Assurance-décès et obligation solidaire

Thomas LAILLER
Thomas LAILLER

Source : Cass., civ. 1ère, 5 juin 2019, FS-P+B, n° 17-27.066

 

I – L’espèce

 

Suivant une offre préalable acceptée le 5 décembre 2012, une société a consenti à deux personnes un prêt destiné au financement d’un camping-car. L’un des deux emprunteurs a adhéré à un contrat collectif d’assurance souscrit par le prêteur auprès d’un assureur, pour la garantie du risque décès « senior » des personnes âgées de plus de 65 ans. Puis, l’assuré est décédé le 10 juin 2013, laissant pour lui succéder ses deux enfants. Après avoir prononcé la déchéance du terme, le prêteur a assigné le coemprunteur en paiement du solde du prêt. Ce dernier a assigné quant à lui l’assureur en exécution du contrat d’assurance. La Cour d’appel de Rouen, dans un arrêt du 1er juin 2017, déclare les demandes de l’emprunteur irrecevables, pour défaut de qualité pour agir.

 

II – Le pourvoi en cassation

 

L’emprunteur a saisi la Cour régulatrice de la question, avançant principalement qu’un codébiteur solidaire peut opposer toutes les exceptions qui résultent de la nature de l’obligation, et qu’il peut en conséquence opposer l’existence d’une garantie d’assurance-décès ayant vocation à éteindre la dette, peu important qu’il ne l’ait pas personnellement souscrite.

 

L’argument ne convainc pas la Haute juridiction, qui considère « que l’exception de garantie soulevée par le débiteur solidaire poursuivi par le prêteur, créancier de l’obligation de paiement, et tirée de l’existence d’un contrat d’assurance-décès souscrit par un autre codébiteur constitue une exception purement personnelle à celui-ci, que le débiteur poursuivi ne peut opposer au créancier ; qu’après avoir constaté que Claude R. était seul signataire du contrat d’assurance, que Mme T. n’avait ni la qualité d’assurée ni celle de bénéficiaire du contrat et qu’elle ne venait pas aux droits du défunt, la cour d’appel a décidé à bon droit que sa demande était irrecevable, pour défaut de qualité pour agir ; que le moyen n’est pas fondé ».

 

La décision a été rendue sous l’empire des textes antérieurs à la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016. L’ancien article 1208 du code civil disposait alors que « Le codébiteur solidaire poursuivi par le créancier peut opposer toutes les exceptions qui résultent de la nature de l’obligation, et toutes celles qui lui sont personnelles, ainsi que celles qui sont communes à tous les codébiteurs. Il ne peut opposer les exceptions qui sont purement personnelles à quelques-uns des autres codébiteurs ».

 

Mais la solution serait exactement la même à la lumière du nouvel article 1315 du Code civil, disposant que « Le débiteur solidaire poursuivi par le créancier peut opposer les exceptions qui sont communes à tous les codébiteurs, telles que la nullité ou la résolution, et celles qui lui sont personnelles. Il ne peut opposer les exceptions qui sont personnelles à d’autres codébiteurs, telle que l’octroi d’un terme. Toutefois, lorsqu’une exception personnelle à un autre codébiteur éteint la part divise de celui-ci, notamment en cas de compensation ou de remise de dette, il peut s’en prévaloir pour la faire déduire du total de la dette ».

 

III – L’analyse

 

La solution n’est pas nouvelle : « sauf convention contraire, lorsque le souscripteur d’un emprunt destiné à l’acquisition d’un bien indivis a adhéré à une assurance garantissant le remboursement du prêt, la mise en œuvre de l’assurance à la suite de la survenance d’un sinistre a pour effet, dans les rapports entre les acquéreurs indivis, d’éteindre, à concurrence du montant de la prestation de l’assureur, la dette de contribution incombant à l’assuré concerné »[1].

 

Autrement dit, l’exception que représente le contrat d’assurance n’est pas relative à la dette, elle est personnelle à l’assuré.

 

Cette solution est identique ne matière de cautionnement, l’article 2313 du Code civil prévoyant que « La caution peut opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal, et qui sont inhérentes à la dette ; Mais elle ne peut opposer les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur ». On sait en effet qu’une chambre mixte de la Cour de cassation, allant à l’encontre de la doctrine majoritaire, a considéré, dans un arrêt du 8 juin 2007[2] que « la caution ne peut opposer les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur principal ».

 

Toutefois, il se pourrait que cette jurisprudence soit brisée, l’article 60 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, ayant habilité le gouvernement à « réformer le droit du cautionnement, afin de rendre son régime plus lisible et d’en améliorer l’efficacité, tout en assurant la protection de la caution personne physique ». Or, il est fort probable que cette réforme s’appuie sur l’avant-projet sous l’égide de l’association Henri Capitant dévoilé en septembre 2017 dont l’article 2299, alinéa 1er, prévoit que « La caution peut opposer au créancier toutes les exceptions, personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur ».

 

[1] Cass. civ. 1re, 15 déc. 2010, n° 09-16.693

 

[2] Cass., ch. mixte, 8 juin 2007, n° 03-15.602

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