L’insaisissabilité n’empêche pas la demande en licitation-partage

Frédéric VAUVILLÉ
Frédéric VAUVILLÉ

Source : Cass. com. 10 juillet 2019, n° de pourvoi: 18-16867.

 

Cet arrêt du 10 juillet dernier complète le lot de décisions qui articulent insaisissabilité, indivision et procédure collective. L’an passé, la Cour de cassation a en particulier jugé que lorsqu’un bien fait l’objet d’une déclaration d’insaisissabilité régulièrement publiée avant la liquidation judiciaire, les droits indivis (du débiteur) ne sont pas appréhendés par la procédure collective, et le liquidateur n’a pas qualité pour agir en partage et licitation sur le fondement de l’article 815 du code civil (Cass. com. 14 mars 2018 n° 16-27302). Notre juridiction suprême consacrait ainsi l’analyse selon laquelle la procédure ne peut appréhender que les biens que le débiteur engage par ses dettes au jour de l’ouverture de la procédure, ce que l’on a savamment appelé l’effet réel de la procédure (voir Marc Sénéchal, « L’effet réel de la procédure collective : essai sur la saisie collective du gage commun des créanciers » Bibliothèque de droit de l’entreprise, Litec, n° 59), pour en déduire que le liquidateur ne peut mettre fin à son initiative à l’indivision lorsque le débiteur est coindivisaire si le bien indivis est insaisissable.

 

Mais quid de l’indivisaire in bonis ? c’est l’intérêt de l’arrêt commenté que de répondre à cette question inédite en jurisprudence.

 

En l’espèce, une épouse, entrepreneur individuel, déclare l’insaisissabilité de l’immeuble commun affecté à sa résidence principale avant d’être mise en liquidation judiciaire puis de divorcer. Son ex-mari l’assigne alors devant le juge aux affaires familiales aux fins de partage judiciaire de l’indivision post-communautaire et demande la désignation d’un notaire ; le liquidateur intervient alors volontairement à l’instance. Elle fera grief à l’arrêt d’appel d’ordonner, pour parvenir au partage, la vente sur licitation de l’immeuble, en retenant que la déclaration “ne prive pas le droit des indivisaires à obtenir le partage au besoin par licitation à la barre du bien indivis” et que “Me W… a qualité pour former cette demande en qualité de représentant de Mme L…”. Dans son pourvoi, l’épouse soutient que lorsque a été régulièrement publiée la déclaration d’insaisissabilité avant le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire du débiteur, les droits indivis de ce dernier ne sont pas appréhendés par la procédure collective, de sorte que le liquidateur n’a pas qualité pour agir en partage et licitation du bien immobilier. On retrouve ainsi mot pour mot la formulation de l’arrêt de l’an passé.

 

Le pourvoi sera néanmoins rejeté : attendu que si le liquidateur ne représente pas le débiteur en ce qui concerne les droits de celui-ci sur l’immeuble qu’il a régulièrement déclaré insaisissable, lequel n’est, dès lors, pas entré dans le gage commun des créanciers, le juge aux affaires familiales, saisi par (le mari) d’une demande d’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de l’indivision, pouvait, en exécution du jugement de divorce et après avoir rejeté la demande d’attribution préférentielle du bien litigieux dont il était également saisi, ordonner sa licitation pour parvenir au partage de l’indivision sans avoir besoin d’une demande à cette fin du liquidateur ; que le moyen, qui critique un motif erroné mais surabondant relatif à la recevabilité de l’action de ce dernier, est inopérant.

 

En d’autres termes, la cour d’appel s’était bien égarée en admettant la possibilité pour le mandataire judiciaire de demander le partage de l’immeuble insaisissable, mais le motif était « surabondant » puisque le juge était d’abord saisi d’une demande en partage émanant de l’autre indivisaire, ex-époux.

 

Trois brèves observations : en premier lieu, la solution parait parfaitement fondée : l’insaisissabilité du fait d’un indivisaire ne saurait priver l’autre du droit de demander le partage ; nul n’est tenu de demeurer dans l’indivision même si les droits d’un indivisaire sont insaisissables parce qu’il est entrepreneur individuel. Et s’il devait être mis en procédure, la solution ne changerait pas : dès lors que les droits indivis de l’indivisaire débiteur sont hors procédure (tout comme a fortiori ceux de l’indivisaire in bonis), rien ne s’opposerait au partage à l’initiative de cet indivisaire in bonis ; bref, l’insaisissabilité tout comme la procédure collective sont sans conséquence sur le droit de l’indivisaire in bonis de demander le partage.

 

Comme pour l’arrêt de 2008 qui interdit au liquidateur de demander le partage, les solutions sont certainement transposables à l’insaisissabilité de droit issue de la loi de 2005 ; dit autrement, lorsqu’un entrepreneur individuel, propriétaire indivis de sa résidence principale tombe en procédure collective, l’autre indivisaire peut demander le partage (dès lors du moins que l’indivision est née avant l’ouverture de la procédure), tout comme il peut le faire en l’absence de procédure collective.

 

Mais quid lors du partage au regard des droits du débiteur s’il est en procédure collective ? Que faire en particulier de la part qui lui revient ? Si l’immeuble est licité, et si l’on fait abstraction des comptes entre indivisaires, peut-il prétendre à la moitié du prix ? Ou doit-on considérer qu’il y a report d’insaisissabilité conformément à l’article L 526-3 du code civil ? On sait qu’à propos de la déclaration d’insaisissabilité, la tentation est grande de raisonner comme en matière d’hypothèque prise sur un bien indivis pour considérer que l’insaisissabilité peut se reporter sur ce qui revient au débiteur lors du partage (sur cette question, v. notamment S Piédelièvre, « L’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur individuel », JCP éd. G 2003, I, 165, n°15 ; F Sauvage, « L’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur individuel à l’épreuve de son régime matrimonial », JCP éd. N 2004, n°112 ; adde notre étude « Questions de déclaration notariée d’insaisissabilité », Florilège de printemps 2006, Etudes du Cridon Nord-Est p. 47 s.).

 

De sorte que si ce dernier entend remployer sa part dans l’acquisition d’une nouvelle résidence principale, il faudrait lui remettre les fonds. Il se pourrait donc bien que le mandataire qui dans cette affaire, est intervenu volontairement à l’instance en partage, ne recueille rien…Normal, dira-t-on : les droits du débiteur étaient insaisissables et hors procédure (v. nos obs. in Répertoire Defrénois 2020, n° 6).

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