Responsabilité et réparation du préjudice

Kathia BEULQUE
Kathia BEULQUE - Avocat associée

Le juge qui constate l’existence d’une perte de chance doit statuer sur celle-ci, même si les parties de l’ont pas invoquée et après les avoir invitées à faire valoir leurs observations sur ce point.

Cass. Ass.pl., 27 juin 2025, n°22-21.812 et n°22-21.146

I-

En l’occurrence, un notaire avait réalisé la vente d’un ensemble immobilier en vue de la réalisation de bureaux destinés à la location.

En l’absence d’exécution des travaux d’aménagement du lotissement et d’obtention par le vendeur d’une autorisation de procéder à la vente des lots avant cette exécution, l’acquéreur, qui n’avait pu obtenir de permis de construire à l’issue de la vente, avait assigné la société notariale en responsabilité et indemnisation.

Il avait ensuite appelé en la cause le vendeur et sollicité sa condamnation in solidum avec le notaire.

Son action contre le vendeur avait été déclarée irrecevable comme prescrite.

L’existence d’un manquement du notaire à son obligation de conseil avait, en revanche, été admise, mais la Cour d’appel avait rejeté les demandes indemnitaires aux motifs que ces demandes ne pouvaient prospérer que sur le fondement de la perte de chance, la faute du notaire ayant privé cette société de la possibilité de renoncer à son acquisition, mais qu’aucune demande n’avait été formée sur un tel fondement.

L’acquéreur avait donc formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cette décision au motif, essentiellement que le juge qui constate l’existence d’une perte de chance et requalifie ainsi le préjudice, ne peut le laisser sans réparation, après avoir invité les parties à s’expliquer de ce chef, la cour d’appel ayant ainsi violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile.

La Cour de Cassation en Assemblée plénière a censuré l’arrêt d’appel, au visa des articles 4 et 1382, devenu 1240, du code civil et les articles 4 et 5 du code de procédure civile, pour avoir refusé d’indemniser un préjudice dont elle avait constaté l’existence, violant consécutivement les textes susvisés.

Elle a rappelé dans son arrêt qu’aux termes de l’article 4 du code de procédure civile, l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et que selon l’article 5 du même code, le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé.


Elle a, ensuite, ajouté qu’il résulte de l’article 1382, devenu 1240, du code civil que caractérise une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable.

La reconnaissance d’une perte de chance permettant de réparer une part de l’entier dommage, déterminée à hauteur de la chance perdue, lorsque ce dommage n’est pas juridiquement réparable, le préjudice ainsi réparé, bien que distinct de l’entier dommage, en demeure dépendant.

Elle en a conclu qu’il résultait de l’article 4 du code civil que le juge ne peut refuser de réparer un dommage dont il a constaté l’existence en son principe et qu’il s’en déduisait que le juge peut, sans méconnaître l’objet du litige, rechercher l’existence d’une perte de chance d’éviter le dommage alors que lui était demandée la réparation de l’entier préjudice ; il lui incombe alors d’inviter les parties à présenter leurs observations quant à l’existence d’une perte de chance.

II-

Certaines formations de la Cour de Cassation avaient déjà jugé auparavant que le juge ne peut refuser d’indemniser une perte de chance dont il a constaté l’existence en son principe (Cass.Com 26 septembre 2006, n°04-18.271 ; Cass 1ère Civ. 20 janvier 2021, n°19-18.585)), au motif, notamment, que seule une réparation intégrale du dommage avait été sollicitée.

Cette solution est désormais étendue à toutes les formations.

La perte de chance demeurant dépendante de l’entier dommage dont les parties demandent la réparation de sorte qu’elle fait partie intégrante de l’objet du litige même si les parties ne l’ont pas invoquée.

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