure ?

 

Des précisions sur ce “gel” des procédures sera ainsi attendu.

 

Reste au décret d’application à encadrer ce dispositif, que votre newsletter ne manquera pas de commenter dès sa publication.

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats

 

——————————-

 

[1] Etude d’impact[RETOUR]

 

[2] Avis du conseil d’Etat[RETOUR]

 

[3] Cf notre article Vivaldi-chronos du 2 juillet 2020[RETOUR]

 

[4] Débats parlementaires du 24 octobre 2020, page 46 [RETOUR]

 

[5] Pourraient ainsi être concernées les modifications d’horaires d’ouverture et de fermeture de l’établissement par une mesure de police administrative au titre de l’état d’urgence sanitaire[RETOUR]

 

[6] Sur le droit prétorien :

 

Procédure au fond : CA GRENOBE, Ch com., 5 novembre 2020, n°16/04533, sur moyen nouveau recevable du preneur exploitant un appart’Hotel : Exigibilité des loyers et rejet de toute exception d’inexécution;

 

Procédure de référé :

 

TJ PARIS REFERE, 26 octobre 2020, n°20/55901, (pour une salle de sport) pas de manquement à l’obligation de délivrance du bailleur ni d’exception d’inexécution ni force majeure, mais renvoi devant le juge du fond au titre de l’obligation de bonne foi

 

TJ PARIS REFERE, 26 octobre 2020, n°20/53713, (pour un parapharmacie) pas de manquement à l’obligation de délivrance du bailleur ni d’exception d’inexécution ni force majeure, ni trouble de droit, mais renvoi devant le juge du fond au titre de l’obligation de bonne foi

 

TJ BOULOGNE SUR MER REFERE, n°20/00205 (pour un chausseur) le manquement à l’obligation de délivrance du bailleur et l’exception d’inexécution correlative du preneur “fait actuellement l’objet d’analyses juridiques divergentes (…) la réponse à cette question ne relève pas de l’évidence et ne peut être tranchée que par le juge du fond”.[RETOUR]

 

[7]Rapport n° 78 (2020-2021) de M. Philippe BAS, fait au nom de la commission des lois, déposé le 27 octobre 2020, page 2[RETOUR]

Partager cet article
Vivaldi Avocats