Remise en cause de la méthode appliquée par l’administration pour évaluer l’usufruit temporaire de plusieurs immeubles

Clara DUBRULLE
Clara DUBRULLE

Source : Cour administrative d’appel de Nancy, 2ème chambre – formation à 3, 14 mai 2019, n° 18NC00107, Inédit au recueil Lebon

 

   Les faits

 

La SARL LP DIFFUSION a acquis, les 10 avril et 26 juin 2008 et 6 juin 2009, l’usufruit de biens immobiliers, la nue-propriété ayant été acquise par deux SCI.

 

A la suite de la vérification de comptabilité de la SARL LP DIFFUSION, l’administration a réévalué la valeur de la nue-propriété des trois immeubles litigieux et a qualifié la surévaluation du prix de l’usufruit d’acte anormal de gestion.

 

Par propositions de rectification, l’administration a remis en cause le montant des déficits au titre des exercices clos en 2008 et 2009 consécutifs aux amortissements pratiqués et a assigné à la SARL LP DIFFUSION une cotisation supplémentaire d’impôt sur les sociétés au titre de l’année 2010 et des pénalités correspondantes.

 

La SARL LP DIFFUSION relève appel du jugement du 16 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant au rétablissement des déficits litigieux et à la décharge de l’imposition supplémentaire susmentionnée et des pénalités correspondantes.

 

   La décision de la Cour administrative d’appel

 

La Cour rappelle tout d’abord que constitue un acte anormal de gestion, l’acte par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt.

 

Ainsi, en cas d’acquisition par des personnes distinctes de l’usufruit temporaire et de la nue-propriété du même bien immobilier, lorsque l’administration établit le caractère délibérément majoré du prix payé pour l’acquisition de l’usufruit temporaire par rapport à la valeur vénale de cet usufruit, sans que cet écart de prix ne comporte pour l’usufruitier de contrepartie, elle doit être regardée comme apportant la preuve du caractère anormal de cette opération.

 

En l’espèce, pour démontrer la surestimation du prix versé pour l’acquisition de l’usufruit de ces trois immeubles, l’administration fiscale indique avoir utilisé, en vue de déterminer la valeur de la nue-propriété de cet immeuble, la méthode dite de la valeur de la pleine propriété.

 

Afin de calculer dans un premier temps la valeur de la nue-propriété, le service a eu recours à une formule mathématique dans laquelle figure, au numérateur, la valeur de la pleine propriété à la date de l’acquisition actualisée par un taux annuel de 3%, et au dénominateur un calcul de rentabilité de l’investissement sur la durée de démembrement à partir d’un taux de rentabilité propre à chaque immeuble.

 

Puis, en soustrayant de la valeur en pleine propriété la valeur de la nue-propriété ainsi obtenue, l’administration a déterminé la valeur de l’usufruit acquis par la SARL LP DIFFUSION.

 

L’administration en a tiré les conséquences au titre de la détermination du bénéfice imposable à l’impôt sur les sociétés en rectifiant le montant des dotations aux amortissements au titre des exercices clos en 2008, 2009 et 2010.

 

La société LP DIFFUSION conteste le calcul de l’administration fondé sur l’application à la valeur de la pleine propriété d’un taux de revalorisation annuel de 3 %, correspondant au taux d’actualisation des loyers utilisés par la SARL LP DIFFUSION dans le cadre des baux de location des immeubles.

 

Cette méthode conduit, selon la société requérante, à une surévaluation de la valeur de la nue-propriété et est dépourvue de cohérence en l’absence de relation entre la revalorisation des loyers et la valeur des immeubles.

 

La société LP DIFFUSION se prévaut en outre de la pertinence de la méthode du cash-flow actualisé qu’elle a appliquée.

 

La Cour juge :

 

« Si la valeur de la nue-propriété à la date de la cession doit prendre en considération la valeur de la pleine propriété au terme du démembrement, l’administration, à qui incombe ici la charge de la preuve, ne démontre pas la cohérence de sa méthode fondée sur une actualisation de la valeur de la pleine propriété à partir d’un taux de croissance constant des revenus futurs de l’usufruitier pour la durée de son usufruit temporaire.

 

En outre, la société requérante a déterminé un taux de rendement […] qui a été appliqué, dans le cadre de la méthode du cash-flow actualisé, aux flux futurs attendus par l’usufruitier. […] L’administration a, pour sa part, appliqué ce taux de rendement au dénominateur de la formule de calcul utilisée pour déterminer la valeur de la nue-propriété. Dans ces conditions, cette méthode repose sur des termes de calcul non homogènes, comme le fait valoir la société requérante, dès lors que l’administration a actualisé la valeur de la pleine propriété, à la date du terme du démembrement, à partir du taux de revalorisation des loyers qui est un taux constant ne tenant pas compte de l’évolution du prix de l’immobilier dans ce secteur géographique, tout en conservant au dénominateur un taux de rendement des flux futurs de l’usufruitier, qui intègre une évaluation de l’évolution des loyers pendant la durée de l’usufruit au regard du risque financier de l’investissement immobilier.

 

La méthode de l’administration conduit par suite à une rentabilité interne de l’investissement déséquilibrée entre l’usufruitier et le nu-propriétaire et à un partage inexact, à la date de la cession, de la valeur en pleine propriété de l’immeuble entre celle de l’usufruit et celle de la nue-propriété, cette méthode erronée ayant pour conséquence que la somme de la valeur ainsi déterminée de l’usufruit et de la valeur vénale de la nue-propriété soit supérieure au prix d’acquisition de la pleine propriété. »

 

Pour la Cour, l’administration, à qui incombe la charge de la preuve, ne démontre pas que la valeur de l’usufruit temporaire des trois immeubles en cause a été surévaluée, ni que les opérations de démembrement de propriété ont constitué un acte étranger à une gestion commerciale normale pour la SARL LP DIFFUSION.

 

En conséquence, la SARL LP DIFFUSION est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

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