Source : Cass. 2e civ., 17 sept. 2020, n° 18-23.626, n° 827 P + B + I
Le droit, à valeur constitutionnelle, au respect de la vie privée et à l’inviolabilité du domicile, également consacré par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, exclut qu’une mesure conservatoire puisse être pratiquée dans un lieu affecté à l’habitation du débiteur par le créancier sans une autorisation donnée par un juge.
I – Rappel du texte en question
Aux termes de l’article L. 142-3 du Code des procédures civiles d’exécution, à l’expiration d’un délai de 8 jours à compter d’un commandement de payer signifié par un huissier de justice et resté infructueux, celui-ci peut, en vertu d’un titre exécutoire, pénétrer dans un local servant à l’habitation et faire procéder à l’ouverture des portes et meubles meublants.
II – L’espèce
Une société ayant fait faillite engage des procédures judiciaires à l’encontre de ses dirigeants. L’un d’entre eux ayant été condamné par des jugements du tribunal de première instance d’Istanbul à payer une certaine somme à la banque, le liquidateur de cette banque fait procéder à plusieurs saisies conservatoires de créances et de droits d’associé et valeurs mobilières ainsi qu’à une saisie conservatoire de meubles corporels pratiquée au domicile du dirigeant.
Ce dernier saisit un juge de l’exécution aux fins de contestation de ces mesures.
La cour d’appel annule la saisie conservatoire de meubles corporels au motif que les dispositions de l’article L. 142-3 du code des procédures civiles d’exécution, en vertu desquelles à l’expiration d’un délai de 8 jours à compter d’un commandement de payer signifié par un huissier de justice, et resté sans effet, celui-ci peut sur justification d’un titre exécutoire, pénétrer dans un lieu servant à l’habitation et, le cas échéant, faire procéder à l’ouverture des portes et meubles, ne sont applicables qu’aux mesures d’exécution forcée et non aux saisies conservatoires, et ne permettent donc pas qu’une mesure conservatoire puisse être pratiquée dans un local d’habitation du débiteur sans autorisation du JEX, quand bien même le créancier se prévaudrait d’un titre exécutoire ou d’une décision de justice n’ayant pas encore force exécutoire.
III – Le pourvoi
Saisie de la question par le créancier, la Cour de cassation confirme la décision. Elle précise ainsi le champ d’application des dispositions visées ci-avant, en soulignant qu’il ne concerne pas les mesures conservatoires qui, en vertu de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution, ne nécessitent pas la régularisation d’un commandement préalable et peuvent être pratiquées sans justification d’un titre exécutoire, pour notamment garder « l’effet de surprise » recherché par ces mesures.
Selon la note explicative de la Cour de cassation, « cette analyse, qui permet une protection renforcée du domicile du débiteur, trouve son fondement tant dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel (Décision n° 2019-772 QPC du 5 avril 2019, Rec. ) que dans celle de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH 16 mai 2019, Halabi c. France, requête n°66554/14).
(…)
Cette solution permet également de concilier le droit au respect de la vie privée et à l’inviolabilité du domicile avec le droit à l’exécution des décisions de justice, de même valeur, qui peut lui-même être exercé dès lors que les conditions légales de la mesure conservatoire sont réunies et que le juge de l’exécution a donné sur simple requête une autorisation pour pénétrer dans le domicile du débiteur. S’agissant de la mise en œuvre de droits et libertés fondamentaux, la solution est immédiatement applicable. »